Qui connaît ce drôle de nom et son sens ? Il désigne des plantes dont l’ensemble des parties aériennes, une fois fructifiées et desséchées, se détachent d’un bloc au ras du sol (la racine reste donc en terre) et se mettent à rouler, à culbuter en tous sens sur le sol, à rebondir de proche en proche, dès que le vent souffle. Virevoltant dérive du verbe virevolter (s’agiter en tous sens de manière légère) lui-même issu d’un verbe désuet virevouster qui signifiait, pour un cavalier, tourner autour de son cheval pour essayer de l’enfourcher. Les américains les appellent les tumbleweeds (les herbes qui roulent) et elles restent étroitement associées aux rues désertes des cités fantômes du far West, battues par le vent, et où elles se bousculent en tous sens.. image récurrente des westerns spaghettis !

Derrière ces aspects folkloriques se cache en fait un fascinant mode de dispersion des plantes par le vent, méconnu et relativement peu répandu dans notre flore.

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Touffe sèche et détachée de soude brûlée (Kali soda) prête à partir ….. pour son grand voyage de virevoltant. La Belle Henriette : La Faute-sur-mer.

La recette du parfait virevoltant

Ne peut pas virevolter la première plante venue ; ce mode de dispersion requiert un certain nombre de conditions pour apporter un avantage aux espèces concernées en termes de succès de la reproduction. Pour devenir un bon virevoltant, il faut donc répondre à un certain cahier des charges !

Seules les plantes à parties aériennes qui sèchent entièrement sur pied peuvent accéder à ce mode de dispersion : la désagrégation partielle des tiges reste indispensable pour qu’elles puissent être brisées à un moment par le vent.

Les parties emportées, et surtout les inflorescences porteuses de fruits et de graines, doivent peu ou prou avoir une forme arrondie propice à son déplacement en roulant. Les graines ou fruits doivent aussi rester assez fermement accrochés aux tiges pour avoir des chances d’être transportés sur une assez grande distance avant de se détacher. Autrement dit, la plante même sèche ne doit pas se désagréger trop vite et trop facilement : cela implique donc des tiges ou des rameaux d’inflorescence assez rigides et un peu lignifiés.

La plante sèche doit pouvoir bouger à travers son environnement ; aussi, ce mode de dispersion se trouve t’il cantonné dans des milieux très ouverts sans obstacle majeur et relativement plat : déserts ou semi-déserts, dunes côtières, chaumes cultivés, steppes arides à végétation maigre, champs cultivés et surpâturés, … Enfin, tout cela suppose de vivre dans un environnement venté, avec des vents assez forts autant pour briser la plante sèche que pour la rouler ensuite et la déplacer sur des distances suffisamment importantes .

Le virevoltant roule pour ses graines

Poussée par le vent, la plante sèche chargée de fruits et de graines peut parcourir une plus ou moins grande distance et va ainsi se trouver transportée loin de son lieu de naissance ce qui ouvre la possibilité essentielle de coloniser de nouveaux espaces (voir la chronique complémentaire « la course folle des virevoltants ») ; cette particularité s’inscrit donc dans le principe général de la dispersion des fruits et graines chez les plantes à fleurs. On en fait une sous-catégorie de la dispersion des graines ou fruits par le vent ou anémochorie ; certains auteurs ont même créé un terme spécifique (un de plus !) mais peu usité : l’anémogéochorie, le radical géo nous rappelant que cela se passe au sol et anémo que le vent est l’agent dispersant.

Selon les cas, l’ensemble détaché et poussé par le vent, sème ses graines ou ses fruits au fur et à mesure de sa progression, laissant derrière lui une traînée de graines très étroite. Ainsi dans les polders fraîchement ouverts aux Pays-Bas, a t’on observé de longues lignes de plantules de soude maritime (plante colonisatrice des terrains encore un peu salés) et reflets du semis roulant effectué par les touffes fructifiées roulées au sol.

Dans d’autres cas, l’ensemble détaché reste cohérent jusqu’au bout, i.e. jusqu’au moment où il va se trouver « fixé » définitivement par un obstacle (une touffe de plante, des buissons, un creux, ….) ; là, il va se désagréger lentement sur place, libérant ainsi l’ensemble des graines ou fruits portés. Il en résultera un massif de plantules sur le « cadavre » de la plante mère comme on peut l’observer régulièrement, sur les côtes sableuses, avec les touffes de soude brûlée (Kali soda) recouvertes de sable. Les plantules bénéficient alors de l’apport nutritif de la décomposition de la plante mère mais se retrouvent en forte concurrence entre elles.

