Asclepias syriaca

L’herbe-à-la-ouate est une plante originaire de l’Est des U.S.A. et qui a été introduite dès le 17ème siècle en Europe comme ornementale ; elle a connu un grand succès populaire tant pour sa rusticité, sa vigueur, sa propension à s’étaler et à former des massifs touffus, son opulente floraison d’un rose nacré qui attire des foules de visiteurs que pour ses curieux fruits sur lesquels nous allons focaliser cette chronique. Elle était une des plantes constantes des jardins de campagne ou des jardins de curé avant de connaître un certain oubli, et de revenir à la mode ces dernières décennies.

Des fruits-perruches !

La floraison des voluptueuses ombelles de centaines de fleurs n’est suivie que d’une très maigre production de fruits : seulement 1 à 3% des fleurs fructifient !

La fleur de taille modeste donne naissance à de grosses « gousses » ventrues, en forme de ballon de rugby allongé, d’un beau vert clair, couvertes de verrues proéminentes molles ; elles sont portées sur le pédoncule de la fleur qui s’épaissit et se recourbe d’une manière curieuse et qui porte ainsi le fruit redressé à la verticale.

C’est à ce stade encore vert qu’on peut les cueillir et les placer en cercle sur le rebord d’un verre plein d’eau en utilisant le pédoncule recourbé comme crochet ; on reconstitue ainsi une tradition très répandue autrefois à la campagne (et qui m’avait fasciné quand j’étais enfant !) : les perruches à l’abreuvoir ! Certains dessinent même des yeux au crayon feutre pour accentuer l’effet visuel pourtant très réaliste en lui-même.

Il faut veiller quand on les manipule au lait (latex) blanc poisseux qui s’échappe des pédoncules coupés et encore plus de la paroi des fruits si on les déchire. Ce latex contient un riche cocktail chimique d’alcaloïdes, de résinoïdes et de substances cardio-actives potentiellement dangereuses ; on le retrouve dans toute la plante et surtout dans les feuilles où il protège la plante des attaques des herbivores.

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Latex dans un fruit coupé

Aux U.S.A. où la plante est connue depuis très longtemps et indigène, on récolte ces fruits au stade très jeune (entre 2 et 4cm de long) et on les cuit ; il paraît que çà a le goût des okras et que c’est délicieux. Je ne sais pas pourquoi mais je n’ai pas envie d’essayer au vu justement de ce latex dont ils regorgent !

Notons que l’on retrouve ces mêmes fruits évidemment chez les autres asclépiades comme la belle asclépiade tubéreuse mais aussi dans d’autres genres de la même famille (les Apocynacées) comme les dompte-venins, les pervenches, les gomphocarpes ballons ou les lauriers-roses.

C’est la ouate !

Si on les laisse en place, au cours de l’automne puis de l’hiver, le fruit sèche et brunit puis il se fend largement sur le dos révélant ainsi sa vraie nature : ce n’est pas une gousse (qui s’ouvre selon deux lignes de suture et se sépare en deux valves) mais un follicule. Rapidement, surtout s’il fait sec, on voit émerger par cette ouverture une masse blanche argentée d’aspect très soyeux : ce sont les aigrettes plumeuses qui coiffent les graines plates orangées très légères. Ces aigrettes sont formées de poils unicellulaires longs et en dépit de leur aspect n’ont rien à voir avec la pappus plumeux fréquent chez les astéracées ou composées (voir la chronique sur les fruits du salsifis douteux).

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Graine et son aigrette sous la loupe

Progressivement, la masse de 100 à 200 graines s’extirpe du fruit par paquets ; les grands coups de vent vont disperser ces graines emportées au loin (voir ci-dessous la dispersion par le vent).

Cette abondante « ouate » a été utilisée comme substitut du kapok (issu des aigrettes des graines d’un arbre proche des baobabs, le fromager) comme matériau de rembourrage notamment dans les gilets de sauvetage car il a des propriétés hydrophobes ; on a même fait des essais pour traiter des marées noires car cette bourre absorbe le pétrole sans prendre l’eau. En culture en grand, on arrive à atteindre des rendements de plus de 500kg à l’hectare. De manière plus anecdotique, on l’a aussi utilisé pour fabriquer des mèches de bougies.

