La période géologique Pléistocène (entre – 2,6 Millions d’années et – 11700 ans) se caractérise par une succession de périodes glaciaires très froides avec le développement de véritables calottes glaciaires continentales, entrecoupées de périodes interglaciaires plus douces. Elle se termine avec la fin de la dernière glaciation et est suivie par la période dite Holocène avec le réchauffement climatique progressif qui s’ensuivit.

Il est révolu le temps des mégafaunes

Sur pratiquement tous les continents y compris en Australie, durant cette période, ont existé des communautés animales comprenant une proportion importante de grands (poids supérieur à 45 kg) ou de très grands animaux (poids supérieur à 1 tonne) : on désigne par le terme général de mégafaune ces ensembles d’animaux dominés par des géants. Il s’agit majoritairement de mammifères : on parle donc alors de grands mammifères et de mégamammifères ; mais on y trouve aussi de très grands oiseaux aptères du groupe des ratites actuels (autruches et apparentés) comme les moas en Nouvelle-Zélande ou l’oiseau-roc à Madagascar ou des tortues géantes.

Or, une écrasante majorité des espèces de cette mégafaune (et plus particulièrement les mégamammifères se sont éteintes les unes après les autres au cours du Pléistocène (jusqu’au début de l’Holocène) : on parle d’extinction en masse des mégafaunes du Pléistocène. Seule l’Afrique (et dans une moindre mesure l’Asie) ont partiellement échappé à cette hécatombe planétaire de la méga-biodiversité puisqu’actuellement y subsistent les seuls mégammifères terrestres : éléphants d’Asie et d’Afrique, rhinocéros africains et asiatiques, hippopotame et girafe.

L’exemple le plus connu et le plus documenté en terme de fossiles concerne l’extinction en masse de la mégafaune de mammifères en Amérique du nord avec la disparition d’espèces emblématiques comme les mammouths, les mastodontes, les tigres à dents de sabre, les paresseux géants mais aussi des animaux moins connus comme des castors géants, un ours géant, des chameaux ou des bisons. Nous renvoyons le lecteur vers le dossier détaillé consacré à cette « crise du vivant » publié dans le Guide critique de l’évolution (voir Ouvrages en bas de cette chronique).

megafaune-am-nord

Simultanément, l’Amérique du sud et l’Amérique centrale connurent le même phénomène encore plus marqué mais moins médiatisé et qui va affecter durablement les milieux sud-américains de la région dite néotropicale occupée pour une bonne partie par les vastes forêts tropicales amazoniennes.

Le grand chamboulement

L’Amérique du sud a connu une histoire géologique singulière, bien différente de celle de l’Amérique du nord du fait de son long isolement depuis environ – 65 millions d’années où elle est restée une île-continent sur laquelle, en vase clos (ou presque) ont évolué des faunes originales sans équivalent ailleurs, à la manière de ce qui s’est passé en Australie. On y trouve donc des groupes entiers disparus, inconnus ailleurs, très originaux. Là aussi, nous renvoyons à la lecture du dossier détaillé sur ce second sujet publié dans le Guide critique de l’Evolution (voir Ouvrages en bas de chronique).

Mais, à l’aube du Pléistocène, un événement incroyable va bouleverser cette histoire d’isolement : la surrection de l’isthme de Panama qui va souder l’Amérique du sud à l’Amérique du nord et entraîner le grand échange de faunes inter-Amériques par migrations des espèces via ce nouvel isthme, véritable corridor naturel. Cet échange complexe est lui aussi détaillé dans le dossier mentionné.

megaamsud-grand-echange

C’est donc dans ce contexte « agité » géologiquement que vont se mettre en place des communautés animales en partie immigrées (depuis l’Amérique du nord) avec une part importante de grands ou très grands mammifères. Parallèlement, le climat va donc connaître lui aussi une forte agitation avec la succession des cycles glaciaires qui impose ce que les paléontologues appellent le grand zig-zag : une série de modifications de la répartition et de la composition des communautés animales et végétales au gré de ces changements rapides sur de courtes périodes à l’échelle géologique (mais sans commune mesure pourtant avec celle que nous commençons à vivre actuellement qui est quasi fulgurante à la même échelle !)

L’incroyable mégafaune d’Amérique du sud

Entre le milieu du Pléistocène et le début de l’Holocène (soit jusque vers – 10 000 ans), l’Amérique du sud et centrale abritent pas moins de 36 espèces de mégammifères (donc d’un poids supérieur à une tonne) répartis dans 18 genres de la classification. Ce sont, pour ne citer que les plus spectaculaires :

– des Proboscidiens (groupe des Eléphants) de la famille des Gomphothères caractérisés par la présence de quatre défenses presque droites (deux en haut, deux en bas) : deux genres (Cuvieronus et Stegomastodon) avec au moins trois espèces : certains atteignent plus de 6 tonnes et ils modèlent les milieux herbacés ouverts par l’importance de leur présence

Les Gomphothères qui font partie du groupe des Mastodontes au sein des Proboscidiens avaient quatre défenses presque droites.

