Gallinula chloropus

pouleeau-panorama

Photo J. Lombardy

Drôle de question : en quoi un « bec peut-il être honnête ou pas ? Chez les oiseaux, il existe tout un ensemble de signaux sonores (via le chant) ou visuels au niveau du bec, du plumage, …. leur permettant de communiquer, de signaler en quelque sorte leur état de santé et leur qualité de reproducteur . Une manière de dire à ses congénères : « regardez, je suis en pleine forme et je serai un bon géniteur ; choisissez moi ». L’honnêteté réside donc dans la véracité du message véhiculé : celui qui le dit l’est-il vraiment ? !

La gallinule poule-d’eau constitue un bel exemple avec son bec coloré en jaune et prolongé depuis la mandibule supérieure par une plaque frontale rouge vif qui remonte jusque sur le front, sans oublier la coloration rouge vif des yeux, le tout sur le fond noir anthracite du plumage de la tête. Une équipe italienne, à travers trois publications (1, 2 et 3), a étudié donc la signification de cet organe bicolore aux couleurs si vives en termes de communication intra-spécifique.

Tout sauf une poule mouillée !

Pour bien comprendre les résultats obtenus à l’occasion de ces études, il faut connaître le comportement de la poule d’eau. Chez cette espèce, mâle et femelle se ressemblent complètement et leur distinction reste très délicate (on parle d’espèce monomorphique) : les femelles sont juste un peu plus petites que les mâles ! En période de reproduction, qui commence dès la fin de l’hiver, la formation des couples (oiseau le plus souvent monogame) s’accompagne de comportements très agressifs entre individus avec des bagarres spectaculaires sur l’eau pour la délimitation des territoires : affrontements face à face avec coups de pattes en sautant en l’air, intimidations en défilant ailes demi-relevées, poursuites en courant sur l’eau, … Les superbes photos de J. Lombardy jointes ici illustrent parfaitement ces comportements très spectaculaires. Au cours de ces affrontements, le bec et la plaque frontale sont largement mis en avant alors que pendant la parade qui précède l’accouplement, ils sont bien moins exhibés. Il s’agit donc d’un « organe » d’intimidation qui permet d’affirmer son statut de compétiteur.

La plaque frontale augmente en taille et sa coloration rouge s’intensifie au moment de la compétition intense qui précède la formation des couples (fin d’hiver) alors que la taille diminue au moment des accouplements plus tard en saison (milieu du printemps). Chez les jeunes de l’année, le bec et la plaque à peine marquée sont d’un vert brunâtre ce qui confirme encore son statut d’organe lié à la reproduction. Chez les jeunes adultes, la plaque et le bec sont un peu moins colorés (couleurs moins saturées) que chez les adultes de plus d’un an.

Check-up complet !

Pour vérifier ce rôle du bec et de la plaque, les chercheurs italiens ont capturé des poules d’eau lors de rassemblements hivernaux en fin d’hiver pour deux raisons : d’une part, les oiseaux se trouvent alors dans une phase difficile avec une tendance à perdre du poids au cours de laquelle l’état de santé général s’avère crucial pour la survie ; d’autre part, les poules d’eau entament alors la période de formation des couples avec les bagarres territoriales mentionnées ci-dessus.

Sur les individus capturés, on effectue diverses mesures (poids, taille, masse graisseuse évaluée, intensité de la coloration du bec, de la plaque et des yeux, ..) et des prélèvements sanguins et au niveau du cloaque (l ‘équivalent de l’anus pour les oiseaux mais qui sert aussi à la ponte et l’évacuation de l’urine). A partir de ces prélèvements, plusieurs paramètres sont évalués :

– la quantité et la diversité des bactéries trouvées au niveau du cloaque qui renseigne sur l’état sanitaire des oiseaux

– l’hématocrite : le volume occupé par les globules rouges par rapport au reste du sang, indicateur de l’état de santé général

– l’immunocompétence ou la capacité à se défendre contre les microbes à l’aide des cellules immunitaires ; pour cela, on calcule le rapport entre deux catégories de globules blancs : les lymphocytes et des globules blancs particuliers aux oiseaux, les hétérophiles (équivalents des neutrophiles chez nous et les mammifères) ; un rapport élevé indique une bonne immunocompétence car les hétérophiles constituent la première ligne de défense cellulaire contre les microbes pathogènes.

Bref, rien n’a été laissé au hasard !

