Astraeus hygrometricus

Trop souvent, l’on ne s’intéresse aux champignons que pour leur comestibilité ; une phrase rituelle revient toujours : « çà se mange ? » ; si la réponse est non, on passe son chemin avec souvent au préalable un coup de pied de rageur dans ce champignon qui n’a même pas le bon goût d’être comestible ! Personnellement, je déteste cette approche hyper-matérialiste qui ignore complètement la vraie nature de ces êtres d’exception qui sont les plus proches parents des animaux dans la classification du vivant : nous ne  devrions pas l’oublier et nous intéresser bien plus à eux, comestibles ou pas. Nous avons déjà abordé dans zoom-nature des exemples de champignons parasites et de champignons entomophages, « mangeurs d’insectes ». Ici, nous allons découvrir un champignon original à plus d’un titre, assez répandu et relativement facile à reconnaître, ce qui est un point important pour cet immense groupe déconcertant de variabilité et de diversité : l’astrée hygrométrique ou fausse étoile de terre ou étoile de terre baromètre ou encore champignon-baromètre. Cette seule liste de noms populaires en dit déjà long sur sa singularité. 

Explosé 

Généralement on ne voit de ce champignon (sauf pour les experts au regard averti dont je ne fais pas partie), que sa forme fructifiée (carpophore) mûre avancée. Tout jeune, il se trouve généralement en grande partie enfoui dans le sol sous forme d’une boule ronde et dure qui rappelle les jeunes vesses-de-loup sauf qu’une fine couche blanche de filaments mycéliens (la partie souterraine végétative du champignon) le recouvre. Rapidement, cette boule va littéralement se métamorphoser : son enveloppe externe épaisse se déchire en lanières jusqu’à la base donnant naissance à une structure en forme d’étoile avec une dizaine de branches, posée à même le sol : d’où le surnom d’étoile de terre bien choisi. Ces lanières prennent un aspect craquelé très typique et une coloration variable allant du jaunâtre au brun-roux, plus ou moins foncé notamment selon l’humidité ambiante. Personnellement, je lui trouve un air de poulpe avec ses bras étalés un peu charnus (mais seulement parfois vraiment octopode) ! 

Au centre de cette étoile pouvant atteindre 8cm de diamètre se dresse une grosse poche arrondie, parfois aplatie, de consistance membraneuse, feutrée au toucher, de 1 à 3cm de haut, dans les tons de gris à fauve. Elle s’ouvre au sommet par une déchirure irrégulière (ostiole) quand elle est mûre et laisse alors s’échapper une « fumée » faite de millions de spores microscopiques brunâtres, comme les vesses-de-loup mûres qui éclatent quand on les touche. L’intérieur de cette poche sporifère, blanc et dur chez le jeune champignon, s’est transformé en cette masse poudreuse de spores. L’ensemble tient à peine au sol, ancré par des fils très fins (rhizomorphes) très fragiles. A pleine maturité, souvent, il finit par se détacher complètement. 

Les vesses-de-loup ou lycoperdons libèrent leurs spores depuis une poche du même type qui s’ouvre au sommet

Mobile ! 

On dirait une monstrueuse araignée à pattes charnues !

L’épithète latine hygrometricus annonce la couleur : notre champignon réagit, et de belle manière, aux variations de l’humidité ambiante. Dès que l’atmosphère s’assèche, les branches étalées se referment vers le centre comme les pétales de certaines fleurs en fin de journée mais pas du tout selon le même processus ; inversement, dès que l’humidité revient, elles se redéploient et exposent ainsi à nouveau la poche centrale qui peut alors libérer ses spores, dans des conditions favorables à leur germination une fois arrivées au sol. D’où l’appellation de baromètre accolée à certains noms populaires. Ces réactions s’expliquent par la structure de l’enveloppe externe qui a donné naissance par déchirement aux « bras », avec quatre couches différentes qui réagissent différemment à l’humidité : ainsi, la plus interne, fibreuse absorbe facilement l’humidité et déforme le bras qui se tord. 

Astrées desséchées repliées

Comme souvent l’étoile n’est plus fixée au sol, en cas de vent, elle peut être déplacée et roulée : tout en roulant, elle va expulser des spores qui s ‘échappent entre les bras resserrés mais pas jointifs. Une fois bloquée quelque part et après le retour d’une période humide,  la boule recroquevillée pourra s’ouvrir et libérer ses spores parfois à grande distance de son lieu de « naissance », ce qui améliore donc la possibilité de conquérir de nouveaux sites favorables. Les gouttes de pluie qui frappent la poche centrale favorisent par ailleurs l’expulsion des spores. Les spores microscopiques peuvent ensuite voyager à grande distance vu leur extrême légèreté. Cette stratégie n’est pas sans rappeler celle de certaines plantes à fleur qui sèchent sur pied et se font rouler par le vent après leur détachement du sol : voir la chronique sur les virevoltants !  

