Lumbricus terrestris

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Cimetière de Riom (63)

En milieu urbain, les cimetières (et tout particulièrement les cimetières anciens) constituent des véritables « oasis de biodiversité » avec notamment les pierres tombales refuges pour des dizaines d’espèces de lichens par exemple. On y trouve aussi des espaces de pelouses et de terres remuées qui échappent plus ou moins au déversement généralisé de pesticides et hébergent des communautés animales et végétales parfois très diversifiées.

Des chercheurs anglais se sont intéressés à la faune du sol des cimetières en y étudiant les vers de terre. Ils apportent par la même occasion (et de manière accessoire dans leurs préoccupations  scientifiques !) une réponse à une accusation souvent récurrente dans le folklore populaire d’autrefois (mais peut-être aussi actuel ?) : les vers de terre « mangent les morts » !

Un cimetière victorien

L’étude s’est déroulée dans le vieux cimetière (ouvert en 1855) de la ville de Preston (Lancashire), entre Lancaster et Liverpool en Angleterre en sélectionnant deux secteurs : un dans la partie ancienne et un dans une autre partie ouverte plus récemment (années 1950) et construite sur d’anciens gravas et d’anciennes cultures.

La méthode d’étude a consisté à évaluer les populations présentes à l’aide d’un procédé bien connu consistant à arroser une surface avec un répulsif à base de moutarde ; c’est le procédé préconisé par l’observatoire de la biodiversité conduit par Le Muséum d’Histoire Naturelle dans le cadre de Vigie-Nature (2). D’autre part, après repérage des turricules, ces gros « tortillons » de terre digérée rejetée en surface par les vers et traitement au répulsif pour extraire les vers, les chercheurs ont injecté de la résine de polyuréthane de manière à mouler la galerie ; ensuite, avec une mini-pelleteuse, ils ont dégagé la terre autour pour dégager les galeries ainsi matérialisées.

Le grand lombric

Neuf espèces différentes de vers de terre ont été récoltées : ce chiffre est dans la norme pour un milieu de type pelouse herbeuse même s’il peut surprendre les non-initiés qui croient souvent qu’il n’existe que « le » ver de terre : la biodiversité des vers de terre reste considérable et capitale pour le fonctionnement des écosystèmes terrestres. On distingue trois grands groupes écologiques parmi ces diverses espèces : les vers de surface avec plusieurs espèces du genre Lumbricus (L. castaneus, L. rubellus ou L. festivus) ; des vers de faible profondeur et des vers plus spécialisés dans les couches profondes dont le lombric terrestre (Lumbricus terrestris), le « gros ver des pêcheurs à la ligne ». Comme ce dernier était l’espèce dominante dans le cimetière étudié (et qu’elle est connue pour creuser des terriers jusqu’à 3m de profondeur, ce qui rejoint la fameuse question des sépultures !), l’étude s’est centrée sur cette espèce.

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Lombric terrestre (identification non garantie)

Le lombric terrestre fait donc partie du groupe dit des anéciques qui creusent de grandes galeries verticales et qui, la nuit surtout, remontent à la surface pour récolter des déchets en surface (feuilles mortes) qu’ils entraînent dans leurs galeries pour les consommer. Ce grand ver mesure entre 8 et 30cm de long ; ici, l’individu le plus gros pesait 4,7g quand même !

La forme des galeries

Dans le cimetière ancien, au sol lourd argileux et gorgé d’eau en profondeur, la profondeur moyenne atteinte par les galeries était de 0,50m avec une forme classique, quasi-verticale sans galeries latérales et qui s’arrêtait au niveau supérieur de la nappe phréatique très superficielle. Même des jeunes lombrics ont été trouvés installés à cette profondeur ce qui laisse supposer qu’ils peuvent réutiliser des galeries d’adultes disparus, fait déjà observé en situation expérimentale. Les densités trouvées se rapprochent de celles de prairies permanentes ce qui confirme l’importance des milieux tels que cimetières comme refuges écologiques … pourvu que l’on se décide à cesser d’y utiliser des pesticides, tendance qui a l’air de se généraliser.

Par contre, dans le cimetière plus récent, les galeries les plus profondes ne dépassent pas 0,30m avec des formes très ramifiées dès 10cm de profondeur : les lombrics ne peuvent y creuser de galeries droites  verticales à cause des nombreux blocs de cailloux ou de briques liés au remblaiement du terrain. La couche limitée de sol n’empêche pourtant pas les lombrics d’y vivre et de coloniser le site, participant ainsi, très progressivement, à la restauration du sol en brassant les couches. Ceci montre que même les espèces anéciques (« profondes ») peuvent s’adapter à des environnements perturbés en modifiant la conformation de leurs galeries.

La question des sépultures !

Dans le cas du cimetière de Preston au moins, on peut donc rassurer ceux qui seraient « angoissés » par la très lointaine perspective d’être « dévorés par les lombrics » : les vers de terre, même les plus en profondeur, ne vont pas au-delà de 0,50m, soit très loin de la profondeur à laquelle on dépose un cercueil. Cependant, on notera que dans ce cas précis, deux facteurs ont limité la marge de manœuvre des lombrics : la nappe d’eau souterraine très superficielle et les déblais enterrés. Dans d’autres contextes, peut être que les lombrics terrestres vont plus profondément comme cela a été observé dans des terres remuées de cultures ; mais , dans un cimetière, la terre n’est remuée qu’une fois puis se tasse ce qui créé un contexte moins favorable à un fouissement profond.

Au delà de ce dernier résultat plus « folklorique », cette étude a le mérite d’attirer l’attention sur l’importance des cimetières en tant que milieux de …. vie qu’il convient de protéger et de revaloriser dans l’imaginaire populaire pour cet autre aspect.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Earthworms of an urban cemetery in Preston: General survey and burrowing of Lumbricus terrestris. Butt, Kevin Richard, Lowe, Christopher Nathan and Duncanson, Pam. University of Central Lancashire. 2014
  2. Vigie Nature école : sur ce site, on peut découvrir des fiches techniques très intéressantes sur les vers de terre  : http://www.vigienature-ecole.fr/les-observatoires/le-protocole-des-placettes-vers-de-terre

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les vers de terre urbains
Page(s) : 268 Le guide de la nature en ville