Sous le terme informel d’oiseaux de basse-cour, on regroupe traditionnellement tous les oiseaux élevés dans la cour de la ferme réservée à cet usage (la basse-cour) pour leurs œufs ou leur chair : poules et coqs et poulets, pintades, canards, oies, dindes et dindons sans oublier les paons même si leur usage alimentaire a disparu. On peut aussi nommer ces oiseaux sous le terme collectif de volaille (mot issu du vieux français volille ou voleille, lui-même dérivé de volatile) mais ce terme englobe en plus les pigeons (que l’on n’inclut pas classiquement dans les oiseaux de basse-cour), ce qui perturberait par contre le sens de notre chronique !

Il se trouve que ce groupe hautement informel et d’essence économique, qui associe donc des oiseaux « aquatiques » (des palmipèdes) et terrestres a priori bien différents, s’inscrit à part entière dans un groupe scientifique de la classification phylogénétique.

Les Galloansérés

Avec ce néologisme scientifique, on désigne un groupe (un clade) d’espèces qui partagent un ancêtre commun (et qui ont donc une histoire commune) et réparties en deux sous-groupes divergents : les Ansériformes et les Galliformes (voir arbre de parentés ci-dessous) ; d’où la construction du mot Gallo/ansérés. Présentons très succinctement ces deux groupes dont beaucoup de représentants exotiques nous sont familiers car souvent présents dans les parcs zoologiques :

– les Ansériformes comprennent les kamichis (Anhimidés) (voir ci-dessous), la canaroie semiplamée d’Australie (Anseranatidés) et les Anatidés avec les canards, oies, bernaches, cygnes, tadornes, harles, garrots, macreuses, dendrocygnes, ….

– les Galliformes avec les mégapodes (gros oiseaux d’Australasie qui bâtissent des tumulus pour y faire couver leurs œufs par la chaleur dégagée !), les Hoccos des forêts tropicales d’Amérique du sud (Cracidés), les pintades africaines (Numididés), les Colins d’Amérique du nord (Odontophoridés) et la vaste famille des Phasianidés (178 espèces) avec paons, faisans, perdrix, lagopèdes, grouses, tétras, cailles, dindons, coqs, francolins, tragopans, ….

Toutes les analyses moléculaires à partir de marqueurs génétiques différents (segments d’ADN) confirment la légitimité de ce groupe (1) ainsi que celle des deux sous-groupes qui le compose et valident du coup cette fameuse notion d’oiseaux de basse-cour comme scientifiquement correcte. En utilisant ce mot populaire, nous faisons, tels Monsieur Jourdain, de la taxonomie sans le savoir !

arbre-galloanseres

La position de ce groupe très près de la base indique l’ancienneté de ses origines (voir ci-dessous) avec comme plus proches parents antérieurs, les struthioniformes. Par ailleurs, ils forment le groupe-frère (le plus apparenté) de tous les autres oiseaux restants, appelés globalement les Néoaves.

Des caractères communs partagés

Les plus proches parents des poules et dindons sont donc bien les oies et canards, en dépit de leur apparente forte dissimilitude qui frappe le moindre observateur : quoi de commun entre des palmipèdes aquatiques à bec à lamelles et des gallinacés à pattes fortes et au bec fort. Cet aspect a d’ailleurs longtemps fait obstacle à la mise en avant de ce groupe pressenti dès 1898 mais rejeté ensuite à cause de trop nombreux traits morphologiques dissemblables ; en fait, ils correspondent simplement à deux écologies fort différentes retenues dans chacune de ces deux branches : une voie « aquatique » pour les Ansériformes et une voie « terrestre » pour les Galliformes.

Au delà des données moléculaires décisives mais qui nous parlent bien peu quand on observe ces oiseaux, on peut dégager un certain nombre de caractères partagés au sein de ce groupe et qui leur sont propres (des apomorphies) :

– des caractères osseux au niveau de la mandibule inférieure du bec qui porte deux prolongements marqués : un processus angulaire incurvé vers l’arrière et un processus médial redressé ; ils sont absents chez tous les autres oiseaux du groupe frère des Néoaves (caractère ancestral) et leur présence ici est un caractère dérivé

– des caractères anatomiques originaux au niveau d’un nerf et de l’intestin

– un même mode de reproduction avec des couvées de grande taille et des jeunes nidifuges, capables de quitter le nid dès la naissance ; pensez aux canetons, oisons ou aux poussins !

– un même mode social avec le mâle qui monte la garde pendant l’incubation assurée par la femelle mais ne participe pas à l’incubation des œufs ni à l’élevage des jeunes.

Ils ont connu les dinosaures

Les galloansérés réunissent plus de 450 espèces ce qui en fait malgré tout un groupe assez restreint au milieu des 9000 espèces d’Oiseaux. Ceci résulte de leur ancienneté : le groupe « y a laissé des plumes » !