Qui sont les virevoltants ?

Ce mode de dispersion existe chez divers végétaux dont des champignons (comme les bovistes) et des ptéridophytes (sélaginelles), mais c’est chez les plantes à fleurs qu’il se rencontre le plus et nous allons présenter quelques unes des espèces de notre flore (ou des espèces exotiques mais souvent cultivées comme ornementales) familières du « virevoltage » ! Ce procédé est connu dans au moins dix familles de plantes à fleurs.

En tête de cette liste figure la famille des Amarantacées (au sens actuel qui inclut les anciennes Chénopodiacées). Dans cette famille, on trouve de nombreux genres spécialisés dans les milieux salés (plantes halophytes) à végétation clairsemée soit sur des vasières littorales très plates ou dans des milieux steppiques continentaux semi-désertiques. En se limitant aux espèces indigènes, on peut citer la soude commune (Salsola soda), la soude brûlée (Kali soda) (que vous pouvez retrouver dans la chronique « la course folle des virevoltants« ) et la soude maritime (Sueaeda maritima). C’est dans ces genres que l’on trouve les espèces d’Amérique du nord évoquées en introduction avec en tête une espèce largement naturalisée, surnommée le « chardon russe » (Kali tragus), qui a envahi de vastes espaces dans le nord-ouest américain. Beaucoup plus communes et répandues dans les espaces cultivés ou urbains, on trouve les amarantes dont l’amarante réfléchie (Amaranthus retroflexus) ou l’amarante blanche (Amaranthus albus). On notera qu’il s’agit le plus souvent d’espèces annuelles à croissance rapide formant des touffes importantes qui sèchent sur pied avant de se détacher.

Chez les Apiacées ou ombellifères, la structure des inflorescences en ombelles à rayons raides et écartés « prédispose » à ce mode de dispersion ; on l’observe de manière très frappante chez les panicauts dont le célèbre « chardon roulant » ou panicaut champêtre et chez son cousin, le panicaut maritime ou chardon bleu (Eryngium). Le premier adopte les pelouses sèches ouvertes ou les pâtures rases tandis que le second se cantonne sur les dunes. On retrouve ce mode de dispersion chez la falcaire commune ( Falcaria vulgaris) dont les inflorescences vaporeuses rappellent fortement celles d’une Caryophyllacée bien connue en bouquets secs, la Gypsophile paniculée (Gypsophila paniculata), originaire des steppes salées continentales orientales.

On observe aussi ce processus chez des Composées telles que les centaurées mais il ne s’exprime pas forcément dans leurs environnements originaux à végétation trop fermée ; par contre, certaines d’entre elles introduites outre-Atlantique et naturalisées dans des espaces très ouverts (cultures ou pâtures) s’y propagent très activement avec cette technique : tel est le cas de la centaurée diffuse (Centaurea diffusa), espèce invasive majeure aux USA, originaire d’Europe du sud et proche de certaines espèces indigènes comme la centaurée maculée (C. stoebe) qui habite les pelouses sèches.

Parmi les Crucifères, notons les passerages annuels (souvent d’origine américaine et introduits) ou le chou marin (Crambe maritima) aux opulentes inflorescences.

Enfin, terminons ce tour d’horizon avec une belle espèce cultivée comme ornementale, originaire des plaines du Midwest américain, le faux-indigo bleu (Baptisia australis) dont les tiges sèches portent de superbes gousses d’un bleu noir intense du plus bel effet. Evidemment, dans nos jardins, on a peu de chances de l’observer en tant que virevoltant en action vu que sa progression sera très vite stoppée par les nombreux obstacles inévitables.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Forces Necessary to Initiate Dispersal for Three Tumbleweeds. Dirk V. Baker, K. George Beck, Bogusz J. Bienkiewicz, and Louis B. Bjostad. Invasive Plant Science and Management 2008 1:59–65
  2. Dispersal in plants. A population perspective. R. Cousens ; C. Dytham et R. Law. Oxford University Press. 2008

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le faux-indigo bleu
Page(s) : 362 Guide des Fleurs du Jardin
Retrouvez la falcaire commune
Page(s) : 128 Guide des plantes des villes et villages
Retrouvez les soudes
Page(s) : 210 ; 212 ; 160 Guide des plantes des bords de mer