Eryngium ; Apiaceae

Le genre panicaut (Eryngium) compte près de 250 espèces et renferme le plus d’espèces dans la famille des Ombellifères. Il se distingue par des caractères originaux qui le situent dans une sous-famille à part au sein des Ombellifères : les Saniculoïdées (voir chronique sur la sous-famille). Ces espèces se trouvent sur tous les continents et leur classification et leur histoire restent un casse-tête pour les systématiciens. Des données génétiques accumulées sur plus de 150 de ces espèces (1 et 2) permettent de commencer à y voir clair dans cet « univers des panicauts » et de déchiffrer une part de leur histoire évolutive jalonnée d’évènements assez extraordinaires.

Une incroyable diversité

Le premier problème avec les panicauts, c’est leur extrême diversité morphologique. On connaît des espèces prostrées à ras de terre comme des espèces géantes atteignant 3m de haut en forme de candélabres comme en Amérique. La plupart sont des vivaces herbacées mais il existe des formes ligneuses et des formes annuelles. Les feuilles peuvent être avec un long pétiole ou sans pétiole, avec des limbes très découpés ou presque entières, avec des bords poilus ou épineux ou avec des nervures principales pennées, palmée voire parallèle (comme des feuilles de Monocotylédones) !

Au niveau floral (voir chronique sur la sous-famille), l’involucre externe de bractées est le plus souvent très voyant mais peut aussi devenir très réduit ; les bractées florales (une par fleur : ceci est un caractère unique des panicauts dans leur sous-famille) du sommet du capitule peuvent former une sorte de « houppette » (un peu comme les ananas). Les fruits portent des écailles et/ou des vésicules mais sont parfois nus.

Combinez ces caractères dans tous les sens et vous aurez une idée de cette diversité dont nous ne connaissons en France qu’une toute petite facette. Ajoutez une propension à l’hybridation entre espèces proches et une certaine facilité à doubler leur nombre de chromosomes et vous obtenez un groupe « cauchemar » pour les systématiciens !

Une histoire complexe

Depuis longtemps, à partir de la répartition des espèces, on avait pressenti quatre grands centres de diversification : un dans le centre-ouest du Mexique, un dans le centre-est de l’Amérique du sud, un en Méditerranée occidentale (avec notamment le panicaut maritime) et un dernier centré sur le sud-ouest de l’Asie et le centre-est de l’Europe. Deux tiers des espèces connues se trouvent en Amérique du Nord, centrale ou du Sud qui apparaît donc comme un continent clé dans l’histoire des panicauts. Mais quels liens entre ces quatre centres et surtout dans quel ordre s’est faite leur évolution ? Comment concilier des centres aussi éloignés les uns des autres ? Comment expliquer la présence de panicauts aussi bien en Australie, en Californie qu’au Chili ? Les analyses génétiques commencent à entrouvrir la porte sur ces mystères.

L’Ancien Monde : le berceau originel

L’arbre de parentés  sépare clairement d’emblée deux grands groupes : un ensemble d’espèces (en rouge sur le schéma) réparties en Eurasie d’où le surnom de groupe de « l’Ancien Monde » et un autre, bien plus diversifié (en bleu sur le schéma) surnommé du « Nouveau Monde » avec des espèces presque toutes réparties aux Amériques ou autour du Pacifique.

L’arbre situe l’origine de tout le groupe des Panicauts dans l’Ouest du Bassin méditerranéen à partir d’un groupe d’espèces habitant actuellement des milieux rocailleux secs comme par exemple Eryngium glaciale que l’on trouve dans l’extrême sud de l’Espagne (en Sierra Nevada) et dans le Nord-Ouest Africain.

Un premier événement de dispersion conduisit à l’installation du groupe dans tout le centre-est Europe jusque dans le sud-ouest asiatique, peut-être par installation dans des milieux steppiques secs proches de l’habitat originel et donc probablement par voie terrestre. Il s’en suivit une véritable « explosion » d’espèces qui se sont rapidement différenciées en colonisant toutes sortes de milieux dont les milieux côtiers ou montagneux avec de nombreuses niches écologiques différentes propices à la naissance de nouvelles espèces (spéciation). On appelle radiation évolutive une telle diversification sur une période de temps relativement brève avec occupation de nombreuses niches nouvelles.

