AVERTISSEMENT : Cette chronique est dédiée au public enseignant et traite de pédagogie. Cependant, elle peut intéresser aussi les non-enseignants soucieux de dialoguer par exemple avec des enfants à propos de l’évolution.

Parmi les différents mode de représentation des relations évolutives entre espèces et/ou groupes (taxas), les arbres en diagonale (que les anglo-saxons nomment ladder-tree, i.e. « en échelle ») sont souvent utilisés dans un contexte éducatif, surtout au Lycée. Une équipe américaine très active dans le domaine de la recherche sur l’enseignement de l’évolution et ses obstacles a publié une étude dans laquelle est évalué l’impact de l’orientation de ces arbres sur la compréhension et la bonne lecture des informations évolutives qu’ils portent (1).

Plusieurs formats

Les anglo-saxons accordent une importance majeure à l’usage des arbres de parenté (cladogrammes) et aux capacités mises en œuvre : savoir les interpréter correctement et être capable d’inférer et de raisonner à partir des données fournies ; c’est ce qu’ils appellent le « tree-thinking » ou le raisonnement par les arbres (que je traduis personnellement par la « pensée arborescente »). Ces arbres correspondent aux outils utilisés par les scientifiques pour reconstituer des phylogénies : des cladogrammes avec des nœuds qui représentent les ancêtres communs (notion d’ascendance commune) ; ces diagrammes sont orientés par rapport au temps depuis une racine vers des extrémités où l’on place les espèces ou groupes dont on cherche à déterminer les degrés de parenté. Les nœuds les plus anciens se trouvent vers la racine et les plus récents proches des extrémités.

Il existe deux grands types de diagrammes susceptibles de représenter ces parentés et couramment utilisés en milieu scolaire (un troisième type ou diagramme circulaire, plus complexe, existe mais il est très difficile à construire autrement que par ordinateur) :

– les diagrammes au format rectangulaire que nous appelons « arbres en escaliers » ; ce sont ceux utilisés dans l’ouvrage de référence : La classification phylogénétique du Vivant (voir bibliographie)

diago-escaliers

Arbre en escaliers. Avec un tel arbre, on peut lire les degrés d’apparentement : le crocodile est plus proche parent du canard avec lequel il partage un ancêtre commun (le noeud en dessous : les Archosaures) ; de même pour la vipère et le lézard (Squamates) ; mais ces deux groupes partagent eux aussi un ancêtre commun (Diapsides) ; enfin, la souris partage un ancêtre commun (le noeud le plus bas) avec ces quatre autres espèces (Amniotes).

– les diagrammes au format « diagonal » que nous appelons « arbres en diagonale », ceux étudiés et analysés ici.

diago-droit

Cet arbre en diagonale résulte de la transformation « mécanique » du précédent (voir ci-dessous) ; cet arbre porte exactement les mêmes informations que le précédent en termes de parentés entre espèces …. à condition de le lire correctement !

La diagonale traitresse

Les arbres en diagonale figurent parmi les plus présentés et utilisés dans nombre d’ouvrages de référence et y compris dans les manuels scolaires, surtout au Lycée mais aussi au Collège. Ce succès tient entre autres à un avantage technique sans aucun lien avec les aspects scientifiques : celui de prendre moins de place, d’être moins encombrants visuellement.

 

De par son mode de construction, ce type d’arbre présente une ligne principale, une « colonne vertébrale » comme disent les chercheurs anglo-saxons en Sciences de l’éducation, sous forme d’une diagonale. Or, en pratique, on peut orienter cette ligne principale indifféremment de la droite vers la gauche ou vice versa sans que cela ne change les informations de parenté portées par les branches comme le montre l’exemple ci-dessous.

On peut donc utiliser soit le modèle n°1 où la diagonale « monte de gauche à droite » (que nous appellerons trivialement dans la suite des « arbres droitiers ») ou l’inverse (n°2 : « arbres gauchers »).

diago-gaucher

Cet arbre « gaucher » est rigoureusement l’équivalent de celui situé au-dessus (« droitier ») ; on l’a simplement fait pivoter autour de l’axe « souris » et du noeud situé en dessous.

L’objectif de cette étude (1) visait donc à évaluer l’impact de l’orientation de tels arbres sur l’efficacité et la précision des interprétations évolutives (les degrés et liens de parenté entre taxas) que peuvent en tirer des étudiants en première année de biologie à l’université. La grande originalité de cette étude c’est de s’appuyer sur des enregistrements des mouvements des yeux au cours de la lecture des arbres présentés, un outil puissant pour comprendre le fonctionnement cognitif des individus.