En rouge et jaune

Les résultats obtenus permettent de préciser le rôle des deux couleurs du bec et de la plaque. La couleur jaune du bec est corrélée positivement avec la masse du corps, un hématocrite élevé et un taux élevé d’hétérophiles, ces globules blancs protecteurs. La couleur jaune représente donc un signal honnête : si une poule d’eau est en bonne santé, elle a un bec plus jaune. On connaît aussi ce processus chez d’autres oiseaux comme le merle noir. Par contre, la coloration jaune n’a pas de lien avec la diversité ou la quantité de bactéries trouvées au niveau du cloaque et donc avec l’état sanitaire de l’oiseau.

La saturation du rouge de la plaque par contre est corrélée négativement avec la diversité bactérienne au niveau du cloaque : plus un individu porte de bactéries, moins sa plaque rouge sera vive et saturée ; par contre, il n’y a pas de corrélation avec la quantité de bactéries. Le problème est que la richesse en bactéries ne fait pas la différence entre les bactéries pathogènes vectrices de maladies (comme les salmonelles) et des bactéries bénéfiques (comme les lactobacilles).

Autrement dit, on a là un oiseau chez qui le bec bicolore véhicule deux sortes de messages complémentaires : avec le jaune du bec, il indique l’état de l’immunocompétence dite acquise (avec les globules blancs hétérophiles notamment) qui combat toute une gamme de pathogènes allant des virus à des parasites externes et avec le rouge de la plaque, il indique l’immunocompétence innée, celle qui combat directement les bactéries via des cellules phagocytaires. Précision médicale redoutable affichée en direct !

Le chiffon rouge des femelles !

Il n’y a pas de différence significative au niveau de la coloration jaune du bec entre mâles et femelles. Ceci s’explique sans doute par le fait que chez les poules d’eau, les mâles participent activement à l’incubation (jusqu’à 72% du temps assuré) et à l’élevage des jeunes. Ils sont donc plus ou moins à jeu égal avec les femelles et la sélection sexuelle a agi avec la même intensité sur les deux sexes.

Pour la plaque rouge, par contre, il y a un résultat inattendu : si la plaque est en moyenne plus grande chez les mâles (plus grands par ailleurs !), la coloration rouge est plus intense chez …. les femelles ! De plus, le lien entre coloration de la plaque et la taille du corps est nettement plus marqué chez les femelles. Effectivement, on observe une plus grande agressivité des femelles lors des rassemblements hivernaux et elles ont un rôle plus actif dans la formation des couples. Les femelles auraient donc besoin de plus de preuves externes pour s’affirmer lors des interactions !

D’où viennent ces couleurs ?

Si les chercheurs se sont ainsi intéressés à l’immunité, c’est que l’on sait depuis longtemps que les substances alimentaires qui permettent la synthèse des couleurs vives du plumage et du bec telles que le jaune, le rouge ou l’orange chez les oiseaux, les caroténoïdes, ont par ailleurs un rôle immunitaire avéré. Des poussins de poule d’eau élevés avec un régime alimentaire enrichi en caroténoïdes (4) ne grandissent pas plus vite mais ont une réponse immunitaire plus grande. On voit donc que tout se tient : alimentation/capacité à se procurer des nutriments assez rares/état de santé général (masse corporelle)/état sanitaire (lutte contre les pathogènes).

Même s’ils ne disent pas exactement la même chose, le bec jaune et la plaque rouge de la poule d’eau sont donc bien des signaux honnêtes pour afficher son état de santé et sa capacité à assurer une bonne reproduction. Une raison (futile !) de plus de trouver encore plus sympathique cet oiseau si expressif et facile à observer !

Gérard GUILLOT ; zomm-nature.fr

 Merci à J. Lombardy pour le prêt gracieux de ses photos sans lesquelles la chronique serait bien pauvre … en couleurs !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Bill colour and body condition in the Moorhen (Gallinula chloropus). STEFANO FENOGLIO, MARCO CUCCO and GIORGIO MALACARNE. Bird Study (2002) 49, 89–92
  2. Shield colours of the Moorhen are differently related to bacterial presence and health parameters. S. FENOGLIO, M. CUCCO, L. FRACCHIA , M.G. MARTINOTTI and G. MALACARNE Ethology Ecology & Evolution 16: 171-180, 2004
  3. The frontal shield of the moorhen:
sex differences and relationship with body condition. F. ALVAREZ , C. SÁNCHEZ and S. ANGULO. Ethology Ecology & Evolution 17: 135-148, 2005
  4. The effect of a carotenoid-rich diet on immunocompétence and behavioural performances in moorhen chicks. S. Fenoglio ; M. Cucco ; G. Malacarne. Ethology Ecology & Evolution 14 : 149-156, 2002

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la gallinule poule d'eau
Page(s) : 283 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez la gallinule poule d'eau
Page(s) : 246 Le guide de la nature en ville