C’est dans ce groupe que l’on trouve la majorité des espèces de Panicauts de la flore européenne et dont certaines nous sont familières, soit comme ornementales (par exemple le panicaut bleu ou le panicaut géant), soit comme espèces sauvages. Parmi ces dernières, il y a des espèces répandues comme le panicaut champêtre ou le panicaut maritime (sur le littoral) et d’autres localisées en montagne, dans les Alpes comme le panicaut des Alpes (plus connu sous le vocable de « chardon bleu des Alpes ») ou dans les Pyrénées comme le panicaut de Bourgat.

A la conquête du Nouveau Monde

A la base de la grande lignée du Nouveau-Monde se trouve un petit groupe de quatre espèces actuelles de l’ouest européen méditerranéen mais inféodées à des milieux semi-humides (trempés en hiver mais pouvant se dessécher en été) ; on y trouve le rarissime panicaut vivipare, espèce prostrée des pelouses rases inondables, presque éteinte en Bretagne,.

C’est là que se situerait un événement clé dans l’histoire des panicauts ; une des espèces issue de ce petit groupe (et sans doute disparue depuis) a connu un événement exceptionnel, ce qu’on appelle un événement majeur de dispersion à très longue distance … à travers l’Océan Atlantique. Quelques graines ou fruits ont réussi à traverser l’Océan, à atteindre les côtes américaines, à germer et à s’installer dans ce nouvel environnement, véritable tête de pont pour un eldorado, les grands espaces américains.

panicaut-plantules

Plantules de panicaut maritime à la base d’une dune, nées de la germination de fruits échoués

Longtemps, on a jugé impossible ce genre d’événement qualifié d’improbable. Mais, pourtant, on connaît des exemples actuels d’espèces arctiques réparties des deux côtés de l’Atlantique. Un exemple frappant démontré récemment concerne par exemple un le séneçon du Mojave présent dans l’Ouest américain et … dans le sud-ouest de l’Asie (autour de l’Arabie) : l’analyse génétique confirme l’étroite parenté de ces deux populations très éloignées géographiquement et pointe un événement de dispersion transatlantique il y a 2 ou 3 millions d’années, soit par le vent soit par des oiseaux.

Or, la majorité des panicauts ont des fruits couverts de vésicules propices à un transport par l’eau (comme c’est le cas chez le panicaut maritime de nos côtes dont les graines restent viables même après 40 jours passées dans l’eau de mer) ; d’autres ont des fruits très petits et légers, propices à un transport par le vent ou accrochés aux plumes des oiseaux.

Ce premier événement a conduit de nouveau à une nouvelle radiation explosive sur le sol américain au Mexique (avec des espèces dotées d’un involucre argenté très voyant) et dans l’Est des U.S.A. (espèces basses des prairies +/- humides) ; l’ordre chronologique de ces deux diversifications n’est pas clairement établi à cause notamment de la rapidité de ces radiations qui complique la tâche des généticiens.

La troisième vague sud-américaine

A partir d’un foyer situé dans les hautes Andes de Bolivie et d’Argentine, dans la région des Yungas (hautes vallées forestières), une nouvelle vague de dispersion avec une série de radiations explosives a conduit à la différenciation de groupes qualifiés de type « monocotylédones » à cause de leurs feuilles allongées à nervures presque parallèles. Parmi eux, figurent des espèces qui commencent à se répandre comme ornementales en Europe comme le panicaut à feuille d’agave ou le panicaut à feuilles de yucca.

Pour clore cette épopée de grands voyageurs, un dernier groupe dit « Pacifique » a connu une série de plusieurs évènements à très longue distance probablement depuis les côtes chiliennes vers la Californie, l’Australie et même l’archipel Juan Fernandez situé à 700 kms au large du Chili ! Tout ceci nous évoque un peu l’expédition humaine du Kon-Tiki !

BIBLIOGRAPHIE

  1. The evolutionary history of Eryngium (Apiaceae, Saniculoideae): Rapid radiations, long distance dispersals, and hybridizations. Carolina I. Calvinoa, Susana G. Martinezc, Stephen R. Downie. Molecular Phylogenetics and Evolution 46 (2008) 1129–1150
  2. Unraveling the taxonomic complexity of Eryngium L. (Apiaceae, Saniculoideae): Phylogenetic analysis of 11 non-coding cpDNA loci corroborates rapid radiations. Carolina I. Calviño, Susana G. Martínez and Stephen R. Downie. Plant Div. Evol. Vol. 128/1–2, 137–149 Stuttgart, 2010

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les panicauts cultivés ornementaux
Page(s) : 139-140 Guide des Fleurs du Jardin
Retrouvez le panicaut maritime
Page(s) : 174 Guide des plantes des bords de mer