L’orientation change tout !

L’étude révèle trois grandes tendances statistiquement soutenues que nous allons successivement détailler et expliciter.

1-On tend fortement à lire ces diagrammes de la gauche vers la droite, quelle que soit leur orientation. Ce résultat n’a rien de surprenant compte tenu de notre mode de lecture de gauche à droite qui se reporte dans d’autres contextes comme celui-ci. On saisit immédiatement que ce biais d’orientation spontané va impacter la lecture des arbres selon leur orientation !

2- La diagonale attire fortement le regard et guide le traitement des données.

C’est un effet bien connu en psychologie : tout élément saillant dont la ligne droite conduit le regard et, indirectement, induit la lecture du document. Ainsi, si on présente le plan d’une maison avec l’entrée bien marquée, on commencera à « lire » le plan par cette entrée. Dans le cas d’un arbre en diagonale, la diagonale va devenir une entité cohérente ; elle va devenir un guide lecture en linéaire. Sauf que, en termes scientifiques d’évolution, cette ligne droite n’a pas de sens : c’est « l’étirement d’une série de bifurcations » selon un axe (voir le diagramme en escaliers)

diago-droitlect

Sur un arbre droitier, le cerveau d’un non-initié (et même de nombre d’initiés !) est « attiré » par la diagonale montante et lit de gauche à droite et de bas en haut ; ceci amène à contre-courant de la lecture évolutive qui est celle de l’ascendance commune (on remonte vers les ancêtres communs)

3- La lecture verticale dépend de l’orientation de la diagonale : les arbres droitiers sont lus de bas en haut tandis que les arbres gauchers sont lus de haut en bas. Dans le premier cas, le lecteur non averti aura tendance à rapprocher la souris de la vipère et du lézard puisqu’il les rencontre successivement s’il suit cette ligne. Par contre, dans le second cas (arbre gaucher), la lecture se faisant de haut en bas, le lecteur fera les « bons rapprochements » : le canard avec l’alligator, puis la vipère et le lézard et enfin la souris !

diago-gauchlect

Sur un arbre gaucher, on aura tendance à lire du haut vers le bas et toujours de gauche à droite ; cette fois par contre, on se trouve dans le « bon sens » de lecture de l’ascendance.

Action !

On peut tirer deux enseignements majeurs de cette étude. D’abord il faut impérativement fournir un mode d’emploi minimal : la lecture de ces arbres ne va pas de soi contrairement à une idée préconçue des enseignants ; le conseil à fournir serait de lire ces diagrammes toujours du haut vers le bas : prendre le taxon le plus loin de la racine (donc le plus dérivé) et aller vers celle-ci. L’autre leçon serait de fournir préférentiellement des diagrammes gauchers puisque spontanément, ils n’induisent pas une mauvaise lecture. Or, un sondage mené sur 27 ouvrages de biologie publiés aux USA montre que 80% des diagrammes en diagonale représentés sont …. droitiers ! On peut aussi montrer aux élèves que par une rotation des branches on passe de l’un à l’autre.

Il n’en reste pas moins que dans cette étude, même avec les diagrammes gauchers facilitants, le taux de réussite, tout en étant meilleur, n’atteignait que 70%. , La raison tient au protocole utilisé : les personnes testées devaient répondre sans avoir le droit de dessiner ; or, la plupart d’entre elles ont expliqué avoir essayé mentalement de traduire ce diagramme diagonal en diagramme en escaliers. Effectivement, on sait que ces derniers sont nettement plus accessibles aux apprenants débutants et présentent moins de difficultés de lecture, chaque bifurcation étant matérialisée par un « escalier ». Cet aspect important fera l’objet d’une autre chronique. Il n’empêche que les arbres en diagonale restent prédominants dans nombre d’ouvrages et de publication scientifiques et qu’au moins au niveau du Lycée et de l’Université, et il faut bien apprendre à les maîtriser.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Reading Phylogenetic Trees: The Effects of Tree Orientation and Text Processing on Comprehension. Laura R. Novick, Andrew T. Stull, and Kefyn M. Catley. August 2012 / Vol. 62 No. 8 • BioScience

A retrouver dans nos ouvrages

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Page(s) : Guide critique de l’évolution
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Page(s) : Comprendre et enseigner. La classification du vivant.