Exobasidium sp.

Dans l’univers des galles (ou cécidies), ces déformations plus ou moins marquées qui affectent toutes sortes de végétaux, parmi la diversité des organismes responsables de leur formation, les champignons occupent une place importante avec près de 15% des galles qui leur sont imputables (mycocécidies). Ils occupent la troisième place après l’immense groupe des Cécidomyies, ces petites mouches cécidogènes (« qui provoquent la formation de galles ») et les Acariens cécidogènes.

Parmi les champignons cécidogènes, le genre Exobasidium qui compte une cinquantaine d’espèces présente la particularité intéressante d’infecter essentiellement des plantes de la famille des Ericacées, en tête desquelles figurent les airelles (Vaccinium) et les Azalées ou rhododendrons (Rhododendron). Cette chronique va donc explorer la diversité des Exobasidium observables notamment en montagne en présentant d’abord deux exemples d’espèces responsables de galles voyantes.

Galle-pomme rose et galle-poche rouge

exob-rhodo-peuplement

Le rhododendron ferrugineux forme de vastes peuplements dans les forêts claires subalpines ou sous forme de landes d’altitude.

Dans les Alpes et les Pyrénées où il est largement représenté dans l’étage subalpin, le rhododendron ferrugineux (connu aussi sous les vocables de rosage ou de laurier-rose des Alpes) héberge régulièrement une galle volumineuse, pouvant atteindre 3cm de diamètre, charnue, pleine, difforme, plus ou moins bosselée, rappelant les fruits pommés des cognassiers du Japon. Elles sont d’abord vertes puis se teintent de jaune avant la maturité où elles prennent une belle teinte rose carmin devenant ensuite brunâtres en séchant; elles sont accrochées aux feuilles. Elles sont dues à l’infection par Exobasidium rhododendrii qui s’attaque par ailleurs à une autre espèce proche, le rhododendron hirsute, très rare en France mais répandu dans les Alpes centrales et orientales ainsi qu’à leur hybride assez fréquent là où les deux espèces se côtoient.

La « galle-poche » de l’airelle rouge (ou airelle du Mont Ida) ne manque pas d’interpeller le curieux de nature avec sa couleur rouge vif dessus et rosée dessous : chaque galle enveloppe plus ou moins une feuille coriace de ce petit arbrisseau en la déformant en creux, comme une sorte de poche. Effet visuel garanti ! Elle est due à l’infection des feuilles par Exobasidium vaccinii et ne s’observe que rarement bien que la plante hôte soit quand même assez répandue dans nos massifs montagneux : dans les pays nordiques, le taux d’infection de l’airelle rouge ne dépasse pas 5% des individus.

Qui sont les Exobasidium ?

Le non-initié pourrait croire que la galle-pomme du rhododendron correspond à une « fructification » du champignon comme peut le faire un lactaire ou un cèpe ; en fait, la galle n’est pas produite directement par le champignon mais résulte de la prolifération des tissus infectés de l’hôte. Pourtant, les Exobasidium appartiennent bien au vaste groupe des Basidiomycètes qui renferme les champignons auxquels nous sommes plus familiers, les « vrais » champignons ! Les Exobasidium sont classés dans le groupe bien défini des Exobasidiales avec seulement une centaine d’espèces connues, tous parasites obligatoires de végétaux. Ce groupe s’insère dans la classe des Ustilaginomycètes (l’une des quatre classes qui compose les Basidiomycètes), forte de 1500 espèces et qui renferme entre autres des champignons parasites bien connus comme le charbon du maïs (Ustilago maydis) ou le charbon violacé des étamines des Caryophyllacées (Microbotryum violaceum).

Deux vies en une

Comme chez de nombreux autres organismes parasites, nous ne connaissons directement qu’une partie du cycle de vie des Exobasidium ; celui-ci comporte en effet deux phases très distinctes :

– une phase « libre » où le champignon microscopique prend l’aspect de levures et se nourrit de matières organiques

– une phase parasite, à l’intérieur d’un végétal, seule phase qui nous est accessible visuellement par le biais de la galle induite chez l’hôte.

La phase parasite se présente sous forme de filaments (hyphes) organisés en un réseau ramifié (mycélium) ; ces hyphes se développent entre les cellules des tissus infectés et, au contact avec la membrane plasmique des cellules hôtes, ils élaborent des structures bien connues chez les parasites végétaux : des sortes de « suçoirs » (un haustorium ; des haustoria) qui assurent la nutrition du mycélium en prélevant des éléments nutritifs dans les cellules infectées. Ces haustoria ont une structure unique très élaborée : de forme lobée, ils présentent une sorte d’anneau apical juste au point de contact avec la cellule hôte qui se transforme ensuite en coiffe apicale complexe à la manière de celle des extrémités des racines.

