Ailanthus altissima

L’ailante, un arbre originaire de chine et du nord Vietnam, a acquis une réputation (bien méritée) de super envahisseur en Europe et ailleurs, capable de coloniser toutes sortes de milieux avec une vitesse d’expansion remarquable. Parmi les nombreuses « armes » dont il dispose figurent ses fruits ailés. Quelles sont les particularités de ces fruits qui rendent cet arbre si efficace dans sa capacité de dispersion ?

Des samares

Morphologiquement, les fruits de l’ailante sont des samares, i.e. des fruits secs, qui ne s’ouvrent pas à maturité (indéhiscents), contenant une seule graine (monospermes) et dotés d’une aile membraneuse (ailés). On retrouve ce type de fruit chez les érables (voir la chronique consacrée aux samares des érables) qui sont des parents assez proches de l’ailante : ils appartiennent à la famille des Sapindacées, laquelle se classe au sein du groupe des Sapindales dans lequel on retrouve la famille de l’ailante, les Simaroubacées. Pour autant, la structure de la samare de l’ailante n’a pas grand chose à voir avec celle des érables : il ne s’agit là que d’une apparition indépendante et fortuite d’un modèle de fruit ailé dans des familles différentes ; se disperser avec des samares n’est donc pas une « signature » propre de famille. Par ailleurs, on trouve des samares dans d’autres familles bien plus éloignées, avec des structures encore différentes comme chez les frênes (famille des Oléacées dans les Lamiales) ou chez les ormes (famille des Ulmacées dans les Rosales) pour ne citer que des arbres connus sous nos latitudes.

Contrairement aux érables, les samares de l’ailante, à maturité, ne se retrouvent pas accolées deux par deux mais par petits groupes de 4 ou 5 : elles dérivent en effet de la transformation du pistil formé de 4 ou 5 (parfois moins) pièces libres (carpelles). Comme cet arbre a des sexes séparés (espèce dite dioïque), seuls les pieds femelles portent des fruits et comme les inflorescences femelles sont disposées en grappes ramifiées pyramidales, les fruits se retrouvent eux aussi arrangés sur le même mode en paquets très denses à maturité avec jusqu’à 500 samares par paquet.

Des hélices tordues

Chaque samare présente un profil typique d’hélice tordue sur elle-même, non sans rappeler celle d’un avion monomoteur ! Au centre de chaque samare, on note la graine avec une enveloppe opaque épaisse : la samare ne se trouve donc pas « déséquilibrée » comme celle des érables (voir chronique sur les samares des érables, véritables autogires). De plus, l’aile présente un renforcement notable sous forme de nervures lignifiées et ramifiées qui rayonnent à partir de la paroi de la graine, fonctionnant comme un empennage.

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Samares d’aillante avec la graine centrale vues à contre-jour

La couleur varie du vert jaune au rougeâtre voire carrément rouge en été avant de se dessécher et de virer au brun clair en septembre-octobre. La taille varie beaucoup selon les populations avec une longueur totale allant de 33 à 60mm !

Un trait frappant de ces fruits  c’est leur extrême légèreté: 1000 graines pèsent 32 grammes ; pour faire un kilo de fruits, il faut en réunir de 27 000 à 33 000 ! Ils sont bien plus légers que ceux des érables : 140 grammes pour 1000 fruits d’érable plane.

Le nombre de samares par arbre mature peut atteindre des chiffres impressionnants : pour un ailante de 8m de haut, on estime sa production annuelle à 325 000 samares avec en plus un taux élevé de viabilité des graines portées allant de 59 à 98% ! Même de jeunes rejets issus des drageons générés par les racines traçantes réussissent sous un climat chaud et sec à produire quelques centaines de fruits par an !

Toutes ces caractéristiques laissent à penser que ces fruits, comme ceux des érables, sont dispersés par le vent. Ce dernier reste bien l’agent de transport primaire des samares d’ailante mais nous verrons qu’il existe d’autres possibilités non moins importantes et pas forcément prévisibles d’après la seule observation morphologique de ces fruits.