Lors du déploiement, les bras se recourbent au point de soulever très légèrement l’ensemble de quelques centimètres, comme une ballerine qui ferait des pointes ! Cette surélévation suffit à placer le flux de spores sortant dans une meilleure situation pour être pris en charge par un courant d’air et se disperser plus loin. 

La courbure des bras soulève la poche de plusieurs centimètres en hauteur

Finalement, quand la poche a expulsé tout son contenu de spores, elle s’effondre et se déchire ; les bras persistent longtemps exposant leur intérieur blanc : on dirait alors vraiment des bogues de châtaignes éclatées. 

Psammophile automnal 

Astrée installée dans une falaise granitique, sur un replat

Le champignon baromètre apparaît en fin d’été, d’août à octobre, même si les carpophores secs (mais sans poche) persistent parfois plusieurs années (voir ci-dessus). Il affectionne les sols pauvres en éléments nutritifs de texture sableuse (espèce psammophile), jusque dans les parois rocheuses granitiques à la faveur de petites poches d’arène granitique. On le rencontre souvent dans les arrière-dunes, les anciennes carrières de sable ou de pouzzolane en Auvergne par exemple (sur des substrats fins)  ou encore dans des champs sablonneux ouverts non cultivés. Il recherche des sites assez bien exposés, abrités et plutôt chauds ; il forme souvent de petites colonies dispersées. 

En Auvergne, on la trouve régulièrement dans les anciennes carrières de pouzzolane, dans les secteurs à granulométrie fine.

Pour se développer, il a besoin d’avoir dans son environnement immédiat des racines d’arbres avec lesquelles il s’associe en formant des manchons de filaments mycéliens tout autour de celles-ci (ectomycorhize), à la manière des truffes ou des lactaires,  et entretient avec l’arbre une relation mutualiste (voir la chronique sur les mutualismes) : ses filaments très étendus prélèvent facilement des éléments minéraux du sol (dont le phosphore, un élément précieux pour l’arbre) et en cède une partie aux racines ; en retour, il récupère des sucres de l’arbre, lui qui ne peut pas les synthétiser vu qu’il n’a pas de chlorophylle. Le plus souvent, il s’associe avec des pins ou des chênes en climat tempéré au moins ; ailleurs comme en Inde, il entre en relation avec des pins locaux mais aussi avec des arbres de la famille des Diptérocarpacées, une famille de grands arbres très représentée dans les forêts sèches, dont le sal (Shorea robusta), bien connu des … cruciverbistes (essence indienne) ! 

Multiple 

Sa répartition quasi mondiale interpelle : Afrique, Asie, Australie, Europe, Amériques du nord et du sud ! Mais depuis les années 2000, plusieurs études génétiques tendent à montrer que sous cette apparence d’Astraeus hygrometricus se cacheraient en fait plusieurs espèces jumelles (ou cryptiques), divergentes par leur ADN, mais morphologiquement très proches, ne différant souvent que par des caractères microscopiques (examen des spores par exemple). Ainsi en Asie du sud-est, on a repéré au moins deux espèces nouvelles autrefois nommées hygrometricus A. asiaticus et A. odoratus. Au Japon, une autre espèce a été repérée comme génétiquement distincte mais pas encore nommée. Même en europe, il semblerait qu’il y ait deux lignées divergentes : mais le sont-elles suffisamment pour mériter le statut d’espèces différentes ? Et elles seraient différentes des populations d’Amérique du nord ! Il y a donc là un champ de découvertes de nouvelles espèces à faire dans le futur ! 

Cette disparité masquée soulève le problème de la consommation de ce champignon. En Europe, traditionnellement, on le considère comme non comestible tout comme en Amérique du nord (au moins dans les guides de terrain). Pourtant, en Inde et au Népal, ces champignons sont considérés localement comme un aliment délicieux ! Au regard de la diversité des espèces évoquée ci-dessus, il est possible que selon les « espèces », la comestibilité ne soit pas la même. Ceci invite à ne pas généraliser les données sur une espèce quand elle est répartie sur une vaste aire : a minima, il peut très bien y avoir des populations locales au contenu chimique différent ! Autrement dit, gardez vous bien de consommer ce champignon sous prétexte que les Indiens le mangent couramment ! 

Arsenal chimique

La composition chimique de l’étoile de terre a fait l’objet d’une multitude d’études notamment en Asie du sud-est où il est très populaire et prisé tant comme aliment que comme médicament ; compte tenu du paragraphe précédent, peut-être qu’une part des données qui vont suivre ne sont pas transposables aux  astrées européennes. Les carpophores sont effectivement riches en protéines, en sucres, en minéraux, en fibres et en acides aminés essentiels tout en étant pauvres en matières grasses. 

