30/07/2020  Outre l’allusion à la chanson de G. Bécaud, ajoutons ici La mauvaise réputation de G. Brassens, car la ronce se tient nettement en tête du hit-parade des plantes très mal-aimées !  On pourrait écrire des pages entières de citations extraites de romans ou de poésies ou d’expressions populaires qui honnissent ouvertement la ronce. On lui reproche ses épines certes redoutables, sa capacité inouïe à vous accrocher tant par celles-ci que par ses tiges en arceaux marcottées au sol, sa propension à former des fourrés et halliers impénétrables, sa rapidité à coloniser les espaces abandonnés par l’homme, son pouvoir de compétition envers les autres plantes notamment dans les coupes forestières, … La seule chose positive qu’on lui reconnaisse ce sont ses délicieux fruits parfumés qu’elle offre généreusement chaque fin d’été ; et encore, ils tachent les mains ! Et si on changeait de regard sur ce pauvre arbrisseau en le considérant pour ce qu’il est vraiment : une espèce vivante insérée dans un réseau d’interactions avec de nombreuses espèces animales et notamment avec les insectes pollinisateurs via ses fleurs. Une étude anglaise vient d’évaluer l’importance considérable des ronces vis-à-vis des insectes pollinisateurs, un groupe très malmené qui subit la crise écologique de plein fouet.

NB Derrière le mot ronce se cache en fait une incroyable diversité très complexe avec des espèces différentes et des milliers de microespèces qui ne sont guère connues que d’une poignée de spécialistes très pointus, les rubologues (de Rubus, le nom de genre). Ici, nous parlons de la ronce commune ou ronce des haies, un agrégat botanique (aggr. en abrégé latin) qui rassemble probablement 4 à 500 « espèces » se reproduisant de manière asexuée. Une raison supplémentaire de détester les ronces pour les naturalistes ! 

Généraliste 

Les fleurs des ronces varient du blanc au rose vif selon les « espèces » (voir ci-dessus) mais toutes partagent cinq pétales très étalés qui se chevauchent légèrement ou pas sur leurs bords. Les nombreuses étamines groupées au centre offrent une belle provende de pollen et enserrent un paquet serré d’ovaires libres avec chacun leur style court (voir la chronique sur les fruits composés des rosacées). Des nectaires à la base des pétales procurent par ailleurs du nectar assez abondant et concentré. Sur 175 espèces de plantes à fleurs communes testées pour leur production de sucre dans leur nectar par fleur et par jour, la ronce se place en cinquième position. La production de pollen ne semble pas limitée tant que les étamines n’ont pas fané et ce, même en fin de journée. 

Cette production ne vaut que pour la première phase de la floraison individuelle avec la maturité des étamines (phase mâle) ; dans un second temps, la fleur entre dans la phase dite femelle où les étamines fanent tandis que les styles et stigmates deviennent fécondables : à ce stade, la fleur n’offre presque plus de ressource, ni nectar ni pollen. 

La structure très ouverte en coupe aplatie des fleurs de taille moyenne rend leur accès très facile d’autant qu’elles se trouvent au sommet de panicules aux extrémités des rameaux. Pratiquement n’importe quel insecte, même muni d’une langue courte, peut ainsi accéder aux deux ressources florales sans difficulté ce qui en fait une fleur dite généraliste. Ajoutons les panicules fournies en fleurs, le grand nombre d’inflorescences par massif de ronces, la floraison échelonnée au sein de chaque panicule et l’on obtient tout le portrait d’une fleur dite « corne d’abondance » dotée de fortes récompenses florales et qui attire une large gamme de visiteurs potentiels. 

Omniprésente 

L’étude anglaise a quantifié l’importance de la ronce dans les paysages du Sussex, aussi bien dans des milieux urbains que ruraux, en suivant sa floraison et en évaluant son abondance. 

Sur 60 carrés de 200m sur 200m choisis au hasard, 54 abritaient des ronces ce qui confirme une omniprésence que l’on a tous ressenti au fil des chemins de promenade. 80% des carrés urbains contiennent des ronces et ce chiffre passe à 100% pour les carrés ruraux. La ronce représente donc une ressource potentielle très répandue à l’échelle régionale. 

Haie à base de ronces

L’étude montre par ailleurs sa présence dans treize grands types d’habitats. Cette diversité écologique  s’explique entre autres par la multiplicité des microespèces capables de prospérer dans des habitats assez différents. Une autre étude de 2019 en Angleterre en fonction des usages des terres révèle que la ronce fait partie du top 20 des espèces interagissant avec des insectes pollinisateurs les plus communes avec un taux de présence allant de 44 à 78%. Dans les zones rurales, la ronce commune prospère notamment  sur les lisières des bois, les coupes forestières, les friches buissonnantes, les bordures de champs, les talus (même rocheux) et les haies, les bords des rivières, … Elle colonise très vite les champs abandonnés ou sous-pâturés en formant des massifs qui s’étalent comme taches d’huile et forment en quelques années des fourrés impénétrables. Cette capacité est bien connue à la campagne et explique en partie sa mauvaise réputation car elle révèle en quelque sorte la suprématie de la nature sur l’humain ; elle semble vouloir faire disparaître toute trace du passé agricole en engloutissant les paysages et symbolise un mauvais entretien des terres. Ca ne fait pas propre !  D’ailleurs dans l’étude du Sussex, la ronce en milieu rural occupait tous les milieux recensés sauf le centre des champs cultivés.