Des graines vol-au-vent

Quittons les aspects humains et ethnobotaniques, pour revenir à la plante elle-même. Originellement, l’herbe-à-la-ouate habitait des milieux ouverts temporaires créés dans les boisements par des perturbations naturelles tellles que incendies, tempêtes ou inondations. Depuis l’arrivée des colons, elle s’est adaptée aux environnements perturbés par les activités humaines et s’est répandue dans les cultures abandonnées, les friches, les bords des routes ou les voies de chemin de fer. En Europe où elle a donc été introduite, elle s’est aussi progressivement naturalisée dans de tels milieux. La dispersion des graines par le vent représente donc pour cette espèce un élément clé pour coloniser de nouveaux sites fraîchement perturbés. Une fois installée, elle développe par multiplication végétative à partir de sa souche rhizomateuse étendue des colonies denses qui sont de ce fait des clones.

Cette plante a servi de modèle dès les années 1980 pour étudier les modalités de la dispersion par le vent. Des études menées en plein champ en conditions naturelles ou en laboratoire ont suivi le devenir des graines emportées par le vent et testé les différents facteurs agissant. Le temps de chute détermine la distance potentielle de dispersion : plus il est long (plus la chute est lente), plus il y a de chances qu’un coup de vent emporte au loin la graine.

Le résultat le plus surprenant concerne la diversité de ces graines tant d’une colonie clonale à une autre que sur une même plante (d’un fruit à l’autre) : la masse des graines varie d’un facteur 1 à 20 ; la longueur de l’aigrette, un facteur clé pour ralentir la chute, varie aussi beaucoup. Or, les graines les plus légères sont celles qui vont le plus loin en moyenne ; mais si on suit leur devenir, on constate qu’elles ont moins de chance de germer (moins de réserves nutritives) et si elles réussissent, les plantules qui en sont issues ont plus de chances de mourir prématurément. Donc, les graines les plus aptes à s’éloigner sont les moins aptes a priori à donner une descendance ! La diversité des fruits et des graines compenserait ce biais.

La hauteur de départ semble aussi jouer un rôle : les graines libérées à 1m de hauteur (la plante peut atteindre 1,50m) vont plus loin que celles libérées à 50cm de haut ; mais les plantes les plus hautes ont plus de chance d’être renversées en hiver par des coups de vent alors qu’elles sont chargées de fruits ce qui annule leur avantage a priori. La vitesse du vent et sa « qualité » (turbulent ou pas) influent aussi sur le devenir des graines. Au final, une écrasante majorité de graines atterrit non loin des pieds mères (ce qui est un schéma très classique chez une majorité de plantes). Les quelques unes qui atteignent des distances au delà de 100 mètres jouent donc un rôle clé dans la capacité de l’espèce à coloniser de nouveaux espaces.

On est donc loin de l’image d’Epinal du fruit « parfait » et optimal pour une dispersion au loin : la réalité est mille fois plus complexe et la sélection opère sur un ensemble de facteurs et de traits en même temps aboutissant à des compromis (des trade-offs comme disent les anglo-saxons) subtils et difficiles à déchiffrer.

Gérard GUILLOT. Zoom-nature.fr

BIBLIOGRAPHIE

  1. Propagule size, dispersability, and seedling performance in Asclepias syriaca. Douglas H. Morse and Johanna Schmitt. Oecologia 1985 ; 67 : 372-379
  2. Dispersal in plants. A population perspective. R .Cousens ; C. Dytham ; R. Law. Oxford University Press Inc. 2008

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'herbe-à-la-ouate
Page(s) : 144 Guide des Fleurs du Jardin
Retrouvez les autres apocynacées
Page(s) : 141-145 Guide des Fleurs du Jardin
Retrouvez le dompte-venin et ses fruits
Page(s) : 144-145 Guide des Fleurs des Fôrets