Lysimachia/ Anagallis

Au cours des dernières décennies, avec notamment les énormes progrès apportés par les analyses génétiques, la classification du monde vivant et tout particulièrement celle des plantes à fleurs a connu de profonds remaniements avec des redistributions d’espèces dans les différents niveaux de la hiérarchie de la classification (genres, familles, ordres, …). Ces changements conduisent à modifier la nomenclature (les noms scientifiques attribués aux plantes) et à donc bouleverser parfois des habitudes bien enracinées dans la tête des naturalistes et à susciter des réactions épidermiques agacées. La publication de la nouvelle flore de France, Flora Gallica, a cristallisé nombre de ces critiques alors qu’elle prend enfin en compte toutes ces modifications (dont certaines datent de plusieurs dizaines d’années).

Ainsi, les mourons autrefois classés dans le genre Anagallis viennent depuis la fin des années 2000 d’être « déclassés » pour être incorporés dans le genre Lysimachia, les lysimaques. Ainsi le mouron rouge (ex-Anagallis arvensis), très connu comme compagne des cultures, doit désormais être nommé Lysmachia arvensis. Quelles sont les raisons de ce changement radical et, surtout, quel en est le sens ? Autrement dit, que nous disent ces changements sur ces plantes et leur histoire ?

lysimaque-mrouge

Mouron rouge (Lysimachia arvensis).

NB : Pour s’y retrouver dans la suite, nous mettrons le radical ex- devant les noms usités jusqu’alors et donc devenus désuets depuis les études mentionnées ci-dessous.

Même Linné y avait pensé !

Qualifié de « révolutionnaire » par certains, ce reclassement des mourons au sein des lysimaques avait pourtant déjà effleuré Linné en personne, lui qui en 1753 avait nommé le mouron délicat, … Lysimachia tenella ! En 1771, il avait fait machine arrière et replacé le dit mouron dans le genre Anagallis : c’est ainsi que jusqu’à un passé récent, tous les botanistes connaissaient le mouron délicat sous le nom latin d’Anagallis tenella.

lysimaque-tenella

Mouron délicat (Lysimachia tenella)

Dès les années 1990, des chercheurs avaient attiré l’attention sur des ressemblances étonnantes entre des espèces pourtant classées à l’époque chacun dans un des deux genres. Ainsi, la lysimaque à feuilles de serpolet (Lysimachia serpyllifolia) sous-arbrisseau endémique des rocailles d’altitude de Crète et de Grèce présente t’elle une surprenante ressemblance avec le mouron rouge à deux « détails » près : des fleurs jaunes (et non rouges ou bleues) et des fruits secs qui s’ouvrent par des valves (et non selon un cercle équatorial).

De la même manière, plus près de nous, on avait aussi rapproché le mouron rouge et la lysimaque des bois (L. nemorum) aux mêmes détails près. Tous les deux partagent un port rampant couché, des feuilles ovales sessiles, des fleurs solitaires sur des pédoncules à l’aisselle des feuilles et qui se recourbent quand la fleur est devenue un fruit.

Tout le monde s’accordait néanmoins pour faire de la tribu des Lysimachieae un groupe cohérent avec ses feuilles entières, sa corolle profondément lobée et enroulée en spirale au stade bouton floral ; on y classait six genres : les lysimaques avec 180 espèces (une majorité en Chine), les mourons (ex-Anagallis) avec 30 espèces essentiellement africaines et quatre petits genres ne comptant que quelques espèces ; trois d’entre eux sont présents en France : le glaux maritime (ex-Glaux maritima), l’astéroline en étoile (ex-Asterolinon linum stellatum) et la trientale (ex-Trientalis europaea).

Mais ressemblance étroite ne signifie pas forcément parenté étroite comme le prouvent de nombreux exemples de convergences évolutives. C’est là que la génétique, avec la comparaison de séquences de marqueurs de l’ADN du noyau ou des chloroplastes, est intervenue et a permis d’y voir plus clair.

Des mourons au double visage

Plusieurs analyses génétiques ont successivement démontré et confirmé que les trientales, astérolines, glaux et mourons se répartissent au « milieu » de l’arbre de parentés qui réunit toutes les lysimaques ; autrement dit, ils se trouvent intercalés au milieu des ramifications qui conduisent aux différentes sous-lignées de lysimaques.