L’infection provoque des réactions caractéristiques responsables de la formation d’une galle, via notamment un déséquilibre hormonal induit dans les tissus de l’hôte : un gonflement plus ou moins marqué des tissus qui prennent de plus une coloration pâle ou rougeâtre. La coloration rouge ou rougeâtre semble due à la synthèse d’anthocyanines, substances chimiques défensives de la famille des flavonoïdes synthétisées par la plante hôte pour limiter l’infection par le parasite (3). A maturité, une couche superficielle blanchâtre ou rosée, d’aspect farineux, apparaît et correspond au tissu reproductif du champignon : elle produit des structures (basidies) contenant des spores qui vont permettre la dispersion.

L’infection peut, selon les espèces et les hôtes, ne concerner que certains organes précis (feuilles le plus souvent, mais aussi tiges en croissance ou fleurs) ou au contraire se généraliser à l’ensemble de la plante (infection systémique). Les effets extérieurs prennent des formes variées : simples taches sur les feuilles ; galles en forme de pommes ou de poches (voir le premier paragraphe) ; tiges déformées ou allongées et décolorées. L’infection ne tue pas l’hôte en principe mais diminue ses potentialités reproductrices (les parties affectées ne produisent pas de fleurs) et la résistance aux divers stress dont le gel, élément clé pour la majorité de ces plantes vivant en milieu montagnard.

Du bon usage de la catapulte

Le tissu reproductif du champignon visible donc à la surface des galles libère à maturité les spores contenues dans des poches allongées microscopiques ou basidies. La libération, brusque et violente se fait par un mécanisme de catapulte suite à une tension accumulée en surface des basidies ; le moindre courant d’air peut alors propager les spores éjectées à grande distance et assurer la dispersion de l’espèce. Les spores éjectées subissent le plus souvent un cloisonnement interne peu après leur catapultage. Chacune des cellules ainsi créées va élaborer un tube de germination qui se ramifie et produit des cellules de type levures (phase libre).

L’infection de l’hôte se fait soit à partir de l’arrivée « aérienne » de spores propulsées ou soit à partir des cellules-levures émises. Les spores hivernent soit à l’intérieur de l’hôte qu’elles ont commencé à investir, soit à l’extérieur, collées par exemple sur les écailles des bourgeons foliaires, prêtes à germer au printemps suivant lors de l’éclosion des bourgeons.

Selon les espèces, la reproduction par spores ne se fait qu’une fois par saison ou plusieurs fois ; dans ce dernier cas, les galles peuvent s’observer du printemps jusqu’à l’automne comme c’est le cas pour E. vaccinii mentionné ci-dessus.

Un certain goût pour les airelles et les azalées

La spécificité de ces parasites reste souvent suffisamment étroite pour faciliter leur identification ; ainsi E. myrtillii est confiné sur l’airelle myrtille où il provoque un agrandissement des feuilles épaissies et un peu décolorées ; E. andromedae est associé à l’andromède à feuilles de polium, petit arbrisseau des tourbières à sphaignes. A l’inverse d’autres espèces comme E. vaccinii s’attaquent à un ensemble d’espèces d’airelles proches dont l’airelle rouge. Une même plante hôte peut aussi héberger plusieurs espèces différentes ; ainsi l’airelle rouge est aussi parasitée par E. splendidum ou E. juelianum qui entraînent des déformations des tiges et des feuilles.

Les plantes hôtes de la grande majorité des Exobasidium appartiennent aux Ericacées, la famille des « bruyères et apparentées », avec en tête les airelles (genre Vaccinium : la myrtille, l’airelle rouge, l’airelle des marais ou les canneberges) et les rhododendrons ou azalées (et notamment les espèces exotiques cultivées sous nos climats) mais aussi les arbousiers (Arbutus) plus méditerranéens, la rare andromède, les raisins d’ours (Arctostaphylos).

Cependant, il existe un petit lot d’espèces qui parasitent des plantes de la famille des Théacées avec E. vexans qui s’attaque aux plantations de théier (Camellia sinensis) et affecte la production des précieuses feuilles et fait l’objet de nombreuses études ou encore la fausse-cloque du camélia ornemental due à E. camelliae.