Mais, l’arsenal chimique ne s’arrête pas là. On a détecté des substances carbonées volatiles présentes en abondance : il paraît qu’en humant le dessus de la poche sporifère fraîche, on sent une odeur piquante huileuse et proche de la mousse ? Quelle est leur fonction : protection pour repousser les prédateurs ? Ces composés évoluent à la cuisson et se transforment, changeant l’odeur. On trouve aussi des polysaccharides (famille des sucres) qui, in vitro, agissent sur des lignées de cellules tumorales et peuvent activer les défenses immunitaires via les cellules telles que les macrophages. Parmi les nombreuses propriétés médicinales mises en évidence (mais attention, le plus souvent seulement in vitro et sur des cellules animales non humaines), outre donc l’activité modulatrice de l’immunité, on a détecté une efficacité minimale hépatoprotectrice, cardioprotectrice, anti-inflammatoire, hypoglécémique et une activité antioxydante, anticancéreuse et contre certains parasites internes. Mais, ce genre de liste impressionnante se retrouve chez de nombreuses autres espèces (ou chez des plantes à fleurs) : il y a encore un long, très long chemin, avant de déboucher éventuellement sur un médicament miracle. En tout cas, ces études valident a minima son usage dans la pharmacopée traditionnelle asiatique (en Inde notamment) mais on ne sait pas si tout cela est transposable à l’espèce européenne ! 

Evidemment, une forme et un comportement aussi originaux ont forcément suscité moult croyances, variables selon les pays. La poussière de spores est utilisée pour arrêter les saignements mais il s’agit là sans doute d’un effet indirect banal. Pour certaines ethnies peaux-rouges d’Amérique du nord, les astrées sont des étoiles tombées du ciel et donc associées à un pouvoir surnaturel. La tradition catholique s’en est aussi emparée pour en faire l’étoile du Berger. 

Fausse étoile ? 

Géasters présentés dans le guides champignons (voir bibliographie)

Longtemps, on a associé ce champignon à un groupe ayant le même aspect général : les géasters (Geastrum en latin ce qui signifie aussi étoile de terre !) ; on peut confondre l’astrée avec ces derniers (dont plusieurs espèces existent en France) mais elle s’en distingue par son ostiole irrégulière, comme déchirée, alors que l’ouverture des géasters est ronde et nette (pore). Au 19ème, on la nommait d’ailleurs Geastrum hygrometricus ; néanmoins dès la fin de ce siècle, un scientifique avait repéré des différences importantes d’anatomie interne avec les géasters et avait proposé de la classer dans un genre à part, Astraeus. Mais, d’autres scientifiques refusaient ce changement, considérant les différences comme minimes. 

Arbre de parentés très simplifié situant les géasters et l’astre dans le groupe des champignons

Au début du 21ème siècle, l’analyse de l’ADN démontre que l’astrée est clairement divergente des géasters : elle mérite donc d’être classée dans un genre à part ; mais, surtout,  elle est en fait tellement divergente qu’elle n’appartient pas du tout à la famille des géastridés mais à une famille propre.

Mieux encore, ces deux familles se situent dans des lignées très séparées dans l’arbre de parentés des champignons. Les astrées font partie des boletales ; elles s’y trouvent dans un sous-ordre aux côtés des sclérodermes, ces champignons en forme de boule à peau très épaisse et ont comme plus proches parents certains bolets (terme populaire vague qui recouvre en fait des familles différentes)  du genre Gyroporus comme le bolet châtain et le bolet indigotier. Les géasters de leur côté s’apparentent aux satyres (Phallus), bien connus pour leur apparence et leur odeur pestilentielle et se situent dans une branche nettement éloignée (plus ancienne) des boletales. Tout ceci signifie que géasters et astrées représentent un bel exemple de convergence évolutive : une même forme extérieure (étoile éclatée en branches surmontée d’une poche à spores) est apparue deux fois indépendamment à deux reprises dans l’histoire évolutive des champignons basidiomycètes. Comme historiquement on tenait les géasters comme étant les « vraies » étoiles, on avait donc qualifiée parfois l’astrée de fausse étoile de terre !  Finalement, aucun des d’eux n’est plus « vrai » ni plus « faux » que l’autre ! 

Bolet indigotier dans le Guide des champignons (voir bibliographie)

Bibliographie 

Le guide des champignons. France et Europe. G. Eyssartier. P. roux. Ed. Belin 2011. Excellent guide de terrain moderne 

A Comprehensive Review on Food and Medicinal Prospects of Astraeus hygrometricus.  Gunjan Biswas, et al. Pharmacogn J. 2017; 9(6): 799-806 

Astraeus: hidden dimensions Cherdchai Phosri, María P. Martín, and Roy Watling IMA FUNGUS · VOL.4 · NO 2: 347–356 

Derivation of a polymorphic lineage of Gasteromycetes from boletoid ancestors. Manfred Binder, Andreas Bresinsky. Mycologia, 94(1), 2002, pp. 85–98.