Juglans regia

En dépit des apparences, le noyer commun n’est pas une essence indigène en Europe occidentale ou centrale : originaire des montagnes du  bassin méditerranéen oriental et d’Asie, il a été introduit dès l’Antiquité et cultivé en grand pour ses fruits (voir la chronique sur les noix). Au cours de la seconde moitié du 20ème siècle, on a assisté à une naturalisation progressive de cet arbre cultivé sous sa forme sauvage notamment dans les grandes vallées au long des rivières dans les ripisylves et forêts alluviales, dans les bois des ravins ou sur les pentes en friches. En Europe de l’Est, ses populations sauvages ont explosé récemment suite à l’abandon des terres cultivées qu’il recolonise en masse grâce à l’aide de ses agents de dispersion dont les corvidés et les écureuils (voir la chronique sur le corbeau et le noyer). Dans les Alpes centrales, on assiste à une forte progression du noyer sauvage sur les pentes boisées des vallées : cette fois, une étude pointe le réchauffement climatique come cause première de cette expansion.  

Frileux 

Aire de répartition originelle (d’après 3 Bibliographie)

Dans les Balkans qui représentent donc une partie de son aire originelle supposée, le noyer commun vit dans des régions montagneuses humides sur les flancs des vallées mais aussi le long des rivières dans des peuplements plutôt humides. On le classe parmi les essences sensibles au gel et surtout aux gelées précoces et tardives. Celles-ci brûlent et détruisent les jeunes pousses feuillées et/ou les fleurs. Dans son aire optimale, les températures moyennes annuelles se situent autour de 10 à 15°C et les moyennes hivernales autour de 2,5°C ; il semble ne pas supporter des moyennes annuelles en dessous de 7°C. L’hiver, en phase de repos, il peut néanmoins supporter des froids intenses jusqu’à – 30°C mais à condition que la baisse de température se fasse progressivement ; les branches peuvent alors être endommagées par le froid.Classiquement, en montagne, on ne le trouvait guère au dessus de 700m jusqu’à 1000m. Il se comporte donc en essence thermophile ayant besoin de chaleur et son aire correspond peu ou prou à celle de culture de la vigne. Il a aussi besoin de lumière même s’il tolère les situations de demi-ombre : dans les forêts alluviales, il s’installe surtout dans les clairières. 

En rouge sur cette carte, les zones où il est déconseillé de cultiver le noyer commun (d’après 3 Bibliographie)

Expansion 

Dans la région du Tyrol qui inclut plusieurs grandes vallées dont celle de l’Inn où s’est déroulée l’étude mentionnée ci-dessus, jusqu’au début du 20ème siècle, on ne connaissait aucune population sauvage de noyer commun avec seulement des arbres plantés et cultivés depuis des siècles ; les jeunes plants étaient protégés jusqu’à atteindre une taille qui les rend aptes à surmonter les conséquences du froid et des gelées. Depuis les années 60-70, les populations de noyer sauvage ont considérablement augmenté dans cette région à cheval sur l’Autriche et l’Italie : là, les noyers sauvages envahissent des boisements souvent dominés par des pins sylvestres ou des épicéas principalement sur des pentes exposées au sud ou au sud-ouest.

Or, dans plusieurs autres zones des Alpes internes, on observe parallèlement des « migrations » généralisées de diverses essences forestières en lien avec les conséquences du réchauffement global. Dans le sud de la Suisse, le houx devenu nettement plus compétitif avec l’allongement de la saison de croissance a beaucoup progressé ; à la faveur d’hivers plus doux, le palmier chanvre de Chine, espèce ornementale cultivée, se naturalise y compris en altitude. Dans le Valais suisse, le chêne pubescent, essence thermophile (c’est le chêne truffier), envahit lui aussi les pinèdes de pins sylvestres. Ces quelques exemples et de nombreux autres indiquent donc clairement que le changement climatique agit sur les plantes et peut modifier profondément leur répartition. Est-ce bien aussi le cas pour le noyer dans cette partie des Alpes ? 

Invasion biaisée 

Jeune pousse en cours de débourrement : une phase critique pour le noyer

Sur la zone d’étude du Tyrol autrichien, dans quatre sites retenus, 757 noyers sauvages présents ont été cartographiés, numérotés, mesurés en hauteur et diamètre ; pour chacun d’eux, l’âge précis a pu être déterminé notamment à l’aide des cernes de croissance par prélèvements. 

L’analyse des résultats montre que plus de 90% d’entre eux se sont installés après 1970 et que près de la moitié avait moins de dix ans. Aucun de ces arbres sauvages ne produisait de fruits à une exception près pour un noyer de 32 ans à très faible production. Donc, il ressort une jeunesse évidente de ces peuplements en cours d’installation.  

Mais l’étude apporte un autre éclairage très intéressant sur les modalités de cette expansion qui ne se déroule pas de manière uniforme dans l’espace. Ainsi, sur un des sites avec des pentes exposées au nord et d’autres au sud ou sud-ouest, 80% des noyers installés se trouvaient sur ces dernières. Tous les noyers de ce site âgés de plus de 30 ans et 90% de ceux entre 21 et 30 ans poussaient sur des pentes sud ou sud-ouest. Sur les 34 noyers de ce site installés sur une pente nord, 28 avaient germé après 1990. Ce confinement sur des pentes bien exposées pointe clairement un lien étroit avec l’évolution récente du climat et avec la sensibilité forte de cette essence au froid et aux gelées. Or, pour ce dernier point, la survie de l’espèce à l’état sauvage dépend fortement des stades juvéniles bien plus sensibles aux dégâts du froid et du gel que les arbres adultes. D’ailleurs, au Tyrol, les noyers cultivés le sont majoritairement dans des champs ou des jardins exposés au sud où l’air froid ne stagne pas. 

Le poids du froid 

Au delà des moyennes annuelles, l’intensité et la durée des épisodes hivernaux très froids semblent plus déterminants pour l’installation durable des noyers sauvages. Ainsi, en Europe centrale, au cours du 20ème siècle, quatre hivers extrêmement froids (28/29, 55/56, 62/63 et 80/81) ont entraîné la mort de tous les noyers âgés de moins de vingt ans. Or, ici, aucun des noyers échantillonnés n’a germé au cours du printemps qui a précédé ou suivi ces quatre hivers extrêmes. Il se dégage une forte corrélation entre les dates de germination de noix sauvages et les températures minimales hivernales plus élevées que la moyenne et un nombre moyen de jours de gel plus bas que la normale entre décembre et février. En fait, depuis 1925, la majorité des noyers sauvages ont germé lors des printemps qui suivaient pu précédaient des hivers anormalement doux. L’explication tiendrait à la possibilité pour les noix et les plantules de l’année à trouver des conditions favorables à leur hibernation. Des expériences sur des noix en culture confirment que les hivers froids et humides entraînent une incapacité de germination des noix. 

Les pentes exposées au nord ne voient pratiquement pas le soleil en hiver ; en cas de gelées en début d’automne (09/10) ou en fin de printemps (04/05), les bourgeons et les graines ne peuvent bénéficier du réchauffement par le soleil qui atténue les dommages occasionnés par ces gelées. D’autre part, les pentes nord boisées ont une strate herbacée bien moins développée avec une couverture du sol réduite à moins de 10% : en cas d’absence de neige, la litière réduite de feuilles mortes ne protège pas les fruits et plantules des températures extrêmes. 

Réchauffement global

Plusieurs études climatiques à l’échelle des Alpes européennes ont déjà démontré l’accroissement des températures globales ; au cours des 150 dernières années, les températures moyennes annuelles ont augmenté de 0,55°C en Europe et de 1,1°C au sein des Alpes ; les températures minimales hivernales montrent une plus forte hausse que les moyennes annuelles. A l’échelle régionale comme en Autriche, la hausse moyenne des températures minimales en hiver atteint plus de 1°C par rapport au début du vingtième siècle. Par apport au début des années 1960, la durée moyenne de la saison de croissance des végétaux a augmenté de plus de 11 jours. 