Des évolutions parallèles

Des relations parasite/hôte aussi confinées ne manquent pas d’interpeller les scientifiques : une étude allemande (4) a reconstitué l’arbre de parentés des Exobasidiales à partir de caractères reproductifs et de séquences génétiques appartenant à 46 espèces différentes dont 20 Exobasidium. Cette analyse confirme la monophylie du genre Exobasidium : toutes ces espèces partagent un ancêtre commun et forment un sous-groupe à part. En examinant de plus près les parentés entre Exobasidium, on peut dégager un scénario évolutif probable en observant que les espèces propres aux Théacées forment une lignée qui se détache à la base de l’arbre de parentés. Exobasidium aurait émergé comme parasite en même temps que se différenciait la lignée dite des Ericales au sein de laquelle on trouve les deux familles susnommées, les Théacées d’une part et les Ericacées d’autre part ; ceci explique la première dichotomie. Ensuite, dans les deux branches, parasites et hôtes auraient suivi une cospéciation, une évolution en parallèle : de nouveaux Exobasidium se sont différenciés au fur et à mesure que se différenciaient de nouvelles espèces d’hôtes. Dans la branche associée aux Ericacées, une nouvelle dichotomie se serait mise en place avec un groupe spécialisé sur la tribu des Ericoïdées (avec les Azalées ou Rhododendrons) et un autre dans la tribu des Vaccinioïdés (Airelles). Là, le modèle évolutif se complexifie puisqu’on constate qu’une même plante hôte peut héberger deux espèces d’Exobasidium pourtant plutôt éloignées d’un point de vue parenté (par exemple la myrtille avec E. myrtilli et E. arescens) et que le mode d’infection a évolué depuis un mode foliaire vers un nouveau mode affectant les tiges feuillées, ajoutant donc une nouvelle dichotomie évolutive.

Des friandises !

exob-friandise

Il est vrai que les galles poches des airelles ne manquent pas d’attirer l’attention et de susciter l’envie d’y goûter !

Pour terminer sur une note plus légère, signalons qu’en Amérique du nord, sur la côte Pacifique de la Colombie britannique (5), les galles rouges et rondes de 1 à 2cm de diamètre provoquées par E. vaccinii (tout au moins d’un groupe d’espèces parentes de celle-ci) sur une Ericacée locale, la fausse azalée (Rhododendron menziesii), sont connues de plusieurs ethnies locales sous le beau surnom « d’oreilles de fantômes » (ghost’s ears) et réputées comme friandises croustillantes et sucrées ! Dans la tradition locale, elles sont classées parmi les baies à cause de leur couleur rouge alors que la plante parasitée n’en produit pas, ses fruits étant des capsules sèches comme tous les rhododendrons. Elles entrent même dans la mythologie avec par exemple l’histoire de l’Ecureuil et du Corbeau chez l’ethnie Heilstuk : l’Ecureuil invita un jour tous les hôtes de la forêt sauf leur chef, le Grand Corbeau, pour venir manger chez lui des « baies » rouges ; le corbeau vexé détourna par la ruse les invités de leur chemin et put ainsi venir dérober chez l’Ecureuil les fameuses baies-galles !
Nous n’avons pas connaissance a priori de mentions de consommation de ces galles chez nous ; si d’aventure, un de nos lecteurs en a connaissance, nous serions preneurs d’une telle information. En attendant, faute de confirmation, il vaudrait mieux ne pas consommer ces belles « baies » rouges !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Introduction to fungi. Third edition. J. Webster ; R. W.S. Weber ; Cambridge University Press. 2007
  2. Les galles de France. P.Dauphin ; J.-C. Aniotsbehere. Mémoires de la Société Linnéenne de Bordeaux. Tome 2. 1997
  3. Artificial infection of Vaccinium vitis-idaea L. and defence responses to Exobasidium species. T. Pehkonen, J. Koskimäki, K. Riihinen, A. M. Pirttila , A. Hohtola, L. Jaakola, A. Tolvanen. Physiological and Molecular Plant Pathology 72 (2008) 146–150
  4. The Exobasidiales : an evolutionary hypothesis. D. Bedegerow ; R. Bauer ; F. Oberwinkler. Mycological Progress 1(2) : 187-199 ; 2002.
  5. « GHOST’S EARS » (Exobasidium sp. affin. vaccinii) AND FOOL’S HUCKLEBERRIES (Menziesia ferruginea Smith): A UNIQUE REPORT OF MYCOPHAGY ON THE CENTRAL AND NORTH COASTS OF BRITISH COLUMBIA. BRIAN D. COMPTON. J. Ethnobiol. 15(1):89-98 Summer 1999

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les plantes de la famille des Ericacées
Page(s) : p 120-125 ; p. 170-171 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus