Jaborosa integrifolia

Le genre Jaborosa regroupe 22 espèces réparties en Amérique du sud depuis le Pérou et la Bolivie jusqu’en Argentine et au Chili. Une espèce est cultivée comme ornementale sous nos climats, la jaborosa à feuilles entières (Jaborosa integrifolia) qui possède un système reproducteur particulier lié à une pollinisation assurée par les grands sphinx . Comme souvent, quand on ne connaît de visu qu’une espèce dans un genre donné, on a tendance à croire que toutes les autres espèces du genre lui ressemblent peu ou prou. En fait, dans ce cas, il n’en est rien puisque le « modèle » de la jaborosa à feuilles entières avec des fleurs blanches en long tube ne concerne que trois espèces alors que la plupart des autres ont une corolle en forme de route, sans tube et arborent d’étonnantes couleurs marron brun ou rougeâtre foncé ! Une telle disparité implique d’une part des modes de pollinisation différents et une histoire évolutive avec des séparations de lignées différentes. C’est ce que tend à démêler une étude récente basée sur l’analyse génétique des 22 espèces du genre.

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La jaborosa à feuilles entières, avec ses fleurs blanches en long tube, ne reflète qu’une petite part de la diversité du genre Jaborosa.

Une place particulière au sein des solanacées

Les jaborosas font partie de la vaste famille des solanacées, bien représentée sous nos latitudes avec les morelles, les daturas, les jusquiames, entre autres. L’arbre phylogénétique établi (voir paragraphe suivant) indique que le genre le plus proche des jaborosas en terme de parenté serait celui de la belladone (Atropa), puis en seconde position celui des lyciets (Lycium) arbustes à baies rouges.La séparation des belladones se situerait il y a environ 17 millions d’années alors que les Andes commençaient juste à se soulever.

Deux grands groupes écologiques

On peut distinguer deux grands groupes au sein des Jabrosas. Le premier groupe, qui inclut la jaborosa à feuilles entières, réunit des espèces présentant le « syndrome de la sphingophilie », i.e. un ensemble de caractères indiquant une pollinisation par les sphinx, ces grands papillons nocturnes à longue trompe : une floraison nocturne avec un parfum marqué qui se répand la nuit tombée ; une corolle blanche (donc bien visible la nuit) en long tube et avec des lobes formant une sorte de soucoupe ; un disque nectarifère tout au fond du tube secrétant un abondant nectar fluide. Ce même groupe se localise dans des zones de plaines marécageuses à l’Est des Andes.

Le second groupe, avec les 19 autres espèces, se répartit par contre dans des zones de haute altitude au cœur des Andes, dans des zones semi-arides ou dans les steppes froides de l’extrême sud en Patagonie. Une partie de ces espèces aux fleurs de couleurs bizarres, qui répandent une odeur nauséabonde et fleurissent de jour, se trouvent pollinisées par des mouches spécialisées dans les matières en décomposition. Mais on y trouve aussi, quelques espèces pollinisées par des papillons nocturnes.

L’analyse génétique éclaire cette dichotomie et la confirme en permettant de poser des ordres de grandeur des dates historiques de séparation.

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Arbre phylogénétique simplifié d’après (1) montrant le « schisme » au sein des Jaborosas et les parentés avec les autres Solanacées.

Un schisme précoce au sein du genre

On retrouve effectivement sur l’arbre de parentés obtenu ici deux branches divergentes séparées dès la base ; d’un côté, la jaborosa à feuilles entières avec deux autres espèces et de l’autre, les 19 autres espèces. La séparation entre ces deux groupes écologiquement et géographiquement différenciés se situerait entre – 17 et – 10 Ma. Or, la géologie nous apprend qu’à cette époque les Andes avaient commencé leur soulèvement mais l’altitude restait encore moyenne entre 400 et 2500m ; par contre, à trois reprises, à la faveur de transgressions marines, des bras de mer (surnommés la « mer Paranéenne ») se sont avancés largement sur le continent sud-américain, créant ainsi une barrière géographique entre les Andes à l’Ouest et les plaines basses à l’Ouest. Cet événement a sans doute conduit à l’isolement d’une partie des populations ancestrales dans les plaines marécageuses où elles se sont différenciées.

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Carte simplifiée et adaptée à partir de (1) montrant l’extension de la « mer Paranéenne » vers – 15Ma qui séparait l’Amérique du sud en deux zones isolées l’une de l’autre.

 

Au sein du groupe « des plaines » avec la jaborosa à feuilles entières, la diversification a eu lieu vers – 5,5Ma, sous un climat chaud et humide, propice au maintien de populations florissantes de sphinx qui réclament un climat subtropical avec des nuits douces. Les données paléontologiques indiquent que les principaux genres de sphinx actuels existaient déjà dès cette époque.

Le groupe « andin » a connu une plus forte diversification du fait d’une part de la surrection croissante des Andes qui a créé de nombreux milieux différents ; après sa séparation du groupe des plaines, il y a eu, faute peut-être de populations de sphinx disponibles sous un climat plus froid, une évolution vers un nouveau mode de pollinisation par les mouches, suivi plus tard à deux reprises d’un retour à la pollinisation ancestrale par des papillons nocturnes.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Phylogeny and floral trait evolution in Jaborosa (Solanaceae). Marcela Moré, Andrea A. Cocucci, Alicia N. Sérsic & Gloria E. Barboza TAXON 64 (3) • June 2015: 523–534.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la jaborosa
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