Phoenicopterus/Podiceps

Les analyses génétiques nous disent que les plus proches parents actuels des flamants sont les grèbes (voir chronique) au point de les réunir dans un même groupe, les Mirandornithes ; des arguments basés sur des caractères partagés au niveau du squelette ou des plumes viennent corroborer cette surprenante parenté. Parmi les autres indices qui peuvent confirmer cette relation de parenté figurent les parasites externes ou internes, organismes souvent spécifiques dans leur choix et qui ont, de ce fait, souvent « suivi » au plus près l’évolution de leurs hôtes.

Pourquoi chercher des poux ?

Dans le grand groupe des poux (les Phthiraptères), le sous-groupe des Anoploures ou poux suceurs inféodés aux seuls mammifères nous est bien familier avec le pou des cheveux. Mais il existe tout un ensemble d’autres espèces aux pièces buccales non transformées en stylets pour sucer le sang mais de type broyeur et qui parasitent des mammifères ou des oiseaux ; on les nommait autrefois mallophages ou poux broyeurs. Sous ce nom informel, se cachent trois sous-groupes dont deux comprennent des espèces parasites d’oiseaux. Ce sont les Amblycères dont 3 familles comptant 1200 espèces vivent sur des oiseaux et les Ischnocères, groupe le plus diversifié, avec 2700 espèces vivant sur des oiseaux. Les premiers vivent à même la peau qu’ils mordillent provoquant des irritations locales et des saignements (dont le pou des poules bien connu dans les élevages) ; ils peuvent passer d’un individu à un autre. Les seconds vivent entre les barbes des plumes, échappant ainsi au toilettage des oiseaux et restent confinés sur le même hôte. Nous les appellerons tous par commodité « poux des oiseaux », même si ce nom ne recouvre pas une réalité en terme de classification.

Compte tenu des relations étroites qui associent ces parasites à leurs hôtes, toute transformation chez les hôtes induit par pression de sélection entraîne une évolution parallèle chez les parasites associés, dans une sorte de course poursuite évolutive ; on parle de coévolution.

Dans le long terme, les transformations successives des espèces aboutissent à la naissance de nouvelles espèces (spéciation). L’avènement d’une nouvelle espèce d’hôte induit la formation d’une nouvelle espèce de parasite adaptée à ce nouvel « environnement » : on parle de cospéciation.C’est sur cette base qu’une équipe américaine a reconstitué l’arbre de parenté des poux de divers oiseaux aquatiques dont des flamants et des grèbes afin le comparer avec celui des hôtes.

Deux arbres de parenté en miroir

Comme c’est le plus souvent la règle avec les poux ischnocères très spécifiques dans leurs choix, les grèbes et les flamants hébergent des poux différents et qui leurs sont particuliers : le genre Aquanirmus pour les grèbes et le genre Anaticola pour les flamants. Or, l’arbre de parenté des poux montre que ces deux genres sont des groupes frères au sens que Aquanirmus est le plus proche parent actuel de Anaticola. Autrement dit, il y a eu cospéciation : la séparation des grèbes et des flamants à partir d’un ancêtre commun s’est accompagnée d’une séparation de ces deux lignées de poux à partir d’un ancêtre commun. Voilà qui corrobore parfaitement l’hypothèse de parenté grèbes/flamants … Trop facile en fait car il y a un « hic » : parmi les espèces de poux du genre Anaticola (donc présents chez les flamants), certaines parasitent de manière spécifique des … anatidés (famille des oies et canards), qui se trouvent très éloignés sur l’arbre de parentés des flamants et des grèbes.

arbre-poux-oiseaux

Arbres de parentés en « miroir » : à gauche, arbre de parentés d’oiseaux aquatiques actuels et à droite, l’arbre des poux parasites de ces oiseaux ; les flèches relient les hôtes (oiseaux) à leurs parasites (poux). D’après (1) : simplifié et modifié.

Des poux inconstants parfois !