Dispersion multiple par le vent

En fait, les fruits peuvent se trouver transportés par le vent selon des modalités très variables en fonction de l’agitation de l’air et de la hauteur de chute ; les samares peuvent tomber de manières différentes, lesquelles peuvent être combinée : soit en tournant sur elles-mêmes selon leur axe longitudinal, soit en décrivant une spirale de chute, soit en décrivant une trajectoire rectiligne latérale par fort vent ou même par temps très calme en chute libre verticale sans autre mouvement. Toutes ces possibilités permises par la structure très aérodynamique de la samare permettent des distances de dispersion très variables selon la force du vent.

La vitesse de descente des samares de 0,56 à 0,91m/s laisse le temps au moindre courant d’air ambiant de déplacer latéralement la samare en chute ; même dans un air immobile, les samares finissent par dévier latéralement de près d’un mètre ! Une chute depuis un arbre de 20m de haut avec un vent latéral de 10 km/h aboutit à un déplacement latéral moyen de plus de 110m. comme la forme et la taille des samares varie considérablement d’un arbre à l’autre, les résultats peuvent être fort différents car la capacité par exemple de la samare à rouler sur elle même sera plus ou moins sollicitée selon la forme.

La persistance prolongée des fruits sur l’arbre en hiver augmente les possibilités de déplacement à grande échelle notamment à l’occasion des gros coups de vent qui peuvent emporter les samares très loin, au delà de 200m. Globalement, malgré tout, une majorité de fruits atterrissent dans un rayon proche de l’arbre ( 75% à a moins de 20m en ville en Corée par exemple) ; au delà on tombe dans des évènements plus rares mais dont les conséquences restent néanmoins capitales pour la colonisation car un seul nouveau pied installé à plus grande distance pourra, ultérieurement, générer à son tour une nouvelle pluie de fruits.

Une seconde chance à terre

En ville notamment avec les surfaces goudronnées ou bétonnées lisses et plates, les samares arrivées au sol peuvent subir un nouveau Des expérimentations et observations directes donnent des déplacements de « seconde chance » de l’ordre de 150 à 450m en suivant une route ! Dans une étude sur le terrain (2) conduite aux USA avec des fruits marqués à la peinture, on note l’importance de la pente par rapport à ce déplacement secondaire, ce qui semble logique ; au bout d’un mois environ avec des précipitations ordinaires, 5 à 6% des fruits tombés à terre s’étaient déplacés d’au moins 25cm avec une distance maximale parcourue de 10m ; sur des pentes à 9%, aucune graine ne se déplaçait. Les auteurs de cette étude notent que les épisodes neigeux suivis de la fonte sont favorables par le déplacement en surface d’eau induit.

Même les paquets de samares peuvent tomber verticalement au sol (trop lourds pour tourbillonner) et être ensuite roulés beaucoup plus loin, avec l’inconvénient pour l’espèce de voir germer ensuite côte à côte des plantules issues toutes du même arbre. Tout ceci explique la propension de l’ailante à se propager en suivant des « corridors » artificiels tels que les routes ou des voies de chemin de fer, avec les véhicules dont le passage génère des tourbillons qui remobilisent les samares échouées.

ailante-route

« Allée » naturelle d’ailantes : les samares entraînées par le vent se sont accumulées le long du mur qui longe cette route ; une partie a peut être été redéplacée après avoir atterri au sol.

Par ailleurs, il existe enfin une troisième « chance », celle du transport par l’eau, directement (lors de la chute) ou indirectement (après l’arrivée au sol) : une autre chronique spécifique sera consacrée à cet aspect de la dispersion.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Biological flora of Central Europe: Ailanthus altissima (Mill.) Swingle Ingo Kowarik, Ina Saümel. Perspectives in Plant Ecology, Evolution and Systematics 8 (2007) 207–237.
  2. Seed Viability and Dispersal of the Wind-Dispersed Invasive Ailanthus altissima in Aqueous Environments. Matthew A. Kaproth and James B. McGraw. Forest Science 54(5) 2008

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'ailante
Page(s) : 106 Guide des fruits sauvages : Fruits secs
Retrouvez l'ailante
Page(s) : 25 Le guide de la nature en ville