Ailanthus altissima

Cime feuillée d’un ailante

Difficile de ne pas connaître l’ailante tant cet arbre fait désormais partie de notre environnement quotidien. J’éprouve une certaine affection pour ce colonisateur hors pair (voir la chronique consacrée à cet aspect de sa biologie) surtout quand je le croise au hasard des rues en ville, installé dans les lieux les plus improbables, comme un pied de nez à la civilisation technologique omnipotente. Je sais qu’il est honni et classé comme espèce invasive (injure suprême !) et je n’apprécie pas le voir occuper certains milieux semi-naturels où il se comporte en super-conquérant ; il n’empêche : cette essence a quelque chose d’attachant dans sa prestance, sa croissance incroyable et, moins évidente, son histoire ancienne et récente que nous allons parcourir. Peut-être qu’à la fin de cette chronique j’aurai réussi à changer votre regard sur l’ailante si celui-ci était fortement négatif et à le faire évoluer vers un certain respect ou admiration !

L’ailante est l’arbre par excellence des friches urbaines

L’ailante se classe dans une famille méconnue pour nous « occidentaux tempérés », les simaroubacées, qui compte une centaine d’espèces réparties en 20 genres tous tropicaux ou subtropicaux sauf justement dans le genre Ailanthus avec cinq espèces dont certaines remontent au Japon et dans le nord de la Chine. Parmi elles, se trouve donc « notre » ailante (A. altissima), l’ailante élevé, qui a conquis pratiquement toute la planète en deux siècles et demi.

Retour aux racines

On dispose à propos des ailantes (1) d’un riche registre fossile au cours de l’ère Tertiaire et sur tout l’hémisphère Nord, notamment sous la forme des fruits secs ailés (samares) en forme d’aile d’avion torsadée (voir la chronique sur la dispersion) mais aussi d’empreintes de feuilles dont la morphologie particulière facilite leur identification (très grandes, composées de 13 à 25 folioles entières en pointe effilée). Les plus anciens de ces fossiles remontent vers le début de la période Eocène (- 52Ma) en Amérique du nord et en Asie et vers le milieu de l’Eocène en Europe.

Sur la base des nombreuses origines géographiques des fossiles, on avait créé une multitude « d’espèces fossiles » que l’on regroupe désormais sous l’étiquette commune (faute de mieux) de Ailanthus confucii tant elles sont très proches. Leur morphologie les rapproche particulièrement de l’ailante élevé avec notamment la dent glanduleuse à la base de la foliole, caractère propre à cette espèce.

Au milieu de l’Eocène, en Europe, les ailantes côtoyaient des essences feuillues très diversifiées (érables, marronniers, charmes, châtaigniers, noisetiers, magnolias, frênes, noyers, saules, tilleuls, viornes, …) mais aussi des conifères tels que cyprès chauves et métasequoia (voir la chronique sur cet arbre) ou des palmiers dont une bonne partie sont aujourd’hui disparus de cette zone. Les ailantes ont persisté en Europe, en Amérique du nord et en Asie presque jusqu’à la fin de l’ère Tertiaire marquée par le refroidissement climatique annonciateur des grandes glaciations.

On pense que la famille se serait d’abord diversifiée sous les Tropiques avec des genres produisant des fruits charnus ; au début de l’Eocène, les ailantes se sont différenciés avec des fruits secs ailés ce qui a sans doute facilité leur expansion géographique et permis la colonisation de l’hémisphère nord à la faveur du climat plus chaud et favorable de la première moitié du Tertiaire.

Berceau chinois

La période glaciaire quaternaire a considérablement réduit et contracté l’aire de répartition des ailantes qui ont trouvé refuge en Asie orientale. A l’époque actuelle, la répartition de l’ailante élevé englobe une grande partie de la Chine couvrant une large gamme climatique et de milieux où il entre dans la composition naturelle des boisements de feuillus. Cependant, une partie de cette aire « naturelle » résulte sans doute déjà d’anciennes introductions périphériques tant cette espèce a des liens étroits avec l’homme notamment via ses propriétés médicinales remarquables et connues de longue date.

Une étude récente (2) a exploré la diversité génétique de cette espèce sur l’ensemble de cette aire chinoise immense. Elle révèle l’existence d’une douzaine de types génétiques peu différenciés : sept d’entre eux relèvent de trois grandes voies de dispersion majeures et les cinq autres sont par contre localisés géographiquement. Cette situation pourrait s’expliquer par l’existence de multiples refuges ayant fonctionné tout autour de la Chine pendant les périodes les plus froides des fluctuations climatiques du Quaternaire avec des dispersions ponctuelles à longue distance (expliquant les localisations particulières) et des expansions continues lors des périodes intermédiaires moins froides. Mais, les conclusions restent limitées à cause de la propagation humaine de l’espèce à l’intérieur de la Chine au cours de la période historique récente qui a modifié la structuration génétique de l’espèce.

