Dans les paysages cultivés, les haies représentent un élément clé pour le maintien de la biodiversité : elles offrent abris, sites de reproduction, nourriture et voie de communication (corridor) pour la faune et la flore dites ordinaires (ou pas !). De nombreuses études ont démontré l’importance de leur présence pour le maintien de la diversité au niveau de certains groupes comme les oiseaux, les petits mammifères, les serpents et lézards et l’immense cortège des « petites bêtes » dont les araignées, les coléoptères ou les papillons par exemple (voir la chronique sur les papillons de nuit). Cet effet « oasis de biodiversité » tient avant tout à leur structure de forêt ou de fourré en mode linéaire enrichi par les importants effets de lisière au contact avec les autres milieux (cultures, bandes herbeuses, prairies, ..). Les études scientifiques sur les haies et la biodiversité associée se sont majoritairement concentrées sur leur structure et composition « hors sol » : présence ou pas de grands et vieux arbres, diversité des essences, garniture plus ou dense de buissons, … etc. Par contre, les pieds des haies, leur interface avec le sol support, ont été largement négligés, voire non considérés. Une étude d’une équipe française a exploré cette partie de la haie, son « côté obscur », pour en évaluer l’impact sur la biodiversité (1).

NB : les photos qui illustrent cette chronique ont été prises en Auvergne dans des bocages extensifs dont les haies sont bien plus riches que celles des paysages intensifs étudiés ; mais la réalité des microhabitats reste valable ! 

Vieille haie bocagère avec de grands arbres anciens (Auvergne)

Microhabitats

Simple talus où l’on devine diverses « irrégularités » : des racines, des pierres, du lierre, un peu de végétation, du bois mort, des feuilles mortes, .. Autant de microhabitats !

Nous avons déjà abordé cette notion à propos des arbres en forêt (voir la chronique). Dès que l’on observe d’un peu plus près, on se rend effectivement vite compte que le pied des haies renferme aussi de nombreux microhabitats sous forme de structures complexes intriquées : les racines superficielles des grands arbres qui génèrent des irrégularités là où elles pénètrent dans le sol ; les bases des très vieux arbres souvent creuses ; les pierres plus ou moins grosses, plus ou moins serrées, voire sous forme de murettes ou de tas ; les plages de sol nu ; les amas de feuilles mortes regroupées par le vent ; le bois mort sous forme de vieilles souches ou de branches tombées ; la végétation herbacée au pied des arbres et buissons ; les tapis de mousses ou de lierre couvrant au sol ; les restes d’animaux morts dont les coquilles d’escargots vides ; les terriers de gros animaux et les déblais associés ; …

A tout cet ensemble hétéroclite, il faut ajouter trois éléments clés souvent étroitement associés à la haie : les talus plus ou moins prononcés et pentus, les bandes herbeuses (dont les chemins) et les fossés de bordure.

Ainsi, pour cette étude, pas moins de 33 variables ont été retenues pour caractériser chaque haie ! Tout ceci pourrait paraître du détail, une liste improbable à la Prévert mais chacun de ces « petits » éléments représente autant de possibilité d’abriter ou de nourrir telle ou telle espèce fortement dépendante de cet élément. Ceci concerne fortement les espèces sédentaires peu mobiles qui doivent disposer d’abris pour passer l’hiver sous une forme ou une autre ; de même en plein été, lors de vagues de sécheresse ou de canicule, ces mêmes espèces doivent pouvoir trouver refuge sur place en s’abritant justement dans ce puzzle d’abris au pied de la haie. Certaines espèces animales mènent une vie « cachée » et sortent très peu de ces abris. Même pour la flore, toutes ces discontinuités offrent autant de sites diversifiés d’implantation et de possibilités d’avoir accès qui à la lumière, qui à l’ombre, qui au sol profond, …

Ces quelques mètres regorgent de microhabitats intriqués : un paradis pour la faune petite ou grande.

Inventaire flash

Pour atteindre un niveau de fiabilité suffisant, les chercheurs avaient besoin d’inventorier un grand nombre de haies les plus diverses possibles en termes de microhabitats car il faut en plus prendre en compte la diversité des environnements périphériques qui pourraient induire des biais ; ici, près de 70 haies ont été retenues dans le Centre-Ouest dans des régions où 80% des haies ont disparu au cours des cinquante dernières années. Seconde contrainte majeure : prendre en compte un maximum de groupes d’êtres vivants les plus différents possibles en termes de traits de vie et de cycles de vie et ne pas se centrer sur un seul groupe (par exemple, les oiseaux ou les papillons de nuit) qui ne permet pas de généraliser. Atteindre cet objectif de couvrir une large gamme de groupes soulève un écueil considérable : l’identification des innombrables espèces ! Cette difficulté peut paraître minime pour un non initié qui tend à croire que la biodiversité ordinaire, sous nos climats et dans un paysage humanisé, se résume à quelques espèces bien connues : « la » coccinelle, « l »’araignée, « le » lézard, … La réalité est toute autre : dès que l’on aborde les « petites bêtes », escargots, vers, insectes, araignées et autres arthropodes, on atteint vite des chiffres qui donnent le tournis : des centaines d’espèces d’araignées très difficiles à distinguer entre elles, des centaines d’espèces de papillons de nuit et leurs chenilles (voir la chronique), … (voir aussi la chronique Passion biodiversité). Ajoutons enfin que pour identifier nombre de ces espèces, il faut sacrifier des individus pour les observer à la loupe voire les disséquer : ceci pose le problème des prélèvements et de leur impact possible sur les populations locales (via certaines méthodes piégeage) ; et quid des espèces protégées pour lesquelles aucun prélèvement n’est autorisé ? 

Face à ces multiples défis, les chercheurs ont mis au point une méthode simplifiée non létale de recensement de la biodiversité, sans prélèvement direct  qui repose sur la notion de morpho-espèce : on regroupe un ensemble d’espèces plus ou moins proches et délicates à distinguer entre elles et que l’on peut « identifier » à vue ou après une prise de photo. Ces morpho-espèces peuvent se situer à des niveaux très variés par rapport aux catégories de la classification : par exemple, dans cette étude, les chercheurs ont délimité la morpho-espèce « cloportes » avec plus d’une dizaine d’espèces, « syrphes » avec plus d’une centaine d’espèces ; d’autres  morpho-espèces se trouvent plus réduites comme les deux escargots du genre Cepaea, très communs dans les haies ou les hyponomeutes, ces petits papillons de nuit dont les chenilles vivent en colonies sur des buissons des haies. Certaines espèces typiques peuvent aussi être directement identifiées à vue comme de nombreuses plantes à fleurs, les lézards et serpents et certains insectes tels que le gendarme parmi les punaises ou des papillons de jour. 

Certes, on passe ainsi à côté d’une riche source d’informations (le niveau précis des espèces) mais, en restant dans le même milieu, cela permet néanmoins de comparer les sites entre eux. Autre avantage majeur : le gain de temps et d’énergie humaine ; on peut de plus chercher plus activement les animaux « cachés » sous les pierres, les débris, …

Groupe test

Au delà de l’identification des espèces, il faut aussi prendre en compte leurs traits de vie et leur place dans les réseaux alimentaires avec une attention plus particulière aux prédateurs qui occupent les sommets des chaînes ; en effet, l’abondance et la diversité de ces derniers traduit généralement bien l’état général de tout le réseau trophique. Aussi, les chercheurs ont ici sélectionné un groupe test de prédateurs, carnivores obligés : les lézards et serpents (les squamates de la Classification ; voir la chronique sur l’orvet). Ils réunissent divers caractères pertinents par rapport au contexte de cette étude : ils sont sédentaires et ont besoin d’abris pour hiberner ; ils vivent cachés une bonne partie du temps et se réfugient à la moindre alerte sous des refuges ; ils ont aussi besoin d’espaces ouverts proches de ces abris pour réchauffer leur corps (animaux à sang froid ou ectothermes). En tant que prédateurs, ils ont besoin d’une nourriture diversifiée en gamme selon la taille des espèces ; ici, certaines des espèces comme la couleuvre verte et jaune bien représentée atteignent une belle taille (voir la chronique sur les serpents arboricoles). On sait par ailleurs que ce groupe d’animaux a fortement décliné dans les paysages agricoles où le réseau de haies a été fortement endommagé ou détruit ce qui suggère leur sensibilité à la présence et aux caractéristiques des haies.  

Ajoutons qu’un autre critère de choix de ce groupe a été ici la bonne connaissance de ce groupe par certains des chercheurs de l’équipe qui avaient auparavant étudié divers aspects de leur biologie dans cet environnement. Connaître les mœurs de ces animaux est un avantage clé en tant qu’observateur car repérer des lézards ou serpents dans ce type de milieu demande un bon entraînement ! 

Corrélations

L’analyse comparative des milliers de données ainsi collectées (50 000 observations de 500 morpho-espèces dont un peu moins de la moitié au rang des espèces) démontre nettement un lien entre la couverture végétale de la haie (hauteur et largeur des arbres et arbustes et couvert herbacé au sol) et l’abondance et la diversité des microhabitats du pied de la haie avec un index de biodiversité qui inclut les traits de vie des espèces. Ce lien fort existe aussi avec le groupe particulier des lézards et serpents. Les dimensions des talus et la disponibilité en abris (sous forme de microhabitats) influent nettement sur la diversité des espèces ou morpho-espèces recensées : les haies avec des talus plus grands et comportant plus d’abris ont plus de probabilité d’héberger des espèces plus grandes et se situant au sommet des réseaux alimentaires ; ceci vaut particulièrement pour les lézards et serpents qui bénéficient outre les abris de bonnes conditions pour réguler leur température en sécurité et d’une nourriture variée et abondante. Les haies avec des talus plus grands et riches en pierres notamment abritent une faune plus diverse et différente de celle des haies au pied uniforme. 

Les espèces sédentaires ou aux mœurs cachées bénéficient de ce type de haies surtout pour l’apport d’abris. Des expériences menées dans des parcs urbains dans l’Ouest de la France ont démontré qu’une simple gestion des buissons des haies assurant des abris sûrs et variés booste les populations de serpents et lézards dont celles des vipères aspics. 

Les microhabitats des pieds de haies sont donc bien un élément essentiel pour la conservation de la biodiversité au niveau des haies dans les paysages agricoles, un levier ignoré ou largement négligé jusqu’alors ! 

Préconisations

Il existait déjà toute une gamme de préconisations pour favoriser les prédateurs au niveau des haies (oiseaux, insectes, chauves-souris) : mélanger les essences d’arbres ; autoriser un développement sur une bonne largeur et laisser monter arbres et arbustes ; relier les haies entre elles et avec d’autres milieux dont les boisements pour permettre la circulation des espèces (connectivité). Mais aucun de ces conseils judicieux et efficaces ne concerne le pied des haies ! Pire : sur de nombreuses haies replantées suite à des remembrements, on installe un film plastique très résistant au moment de la plantation ou on recouvre de bois raméal broyé : ces deux couvertures destinées à empêcher la pousse des herbes adventices s’avèrent très négatives pour de nombreuses espèces car elles offrent très peu de refuges. Autre défaut structurel de ces nouvelles plantations : l’absence en général de talus sur lequel la haie s’installe. 

Alors, comment faire ? Les chercheurs proposent plusieurs pistes pratiques lors de plantations de haies nouvelles : bâtir un talus à partir de matériaux variés récupérés dans l’environnement immédiat (pierres, bois mort, souches,…) et entassés pour former un talus ; on peut par exemple creuser un fossé peu profond en bordure pour récupérer ces éléments et élaborer un talus en veillant à ne pas compacter cet apport. Un apport extérieur de grosses pierres et de souches peut être envisagé. Même sur des haies déjà plantées et anciennes, l’apport de cailloux ou pierres ou bois mort peut être un objectif simple … au lieu, comme souvent, d’aller remblayer avec ces éléments des milieux herbacés marginaux. 

Cette haie plantée en Limagne répond assez bien aux critères favorables à la biodiversité : dense, variée, avec une base fermée, une bande herbeuse sur talus, …

En tout cas, il faut éviter à tout prix l’uniformisation « hygiénique » souvent retenue par méconnaissance : on veut du « propre », net et sans « déchet » au dépens de la biodiversité, toujours la grande perdante de tous ces clichés. Tout ceci n’enlève rien au travail considérable fourni localement par des organismes ou des associations par des replantations de haies mais il reste à les améliorer pour les rendre encore plus efficaces et plus accueillantes pour la biodiversité !

Bibliographie

1-Importance of ground refuges for the biodiversity in agricultural hedgerows.S. Lecq, A. Loisel, F. Brischoux, S.J. Mullin, X. Bonnet.  Ecological Indicators 72 (2017) 615–626