Nelumbo nucifera

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Toute personne qui a vu une fleur de lotus sacré retient deux choses : sa beauté et son élégance extrêmes et cette curieuse « pomme d’arrosoir » qui trône au beau milieu de la fleur. Cet organe correspond au réceptacle floral, la partie de la fleur qui porte les pièces florales : sépales, pétales et étamines à sa base et tout au sommet, sur la large surface plane, plusieurs dizaines de pistils composés chacun d’un ovaire à un ovule et bizarrement enfoncés dans des cavités d’où émerge le stigmate capteur du pollen en début de floraison (voir la chronique sur la visite guidée de la fleur). A maturité, les pistils donnent chacun un fruit sec du type akène, ressemblant en fait à une grosse graine comestible. Le réceptacle qui inclut tous ces « vrais » fruits devient alors un faux-fruit (au sens botanique). Mais chez le lotus qui ne fait rien comme les autres, ce réceptacle déjà original par sa taille et sa prestance va connaître un surprenant développement en trois temps successifs.

Une première vie banale sauf que ….

Dans la fleur fraîchement ouverte, le réceptacle apparaît d’un jaune vif et porte donc comme dans les autres fleurs les pièces florales. Mais dès le stade bouton floral fermé, il se distingue par sa capacité à produire de la chaleur et ce de manière telle qu’il réussit à maintenir la température dans la fleur à près de 30 à 35°C pendant plusieurs jours même si la température externe chute à 8°C dans la nuit (voir la chronique consacrée à la thermorégulation) ! Pour produire une telle énergie, le réceptacle puise dans des réserves d’amidon accumulées dans la partie basale sous les pistils. Son épiderme superficiel possède en plus des cellules papilleuses qui, sous l’action de la production de chaleur, émettent des substances volatiles odorantes qui jouent un rôle dans l’attraction des pollinisateurs (voir la chronique consacrée à ces derniers). En outre, il réussit via ce dégagement de chaleur à favoriser la fécondation, i. e. la germination des grains de pollen sur les stigmates. Le réceptacle du lotus a donc un rôle majeur dans la reproduction, bien au delà du rôle convenu de porteur de pièces florales !

Une seconde vie en vert

Quand la fleur s’ouvre, le réceptacle est bien jaune et sa coloration vive participe certainement à l’attraction des pollinisateurs sur le fond rose à blanc des pétales. Au troisième jour, quand pétales et étamines commencent à tomber, le réceptacle entame son verdissement. Au quatrième jour suivant l’éclosion, il reste seul au sommet de son robuste pédoncule et se met alors à grandir et achève son verdissement complet en quelques jours. Il devient alors un organe photosynthétique à part entière au même titre que les feuilles !

Les chercheurs australiens qui ont étudié cette véritable métamorphose ont observé deux phases successives dans l’accumulation des pigments colorés :

  • avant et pendant la floraison, le réceptacle accumule des pigments jaunes comme la lutéine, le xanthophylle et divers caroténoïdes qui, outre l’aspect coloré, procurent une protection contre les effets délétères de la lumière excessive par leurs propriétés antioxydantes
  • la seconde phase, après la chute des étamines, voit augmenter fortement la quantité de chlorophylle ou de bêta-carotène.

Le réceptacle contient alors certes moins de chlorophylle qu’une feuille mais des concentrations équivalentes en Rubisco, cette enzyme clé dans la fixation du dioxyde de carbone de l’air. Il devient donc un organe assimilateur qui capte directement du dioxyde de carbone de l’air mais récupère aussi une part du dioxyde de carbone rejeté lors de la respiration. Ce recyclage touche 15 à 25% du dioxyde de carbone rejeté par la respiration ce qui est bien inférieur à ce qui se passe par exemple dans les épis de blé où les glumes, ces sortes d’écailles vertes qui enserrent le grain de blé (le fruit ou caryopse), réussissent à recycler 73% du CO2 rejeté par le grain. Cette relative faible performance tient sans doute au fait que les akènes du lotus sont « à ciel ouvert » dans leurs cavités. Il n’empêche que le réceptacle apporte ainsi une aide majeure pour la maturation des graines et diminue le coût énergétique de la reproduction.

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Peuplement en fin de floraison avec les faux-fruits verts.

Une troisième vie à la dérive

Quand les graines ont atteint la maturité dans les akènes au sommet du réceptacle, celui-ci vire au brun et devient très spongieux (par creusement de lacunes) vers sa base rétrécie. Dès ce stade, sous l’effet du vent qui le secoue, le réceptacle va laisser une partie des akènes dont les cavités se sont agrandies être éjectés : ces akènes lourds (taille d’une petite noisette) vont couler au fond et atteindre la vase où ils pourront germer.

Sous le poids du sommet qui le déséquilibre, le réceptacle se penche et finit par se briser au point d’attache sur le pédoncule. Son extrême légèreté, sa structure spongieuse et l’air retenu dans les cavités lui permettent de flotter sur l’eau, la surface plate tournée vers l’eau ; si le lotus est installé au bord d’une rivière (cas assez fréquent), le courant va emporter cet esquif qui, en dérivant, va libérer les akènes restants, permettant ainsi une dispersion à plus grande distance et échelonnée.

Ainsi, cet organe généralement banal chez la plupart des plantes à fleurs assure t-il  trois fonctions majeures dans la reproduction du lotus sacré : attirer les pollinisateurs et permettre la fécondation en dégageant de la chaleur et des odeurs; participer à la maturation des graines en devenant vert et photosynthétique ; enfin, permettre la dispersion à plus ou moins longue distance en devenant ce faux-fruit flotteur ! Cet exemple illustre combien un même organe au cours de l’évolution peut changer de fonction tout en conservant sa place et améliorer le succès reproductif d’une espèce.

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Functional transition in the floral receptacle of the sacred lotus (Nelumbo nucifera): from thermogenesis to photosynthesis. R. E. Miller
 ; J. R. Watling
 ; Sharon A. Robinson. 
 University of Wollongong Research Online. 2009.

A retrouver dans nos ouvrages

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