Retour dans l’Ancien Monde

Carte mondiale de répartition ; en hachures l’aire naturelle en Chine. Extrait de (3)

Depuis cette aire de repli, l’ailante va connaître à partir du milieu du 18ème siècle une nouvelle expansion qui va le conduire bien au-delà de son ancienne aire puisque désormais il est présent sur tous les continents sauf l’Antarctique ! Ce retour en force, l’ailante le doit certes avant tout à l’Homme qui l’a transporté et planté un peu partout mais aussi à ses performances intrinsèques qui lui ont permis ensuite de se naturaliser et de se propager à grande échelle « tout seul » : une grande rusticité (capable de résister à des froids de – 33°C), une résistance à la pollution et aux perturbations, une écologie très éclectique et des samares ultralégères et performantes comme outil de dispersion par le vent et l’eau (voir la chronique).

L’histoire commence dans les années 1740 avec Pierre Nicolas Chéron d’Incarville (1706-1751), jésuite botaniste alors missionnaire en Chine (découvreur de nombreuses autres espèces comme le savonnier ou le sophora) et correspondant du jardin du Roi qui envoie depuis Nankin des graines de cet arbre en France à Bernard de Jussieu et en 1751 à la Société Royale d’Horticulture à Londres. L’ailante va rapidement se diffuser en Europe sous le nom de vernis par confusion avec un autre arbre asiatique, le vernis du Japon (Toxicodendron vernicifluum) au feuillage un peu ressemblant (famille des sumacs : anacardiacées). De l’Europe, il va gagner l’Amérique du nord en débarquant avec les Colons à Philadelphie en 1784 et il va se propager dans l’ensemble du continent. D’autres introductions répétées vont aider à sa progression comme à la fin du 19ème siècle où des Chinois habitant la côte Ouest vont l’introduire depuis leur pays comme repère culturel.

Usages multiples

Cette expansion planétaire a été amplifiée par la diversité des usages de l’ailante. En Europe, au début, on l’a planté comme arbre ornemental dans les parcs ; dès les années 1850, il est devenu un arbre à la mode sur les avenues et boulevards des grandes villes pour son ombrage, sa tolérance aux pollutions et l’absence d’insectes susceptibles de consommer son feuillage. Il a conservé depuis ce statut d’ornemental même s’il n’est plus très à la mode !

En Autriche et en URSS on l’a planté massivement pour créer des haies brise-vents dans les années 1950 et ce, à grande échelle. On l’a utilisé aussi comme outil pour lutter contre l’érosion des pentes et des talus des voies de circulation ou la restauration des anciennes carrières ou décharges. Sur les bords de la Mer Noire, on l’a installé dans les dunes pour les stabiliser. Autant d’environnements perturbés très favorables à son installation et sa dispersion et d’où il a pu gagner les corridors fluviaux si favorables pour sa progression.

Plus anecdotique mais néanmoins originale fut la tentative en 1860 en France d’introduire une nouvelle espèce de « ver à soie » suite à l’apparition d’une épidémie qui décimait le bombyx du mûrier : il s’agissait d’un très beau papillon, le bombyx de l’ailante (Samia cynthia), élevé depuis longtemps en Chine, qui produit une soie robuste. En 1861, plus de 400 000 ailantes avaient ainsi été plantés en plein air pour alimenter ce nouveau ver à soie. L’expérience fut sans lendemain et vite abandonnée (la soie est trop difficile à dévider !) mais les ailantes étaient là ! Le papillon, lui, a réussi à se maintenir dans quelques grandes villes (est-ce toujours vrai ?).

Des villes ou des champs

L’ailante n’est pas le seul arbre exotique colonisateur en ville ; ici (à droite), sur ce parking à l’abandon, il côtoie les paulownias et les buddléias.

Pour l’instant, l’ailante a conquis en fait toutes les régions du globe qui réunissent peu ou prou les conditions réunies dans son enveloppe climatique originelle en Chine : une longue saison végétative chaude, des hivers froids à doux, des précipitations annuelles au-dessus de 500 mm. Sa répartition actuelle en Europe reflète assez bien ces exigences avec une nette concentration de l’espèce dans les régions méditerranéennes et subméditerranéennes. Il a progressé vers le nord mais essentiellement en utilisant le tissu urbain avec son mésoclimat plus chaud alors que dans le sud il colonise tout autant les milieux ruraux ou semi-naturels. En Allemagne et en Grande-Bretagne, son installation dans les villes aurait été initiée par les dégâts occasionnés par les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale. En Amérique du nord, il a un comportement différent : certes très présent en ville, il prospère bien plus en milieu rural et pénètre même des milieux forestiers fermés (alors que c’est une essence de lumière), sans doute à cause d’une saison végétative plus longue.