La relation poux/oiseaux a été étudiée dans de nombreux autres groupes et on trouve souvent de tels « bugs » apparents dans la comparaison des arbres des hôtes et des parasites que l’on explique par des changements d’hôtes : quand deux espèces non apparentées (prenons ici les canards et les flamants) vivent côte à côte dans les mêmes milieux, les parasites opportunistes que sont les poux peuvent très bien passer d’une espèce à l’autre, colonisant en quelque sorte un nouvel environnement. Le plus souvent, de tels transferts au hasard se finissent sans doute par un échec compte tenu de la relation très spécifique parasite/hôte ; mais parfois, de manière aléatoire, le transfert « réussit » et le parasite va s’installer sur un nouvelle hôte complètement différent et évoluer ensuite lui aussi vers une nouvelle espèce un peu différente.

C’est ainsi que les poux du genre Anaticola seraient passés de leurs hôtes primaires, les flamants vers des canards comme hôtes secondaires et qu’ils s’y seraient installés en donnant d’autres espèces. Ce changement d’hôte ne remet donc pas en question la parenté originelle flamants/grèbes et de leurs poux respectifs.

Si on regarde de plus près ces poux Anaticola « passés » chez les anatidés, on se rend compte qu’ils ne sont présents que sur des espèces de taille moyenne et relativement récentes dans l’histoire de cette famille. Les espèces d’anatidés les plus anciennes et de grande taille (tels que les oies et les cygnes) hébergent des poux d’un autre genre Acidoproctus, eux mêmes de plus grande taille. Or, chez ces poux des plumes, la taille constitue un élément clé dans leur succès car celle-ci doit correspondre exactement à celle des barbes des plumes des oiseaux parasités pour échapper à l’activité de toilettage avec le bec. Le scénario évolutif avancé serait donc le suivant : au cours de l’évolution des anatidés, la taille des espèces a progressivement diminué rendant les poux originels (Acidoproctus) assez grands moins compétitifs ; une place libre (une niche écologique) se serait ainsi libérée et qui aurait été occupée par les poux Anaticola venus des flamants, à l’occasion de rencontres dans l’environnement !

flamant-toilettage

Canards colverts en plein toilettage : avec leur bec, ils lissent les plumes, pour ranger les barbes d’une part et pour éliminer les parasites tels que les poux des plumes.

Après les poux, les ténias

Outre les poux, on connaît dans le groupe des vers plats parasites du tube digestif (des Cestodes dont font partie les ténias), eux aussi plus ou moins spécifiques, une famille (les amabilliidés) partagée par les grèbes et les flamants. Le cycle complexe de ces vers passe par des stades qui infestent des hôtes intermédiaires tels que des punaises aquatiques ou des larves de libellules. Or, nombre d’espèces de grèbes (notamment les espèces de petite taille) se nourrissent de tels animaux de petite taille au même titre que les flamants qui filtrent de petits organismes. On peut donc imaginer une contamination originelle chez les ancêtres communs aux grèbes et flamants qui se nourrissaient sans doute de petits organismes aquatiques. Des études récentes indiquent que les genres de vers de cette famille, spécifiques des grèbes, seraient les plus anciens ce qui laisserait supposer que l’ancêtre commun grèbes/flamants avait peut-être un mode de vie plutôt de type grèbe et que la divergence s’est faite ensuite vers un type filtreur complètement différent qui aurait donné la lignée des flamants.

BIBLIOGRAPHIE

Reinterpreting the origins of flamingo lice: cospeciation or host-switching? Kevin P. Johnson, Martyn Kennedy and Kevin G. McCracken. Biol. Lett. (2006) 2, 275–278

Site sur les cestodes : https://sites.google.com/site/tapewormpbi/home

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le flamant rose
Page(s) : 169 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez les grèbes
Page(s) : 103 à106 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez les principes de la classification
Page(s) : 28-41 Comprendre et enseigner. La classification du vivant.