Les données moléculaires permettent aussi de proposer des fourchettes de dates (selon le principe des horloges moléculaires) quant à l’origine du groupe (2). Elles situent la racine du groupe dans le Crétacé supérieur entre – 85 et – 135 Millions d’années, donc à une période où les dinosaures étaient encore largement présents puisque les dinosaures non aviens ont disparu à – 65 Ma. Les deux groupes (ansériformes et galliformes) auraient divergé à partir d’un ancêtre commun à peu près 12 à 14 Ma (point n° 2 de l’arbre) après que la lignée souche ne se soit différenciée des autres oiseaux actuels (point n° 1). Quelques rares fossiles peu nombreux et très fragmentaires malheureusement complètent plus concrètement ce tableau historique.

Vegavis irai est connu sous forme de restes squelettiques retrouvés dans des roches de l’île Vega en Antarctique, datées de – 66 à – 68Ma : les caractères osseux le situent déjà sur la lignée des ansériformes (4), mais l’absence de crâne ne permet pas de préciser son mode alimentaire. La re-description récente d’un fossile de la même période trouvé dans des roches du Wyoming et nommé provisoirement…. UCMP 53969, (3), réduit à un os de l’articulation de la mâchoire, conduit à le placer tout près de la séparation Ansériformes/Galliformes mais plutôt là aussi sur la branche Ansériformes. L’oiseau qui portait cet os était d’assez petite taille, ce qui expliquerait pourquoi on trouve si peu de fossiles correspondant à ce groupe à cette période d’émergence du groupe. L’accroissement de la taille n’aurait eu lieu au sein des deux lignées que plus tard, sous l’effet entre autres de la sélection sexuelle en faveur de mâles plus grands.

Il semble que l’évolution de ce groupe ait eu lieu à partir d’ancêtres terrestres (voir la parenté avec les ratites) et que dans la branche divergente des ansériformes se soit développée une orientation aquatique plus marquée. Cependant, même dans cette branche, on notera le cas des kamichis à la base du groupe : ces grands oiseaux des zones humides d’Amérique du sud (3 espèces) ont de fortes pattes à grands doigts juste palmés à la base et un bec qui extérieurement rappelle celui d’un poulet ; ils détonnent dans ce groupe par leur apparence plus « terrestre ». Notons aussi que de nombreuses oies se nourrissent presque exclusivement à terre en pâturant l’herbe et les cultures : les ansériformes ne sont pas aussi inféodés au milieu aquatique qu’il n’y paraît.

 

Retour à la basse-cour

Pour terminer par une note moins technique, remarquons que d’un point de vue économique, si ce groupe nous a fourni les oiseaux de basse-cour pour la chair et les œufs (ajoutons au passage les élevages de cailles), il nous a apporté aussi :

– des oiseaux d’ornement comme les canards mandarins ou carolins et les tadornes casarcas ou les faisans multicolores et les paons

– du duvet avec les oies et les eiders ou des plumes pour la pêche avec les coqs et des plumes pour écrire (autrefois !)

– des coqs de combat

– des personnages mythiques de dessins animés : Donald Duck et Daisy !

– et surtout la majorité des « oiseaux-gibier » (gamefowl des anglais) : faisans, perdrix, lagopèdes, grouses, tétras, cailles, francolins (en Afrique) d’un côté et canards ou oies de l’autre (et cygnes autrefois !).

Remarquons d’ailleurs que cet engouement humain pour les galloansérés n’est sans doute pas fortuit mais lié justement à leur histoire phylogénétique : de gros oiseaux faciles à élever avec des plumages souvent colorés (encore l’effet de la sélection sexuelle), des pontes abondantes avec de gros oeufs, et des jeunes nidifuges très débrouillards !

La phylogénie n’en finit pas de recouper l’ordinaire de la vie humaine ce qui, somme toute, semble bien normal puisque le rôle de la phylogénie est de donner du sens à ce qui nous entoure en révélant la dimension historique du vivant !

Gérard GUILLOT ; Zoom-nature.fr

BIBLIOGRAPHIE

  1. A phylogenetic supertree of the fowls (Galloanserae, Aves). SOO HYUNG EO, OLAF R. P. BININDA-EMONDS & JOHN P. CARROLL. Zoologica Scripta, 38, 5, September 2009, pp 465–48
  2. A molecular timescale for galliform birds accounting for uncertainty in time estimates and heterogeneity of rates of DNA substitutions across lineages and sites. Sergio L. Pereira , Allan J. Baker.Molecular Phylogenetics and Evolution 38 (2006) 499–509
  3. A GALLOANSERINE QUADRATE FROM THE LATE CRETACEOUS LANCE FORMATION OF WYOMING. A. ELZANOWSKI ; T. STIDHAM. The Auk 128(1):138- 145, 2011
  4. Definitive fossil evidence for the extant avian radiation in the Cretaceous. Julia A. Clarke, Claudia P. Tambussi, Jorge I. Noriega ,Gregory M. Erickson & Richard A. Ketcham NATURE | VOL 433 | 20 JANUARY 2005 |

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les Galloansérés et leurs caractères
Page(s) : 422-423 Classification phylogénétique du vivant. Tome II. 4ème édition revue et augmentée
Retrouvez les Ansériformes de France
Page(s) : 66-102 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez les Galliformes de France
Page(s) : 262-273 Le Guide Des Oiseaux De France