Jusque dans les années 1980 en Europe centrale, il ne colonisait que les villes au climat chaud subcontinental à subméditerranéen ; il était absent des villes côtières plus au nord sous un climat atlantique. Depuis les années 1990, la situation change et il s’installe désormais dans les villes côtières et pénètre dans des villes sous des climats plus froids comme Zurich en suisse ou en Pologne : le changement climatique global explique sans doute ce virage annonciateur d’une nouvelle expansion à venir !

Avec ou sans H ?

Même son nom a une histoire mouvementée : son nom latin Ailanthus comporte un h alors que le nom français n’en a pas ; bizarre, non ? La bonne orthographe est bien sans h car son nom vient de ailanto (sans h !) qui en chinois signifie « arbre du ciel » même s’il désigne là-bas un autre arbre en fait. Ceci a été repris dans le nom anglais de tree of heaven. Le h du nom latin vient en fait d’une erreur d’orthographe commise par René Louiche Desfontaines (1750-1833), botaniste directeur du Musée National d’Histoire Naturelle de Paris, lors de la rédaction du texte de description de l’espèce. Comme le Code international de Nomenclature Botanique impose de conserver l’orthographe utilisée lors de la publication, fût-elle erronée ! Le seul inconvénient (tout relatif) est que ce nom latin laisse à croire qu’il vient d’un caractère de la fleur à cause de la racine grecque anthos ! On retrouve une situation similaire avec les amarantes dont le nom latin s’écrit Amaranthus !

Quant à son épithète altissima (très grand), elle est un peu surfaite et se rapporte peut être plus à son port élancé avec des branches dressées notamment quand il est jeune. Nous avons évoqué la confusion historique avec le vernis du Japon (voir ci-dessus) ce qui explique son autre surnom de faux-vernis du Japon ! A la campagne, on le surnomme souvent vinaigrier mais il s’agit d’une confusion avec le sumac de Virginie au feuillage un peu semblable.

Retour vers le futur

Alors quel avenir pour l’ailante ? La tendance climatique lui offre a priori un pont en or pour accroître encore plus son aire géographique même si localement des programmes d’éradication sont entrepris (avec souvent des succès mitigés !). Par contre, en 200é-03, en Pennsylvanie (U.S.A.), (4) on a commencé à observer un flétrissement sur des ailantes installés dans des bois. En 2008, plus de 8000 ailantes de la région étaient morts de cette maladie « nouvelle » ! On a identifié comme agent potentiel un champignon, Verticillium albo-atrum, responsable de la jaunissure ou verticilliose. D’aucuns rêvent déjà d’utiliser ce parasite contre l’ailante ailleurs … avec le risque majeur que ce champignon n’attaque d’autres arbres ou qu’une souche mutante très virulente ne se propage !

Une autre perspective plus positive serait d’exploiter le bois d’ailante comme source de fibres pour fabriquer du papier. Des essais avec des arbres de 2 ou 15 ans (5) montrent que la pulpe obtenue est de bonne qualité et aussi valable que celle obtenue à partir d’eucalyptus. Ce pourrait être un moyen de valoriser les boisements dominés par les ailantes.

L’ailante, un fort bel arbre pour nos villes, n’est-il pas ?

BIBLIOGRAPHIE

  1. PHYTOGEOGRAPHY AND FOSSIL HISTORY OF AILANTHUS (SIMAROUBACEAE). Sarah L. Corbett and Steven R. Manchester. Int. J. Plant Sci. 165(4):671–690. 2004.
  2. Phylogeography of the widespread plant Ailanthus altissima (Simaroubaceae) in China indicated by three chloroplast DNA regions. Y.Y. Liao et al. Journal of Systematics and Evolution 52 (2): 175–185 (2014)
  3. Biological flora of Central Europe: Ailanthus altissima (Mill.) Swingle. Ingo Kowarik, Ina Säumel. Perspectives in Plant Ecology, Evolution and Systematics 8 (2007) 207–237
  4. Ailanthus altissima Wilt and Mortality: Etiology
Mark J. Schall and Donald D. Davis 2009 The American Phytopathological Society
  5. Ailanthus altissima: An alternative fiber source for papermaking Patrícia Baptista et al. Industrial Crops and Products 52 (2014) 32–37

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'ailante
Page(s) : 106-107 Guide des fruits sauvages : Fruits secs
Retrouvez l'ailante
Page(s) : 25 Le guide de la nature en ville