Nymphalidae

Plusieurs espèces de vanesses hibernent au stade adulte ce qui allonge considérablement leur cycle de vie. Deux d’entre elles, le Paon du jour et la Petite-Tortue adoptent volontiers des bâtiments désaffectés comme site d’hivernage dans une grande partie de l’Europe tempérée et nordique. Des études menées en Suède sur de tels sites ont montré leur importance pour la survie de ces espèces mais aussi l’ampleur de la prédation exercée par les mulots capables de grimper et d’atteindre les papillons hibernants, notamment au début de l’hibernation où ils peuvent effecteur de véritables carnages (lire la chronique consacrée à cette prédation)

Des vanesses inégales devant la prédation

Le suivi d’un grenier qui héberge un nombre important de vanesses des deux espèces en hiver en Suède a permis de comparer l’impact de la prédation sur celles-ci. Les Paons-du-Jour résistent visiblement mieux à cette prédation : 14 sur 20 survivent après deux « rencontres » avec un prédateur sans avoir bougé de place alors que 4 Petites-Tortues sur 17 seulement y survivent ; il y a pourtant nettement plus d’interactions proie-prédateur (des attaques réussies ou des tentatives échouées) vis-à-vis du Paon-du-Jour que de la Petite-Tortue. A la fin de la saison d’hibernation, dans cet abri, 10 Paons-de-Jour sur 21 avaient survécu contre 2 sur 17 pour les Petites-Tortues.

Ces deux espèces partagent le même mimétisme de type « feuille morte » en position d’hibernation : le dessous des ailes présente un dessin sombre tacheté et rayé qui, associé à la découpure du bord des ailes, procure notamment dans l’obscurité une forme de protection visuelle. On retrouve d’ailleurs le même dessin chez une troisième espèce hibernante, la vanesse Robert-le-Diable. Mais ce mimétisme n’affecte pas les mulots nocturnes qui recherchent leur nourriture avant tout à l’odorat et au toucher (vibrisses du museau).

Il faut donc observer les comportements des papillons attaqués pour expliquer une telle différence.

Des Paons de jour plus « réactifs »

En visionnant les vidéos exploitables, les auteurs ont noté que 11 des 17 Paons-du-Jour réagissaient brusquement dès le contact établi avec le prédateur en battant rapidement des ailes alors qu’aucune Petite-Tortue sur les 9 filmées ne l’a fait, restant parfaitement immobile, les ailes repliées. Une seule fois, l’une d’elles a réagi ainsi mais seulement après avoir été reniflée quatre fois par un mulot. Or, quand les Paons-du-jour réagissent ainsi, dans 41 cas sur 52, le prédateur s’enfuit brusquement et ne revient pas (une seule exception observée avec un campagnol roussâtre qui s’éloigna de quelques mètres suite aux mouvements d’ailes d’un Paon-du-Jour et revint pour finalement tuer le papillon).

On pourrait penser que cela tient aux ocelles colorés exhibés par le Paon-du-Jour sur ses ailes qui, brusquement mises en avant, effraieraient le prédateur (comme cela a été mis en évidence avec des oiseaux), d’autant que la Petite-Tortue n’en possède pas. Sauf que toutes ces attaques n’ont lieu qu’en pleine nuit dans l’obscurité totale de ces abris ! En fait, les battements rapides des ailes des Paons-de-Jour s’accompagnent d’une production sonore très particulière de type sifflement audible et d’ultra-sons cliquetants qui effraie les rongeurs (lire la chronique consacrée à ce moyen de défense).

La fuite salvatrice comme effet collatéral

Ce comportement avantageux des Paons-du-Jour (battre des ailes et faire peur) semble de plus déboucher sur une conséquence intéressante : dans 10 cas sur 21, les Paons-du-Jour agressés s’envolent et se repositionnent plus haut (rappelons que dans l’expérience, on les a mis très près du sol), devenant de ce fait presque inaccessibles aux rongeurs (les mulots peuvent cependant grimper assez haut). Seulement 2 Petites-Tortues sur 17 se sont déplacées suite à une attaque. On peut donc penser que le fait de ne pas battre des ailes de leur part ne les incite pas à se déplacer ce qui augmente encore plus leur vulnérabilité !

On voit donc qu’au moins pour le Paon-du-Jour des adaptations comportementales sophistiquées se sont mises en place au cours de l’évolution et qu’elles augmentent les chances de survie en hibernation et donc le succès reproducteur au printemps suivant. Pour les Petites-Tortues, il est difficile de savoir ce qui les « rend » inactives : incapacité physiologique à réagir ? Confiance extrême dans le mimétisme apporté par la coloration « feuille morte » du dessous des ailes ? Mais cette dernière existe aussi chez le Paon-du-Jour (voir ci-dessus).

BIBLIOGRAPHIE

Winter predation on two species of hibernating butterflies: monitoring rodent attacks with infrared cameras. M. Olofsson ; A. Vallin ; S. Jakosson ; C. Wiklund. Animal Behaviour 81 (2011) 529-53

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le mulot sylvestre
Page(s) : 258 Le guide de la nature en ville
Retrouvez le Paon du jour
Page(s) : 293 Le guide de la nature en ville
Retrouvez la Petite-Tortue
Page(s) : 293 Le guide de la nature en ville