Le plus surprenant de tous reste le glaux maritime, petite plante des suintements salés en bord de mer qui se retrouve « niché tout seul » au milieu d’un groupe de lysimaques, dont la lysimaque de Chine (L. clethroides) très connue comme ornementale pour l’élégance de ses inflorescences en forme de « cou de cygne » ! Le glaux a des fleurs sans pétales avec un calice coloré qui joue ce rôle. Il s’appelle donc désormais Lysimachia maritima. Il a du évoluer à partir d’une lignée de lysimaques dans une direction radicalement différente, peut être en relation avec la colonisation d’un milieu de vie très particulier.

on connaît dan sel reste du genre Lysimachia d’autres exemples de transformations assez importantes et qui s’éloignent fortement du « supposé modèle commun ». Ainsi la lysimaque à fleurs en thyrse, une rareté de notre flore du bord des eaux, présente un aspect déroutant par rapport à ses consœurs. Elle se situe pourtant dans la même lignée que la lysimaque vulgaire.

La trientale et les astérolines (tous les deux très rares en France) se retrouvent associés avec un petit groupe d’espèces d’ex-Anagallis : le mouron rouge (et son très proche homologue, le mouron bleu) et le mouron de Monellus, espèce méditerranéenne de plus en plus cultivée comme ornementale. Ils sont étroitement apparentés avec la lysimaque des bois ce qui confirme la prémonition des botanistes au seul examen des caractères morphologiques (voir ci-dessus). Le reste des mourons avec notamment le mouron délicat, superbe petite plante des tourbières et marais, se retrouve sur une autre branche de cet arbre ; autrement dit, les mourons, tels qu’on les définissait auparavant, n’avaient pas de réalité historique ; ils ne partagent pas d’ancêtre commun immédiat ; les mourons rouge et de Monellus sont plus apparentés à des lysimaques (comme la Lysimaque des bois) qu’aux autres mourons !

Un bouleversement éclairant

Cet exemple illustre bien l’intérêt de tels changements qui ne sont pas les fruits de lubies de tel ou tel botaniste. Ils répondent au cahier des charges fixé par C. Darwin et la théorie de l’évolution : reconstituer au plus près l’histoire du vivant en déjouant les pièges des ressemblances ou, plus rarement comme ici, en les prenant en compte pour mieux réunir des espèces séparées !

Les naturalistes désarçonnés par de telles ruptures réagissent souvent en arguant que « ce n’est pas pratique » de changer ainsi de nom. Rappelons que dès lors que l’on se met à utiliser les noms latins (on n’y est pas obligés !), on se place dans le champ de la science et de ses progrès et découvertes et la science ne connaît pas la notion de « commodité » mais la rigueur. Si on refuse ce changement de nom scientifique, alors on doit se contenter d’utiliser le nom vernaculaire (par exemple mouron rouge qui, lui, ne change pas) mais dans ce cas, on n’est plus complètement dans le champ scientifique, ce qui n’enlève rien au plaisir de découvrir et d’observer ces charmantes fleurs !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Phylogeny and floral evolution of the Lysimachieae (Ericales, Myrsinaceae): evidence from ndhF sequence data. ARNE A. ANDERBERG, ULRIKA MANNS & MARI KÄLLERSJÖ. Willdenowia 37 – 2007
  2. New combinations and names in Lysimachia (Myrsinaceae) for species of Anagallis, Pelletiera and Trientalis. ULRIKA MANNS & ARNE A. ANDERBERG Willdenowia 39 – 2009
  3. GENERIC REALIGNMENT IN PRIMULOID FAMILIES OF THE ERICALES S.L.: A PHYLOGENETIC ANALYSIS BASED ON DNA SEQUENCES FROM THREE CHLOROPLAST GENES AND MORPHOLOGY. MARI KÄLLERSJÖ,G. BERGQVIST, AND ARNE A. ANDERBERG. American Journal of Botany 87(9): 1325–1341. 2000.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les mourons et lysimaques cultivées
Page(s) : 566 à 568 Guide des Fleurs du Jardin
Retrouvez la lysimaque des bois
Page(s) : 88 Guide des Fleurs des Fôrets
Retrouvez le glaux maritime
Page(s) : 226 Guide des plantes des bords de mer