Les Gomphothères qui font partie du groupe des Mastodontes au sein des Proboscidiens avaient quatre défenses presque droites.

– des lointains parents géants des tatous actuels (groupe des Xénarthres) dotés d’une armure impressionnante et de massues d’armes épineuses au bout de leur queue : les glyptodontes

megaamsud-glyptodonte

– des paresseux géants terrestres sans équivalent actuel (les paresseux actuels sont arboricoles stricts), certains atteignant 6m de long : Mylodon, Megatherium, Glossotherium, Eremotherium, ….

– des « ongulés » de groupes entièrement disparus sans équivalents actuels : les Toxodontes aux allures de rhinocéros ou d’hippopotames et les étranges Macrauchenias (groupe des Liptoternes) improbables mélanges de camélidés et d’antilopes !

Une partie de ces animaux incroyables figurent, pour la petite histoire, dans le célèbre dessin animé L’âge de glace (mais avec les espèces nord-américaines ayant servi de modèle) !

A ces mégamammifères viennent s’ajouter une série de 46 grands mammifères (moins de une tonne et plus de 45 kg) répartis dans trente genres. Terminons avec des tortues géantes proches des Tortues des Galápagos actuelles mais avec des carapaces très épaisses « blindées » !

A la fin du Pléistocène/début de l’Holocène, 100% des mégammifères vont disparaître et 80% des grands mammifères aussi. De toute cette extraordinaire ménagerie, il ne reste que des espèces aux proportions bien plus modestes puisque les plus grands sont les tapirs avec un poids de 300 kg ; citons pour les plus connus, outre donc les tapirs, les pécaris, le tamanoir, l’ours à lunettes, des cervidés, les lamas et guanacos, le puma et le jaguar et le cabiai.

On voit donc que cette faune pléistocène avait un niveau de diversité très élevé mais qu’il n’en reste pratiquement plus rien, au moins pour la partie mégamammifères. 

Causes et conséquences de ce « blitzkreig » du vivant

Deux grandes séries de causes ont été invoquées pour expliquer l’ampleur et la rapidité de cette extinction en masse qui, rappelons le, a touché toute la planète : d’une part, des causes climatiques avec un changement majeur qui a entraîné des modifications profondes de la végétation et, d’autre part, l’intervention humaine selon l’hypothèse dite de l’overkill. Cette dernière, âprement par certains chercheurs, privilégie le rôle des populations humaines (surtout dans les pays comme l’Amérique du nord et du sud où l’homme n’est arrivé que tardivement) qui auraient anéanti par une chasse ciblée et excessive ces grandes espèces non habituées à fuir l’homme. Ces deux hypothèses ont fait et continuent de faire l’objet de controverses vives quant à leur chronologie et leur importance respectives : nous n’entrerons pas ici dans ce débat qui demanderait des dizaines de chroniques d’explications !

La disparition massive et brutale de ces grandes ou très grandes espèces aussi bien carnivores qu’herbivores a évidemment bouleversé le fonctionnement des écosystèmes tant au niveau des réseaux alimentaires que pour divers processus biologiques mettant en jeu des interactions animaux/plantes. L’exemple le plus fameux concerne la dispersion des graines des fruits charnus via leur transport dans le tube digestif des mammifères qui les ont mangé : c’est ce qu’on appelle le syndrome de dispersion de la mégafaune. La disparition des mégamammifères a entraîné de fait des ruptures dans ces processus qui se manifestent par des anachronismes de dispersion, évoqués dans la chronique « Pour qui sont ces très gros fruits ? ».

BIBLIOGRAPHIE

Les illustrations légendées de cette chronique sont extraites de deux dossiers publiés dans le Guide critique de l’Evolution (voir références ci-dessous dans Ouvrages) et sont l’œuvre de Alain Bénéteau.

  1. The broken zig-zag : late Cenozoic large mammal and tortoise extinction in South America. A.L. Cione ; E. P. Tonni ; L. Soibelzon. Rev. Mus. Argentino Cienc. Nat., n.s. ; 5(1) : 2003.
  2. Coloquios de Paleontología, Vol. Ext. 1 (2003) 617-625 ISSN: 1132-1660
  3. Paleodiet, ecology, and extinction of Pleistocene gomphotheres (Proboscidea) from the Pampean Region (Argentina). Begoña Sánchez, José Luis Prado and María Teresa. Alberdi. Coloquios de Paleontología, Vol. Ext. 1 (2003) 617-625
  4. Timing of Quaternary megafaunal extinction in South America in relation to human arrival and climate change. Anthony D. Barnosky, Emily L. Lindsey. Quaternary International 217 (2010) 10–29

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la mégafaune d'Amérique du nord
Page(s) : 444-454 Guide critique de l’évolution
Retrouvez la mégafaune d'Amérique du sud
Page(s) : 488-500 Guide critique de l’évolution