Durable 

La ronce ne fleurit que sur les tiges d’au moins deux ans ; au bout de deux ou trois ans de floraison, ces tiges meurent mais entre temps des dizaines d’autres ont été produites. Pour un massif de ronces donné qui peut perdurer sur des dizaines d’années, la production se chiffre en milliers de fleurs. Par contre, en milieu ombragé, les peuplements peuvent rester longtemps sans fleurir tant qu’une trouée n’apporte directement de la lumière. 

La période de floraison s’étale, pour une région donnée, sur une longue période allant de mai à septembre, notamment selon les microespèces mais aussi selon les épisodes de précipitations qui relancent la floraison. Le pic de floraison se situe entre mi-juin et mi-juillet soit à une époque où l’offre en fleurs commence à baisser notablement, surtout lors des années de sécheresse alors que les ronces y résistent relativement bien pour peu que les réserves en eau du sous-sol soient importantes. Les floraisons de ronces en plein été constituent des mannes inespérées pour les insectes au moment où vraiment l’offre devient très limitée. 

Comparée aux autres arbres, arbustes ou herbes à fleurs fournissant pollen et nectar, la ronce est l’une des trois espèces avec la plus grande offre de fleurs entre début juin et début juillet dans l’étude du Sussex sur près de la moitié  des transects parcourus par les chercheurs dans les zones étudiées. Les autres espèces avec une forte disponibilité en fleurs étaient la pâquerette, le cirse des champs, l’épilobe en épi, le séneçon jacobée, les trèfles rampant et douteux et la vesce des crapauds. 

Abeilles 

Sans grande surprise, les abeilles domestiques viennent largement en tête parmi les nombreux visiteurs des fleurs de ronces. Sur 26 des 28 recensements opérés dans cette étude, l’abeille domestique était l’espèce d’insecte visiteur la plus représentée soit une moyenne de 60% du total d’individus observés, avec des variations allant de 33 à 90% selon les sites. Dans cette région du Sussex, comme dans beaucoup d’autres ailleurs, de nombreux apiculteurs entretiennent des ruchers ce qui renforce cette suprématie des abeilles domestiques. 

La pose de grilles à l’entrée des ruches a permis de suivre la collecte du pollen : elles retiennent les pelotes de pollen collectées sur les pattes des ouvrières dont on peut ensuite analyser le contenu et l’identité des pollens. Plus de 1000 pelotes sur quatre localités ont ainsi été collectées entre fin mai à début août. La proportion de ce pollen par colonie et par date de prélèvement, d’abord basse fin mai à début juin, atteint ensuite un pic entre mi à fin juin et mi juillet selon les localités. La proportion moyenne de pelotes à base de pollen de ronce varie de 24 à 39% selon les sites avec des pics à plus de 75% pour trois des sites. Clairement, les fleurs de ronces constituent une ressource clé tant en pollen qu’en nectar pour les abeilles domestiques élevées en ruches ou vivant à l’état sauvage.

Diversité 

Au delà des abeilles domestiques, certes dominantes mais pas exclusives, on observe une extraordinaire diversité de visiteurs identifiés lors de recensements à vue. Les hyménoptères viennent largement en tête représentant 30 à 40% des insectes observés en train de se nourrir sur ces fleurs. Outre les abeilles domestiques, on note la forte présence des bourdons dans une proportion presque égale aux abeilles domestiques (les dépassant même en milieu rural) avec notamment une espèce au statut très menacé, le bourdon variable (Bombus humilis). On sait que les bourdons subissent actuellement un effondrement de leurs populations dans les régions cultivées, même pour les espèces réputées jusqu’alors communes. Les abeilles solitaires visitent les fleurs de ronces en petit nombre mais avec une forte diversité des espèces : au moins 17 espèces recensées dans des genres variés tels que andrènes, mégachiles ou lasioglosses. Une analyse du pollen collecté par ces petites abeilles solitaires dans des zones agricoles du sud de l’Angleterre montre aussi que 4,5% du volume total de pollen collecté provient des ronces entre fin juin et début juillet et 17,5% de fin juillet à début août. 

Mouche (espèce rare) avec un bourdon

Les syrphes représentent un autre groupe peu nombreux en effectifs mais là encore très diversifié en espèces ou genres. Une autre étude sur les charges de pollen des syrphes (grains portés sur les poils de ces insectes : voir la chronique sur la pollinisation par les syrphes) autour de prairies du Pays de Galles, classe la ronce parmi les huit plantes majeures pour leur alimentation.

Les papillons de jour ne sont pas en reste avec au moins seize espèces observées dont deux d’intérêt patrimonial dans cette région (sylvain azuré et procris). Personnellement, ceci m’évoque des souvenirs d’enfance dans le bocage berrichon où, avec mes frères, nous partions à la chasse aux papillons : nous savions que les meilleurs « coins » en plein été, se trouvaient autour des massifs de ronces fleuris surtout au long des haies et dans les bois ; nous trouvions là les myrtils et amaryllis par dizaines mais aussi les tabacs d’Espagne, les tristans, les sylvains, les paons-du-jour, les nacrés et bien d’autres ! Enfin, terminons ce tour d’horizon des visiteurs des fleurs de ronces avec les coléoptères floricoles comme les oedémères, les téléphores fauves ou divers petits capricornes. 

Ces observations se recoupent avec d’autres travaux antérieurs qui pointent cette importance des ronces pour les insectes pollinisateurs. Ainsi, toujours dans le Sussex, en 2015, une autre étude, portant sur quatre habitats différents, place la ronce en cinquième position en nombre d’insectes visiteurs reçus/fleur. Dans une base de données anglaise sur les interactions fleurs/pollinisateurs, la ronce vient en troisième position avec 210 espèces visiteuses recensées, seulement dépassée par la renoncule rampante avec 260 et la grande berce 240. 

La tabac d’Espagne, notamment en forêt, exploite beaucoup les ronces

Espèce clé 

Une profusion de fleurs faciles d’accès

Tous ces résultats convergents démontrent sans ambiguïté que la ronce est vraiment une espèce corne d’abondance capitale pour le bon fonctionnement des réseaux de pollinisateurs. Son importance varie évidemment selon les périodes de floraison mais aussi selon la diversité des autres espèces de plantes à fleurs qui co-fleurissent à la même époque comme le framboisier par exemple, une autre « ronce » (Rubus idaeus) très recherchée elle aussi des abeilles et bourdons. Son caractère généraliste et son abondance en font un pilier central dans les campagnes et les zones urbaines où elle se maintient bien en dépit des transformations des paysages. Elle semble même capable d’assurer la survie d’espèces rares de pollinisateurs spécialisés sur des espèces de fleurs elles-mêmes rares en leur assurant des ressources en dehors de la période de floraison de leurs plantes préférées. On peut quand même apporter un bémol à ce bénéfice potentiel : il est possible que localement son abondance détourne ces pollinisateurs de leurs plantes nourricières principales, entrant ainsi en compétition avec ces plantes rares en déclin pour leur reproduction ! 

Son abondance le long d’éléments linéaires tels que chemins, bords de routes, voies ferrées, rivières ou lisières en fait de plus un élément clé pour améliorer la qualité de ces corridors de communication pour les insectes dont les habitats naturels se trouvent fragmentés par les activités humaines. 

Et pourtant, trop souvent, y compris dans des zones protégées ou dédiées à la conservation, on tend à éradiquer les ronces ou à les contrôler fortement en invoquant leur caractère « invasif » . Dans les zones urbaines, la situation est pire encore : là, les ronces s’implantent volontiers et très facilement via la dispersion de leurs graines dans les excréments des oiseaux frugivores. Mais, très rapidement, l’entretien à outrance les élimine avec acharnement ; il est vrai que la population urbaine réclame majoritairement cette destruction (voir l’introduction). Elles pourraient pourtant assurer la survie et le maintien de populations abondantes et diversifiées d’abeilles solitaires, de bourdons, de syrphes ou de papillons dans un environnement qui a en grande partie désormais la chance d’échapper au rouleau compresseur des pesticides … sans parler de toutes les autres espèces intéressées soit par leur feuillage, leurs tiges ou leurs fruits !

Il y a donc un enjeu de communication essentiel à valoriser la ronce et à la réhabiliter en expliquant ce rôle clé dans la conservation de la biodiversité ordinaire : apprendre à tolérer voire à promouvoir les ronces dans nombre de lieux publics tels que cimetières, parcs publics, haies, jardins, abords des monuments, … où elle peut très bien se développer sans gêner avec un minimum d’interventions adaptées. Chacun dans son jardin devrait pouvoir être fier de montrer à ses voisins son massif de ronces sauvages fleuri au lieu de parader avec une improbable espèce exotique ou un cultivar qui n’attire pratiquement aucun insecte ! La beauté se trouve plus dans la vie que dans la vue ! Et pour terminer comme nous avons commencé, en chanson, je dirais : Vive la ronce … et le muguet ! 

Bibliographie

Les références aux autres études mentionnées figurent dans la bibliographie de cette publication. 

Thug life: bramble (Rubus fruticosus L. agg.) is a valuable foraging resource for honeybees and diverse flower-visiting insects. VERONICA R. WIGNALL, NATALIE A. ARSCOTT, HAYLEY E. NUDDS, ANNABEL SQUIRE, THOMAS O. GREEN and FRANCIS L. W. RATNIEKS Insect Conservation and Diversity (2020)