Ainsi, depuis le début des années 70, la hausse des températures moyennes annuelles a dépassé le seuil de 10,5°C nécessaire pour le développement du noyer, augmentant les surfaces potentielles où ils pouvaient s’implanter. La plus forte hausse des minimales hivernales a de son côté optimisé les chances de réussite de la germination de noix et de survie des plantules de l’année ce qui explique l’explosion récente des populations de noyers sauvages. Si le processus a d’abord avant tout concerné les pentes exposées au sud ou sud-ouest, l’étude montre aussi que même les pentes nord moins favorables commencent à leur tour à voir apparaître des noyers sauvages. Le noyer peut donc être considéré comme un bon indicateur de la réponse des milieux naturels au changement global en cours. Comme la hausse des températures se poursuit à un bon rythme, les conditions d’épanouissement des noyers sauvages vont s’améliorer : les pinèdes de pin sylvestre et les forêts d’épicéas des vallées internes des Alpes seraient donc en voie d’évolution inéluctable vers des peuplements mixtes (résineux/feuillus) dans lesquels les noyers sauvages auraient une large place : une illustration pédagogique qui permet de comprendre que changement climatique rime avec changement biotique (du vivant). 

Dispersion 

Nous avons vu que le noyer n’était pas indigène dans les Alpes centrales et que les nouveaux noyers, pour l’instant, ne produisent pas de noix : ceci pose la question de l’origine de ces noyers sauvages et de leur dispersion dans les paysages. Ce n’est pas l’homme qui disperse les noix dans les pentes boisées mais les agents naturels de dispersion que sont des animaux consommateurs de noix : corneilles, corbeaux, gais, pies, casse-noix, pics, rongeurs. Ils récoltent les noix des arbres cultivés et les déplacent à plus moins grande distance pour les consommer ou les cacher comme provisions pour l’hiver ; comme une petite proportion finit toujours par leur échapper ou être oubliée, ils participent, « à l’insu de leur plein gré », à la dispersion des noix (voir la chronique sur le freux et les noix ou sur le geai et les glands).

On peut penser a priori que ces animaux dispersent les noix aussi bien sur les pentes nord que sud (on ne dispose pas d’étude expérimentale sur cet aspect) ; ainsi, dans un avenir proche, au fur et à mesure que l’environnement climatique des pentes nord va se transformer en leur faveur, les noyers vont inéluctablement se propager sur ces pentes. Par ailleurs, dès que les conditions climatiques vont devenir optimales, des noyers sauvages vont potentiellement devenir à leur tout producteurs de noix ce qui va accentuer la progression de l’espèce, très recherchée pour ses fruits par les animaux cités. Tout serait donc écrit par avance pour une victoire totale du noyer : pas tout à fait … 

Effet inverse 

Rameau en cours de feuillaison et de floraison, ravagé par une gelée tardive

Le réchauffement climatique améliore certes d’un côté les conditions de survie et de croissance des jeunes noyers mais il induit d’un autre côté des changements dans la phénologie, i.e. le calendrier naturel des évènements clés du développement. Avec des températures printanières moyennes en hausse et des hivers plus doux, les noyers tendent à démarrer plus tôt le débourrement de leurs bourgeons de feuilles et de fleurs. Une étude conduite en Slovénie sur des variétés cultivées de noyer montre que une hausse moyenne annuelle  de 1°C apporte cinq à six jours en plus au début du printemps au-dessus de 10°C, le seuil clé pour le noyer. Actuellement, le temps qui s ‘écoule entre le début du débourrement des bourgeons et la maturité des noix est de 150- 180 jours : avec une hausse moyenne des températures de 2,5°C , le calendrier serait décalé de 2 à 4 semaines plus tôt au début du printemps. 

Or, pour autant, le réchauffement global n’exclut pas des gelées ponctuelles : nous constatons même plutôt une amplification de ces évènements extrêmes mais brefs ; dans ce contexte, les noyers risquent d’être très affectés dans leur production de fruits puisque qu’une seule nuit de gelée au moment de la floraison peut quasiment anéantir la production de noix. Et dans les vallées des Alpes, cet effet sera amplifié du fait de l’altitude. Donc, les noyers sauvages pourraient voir leur expansion limitée par cet effet climatique indirect. 

Bibliographie 

Spread of walnut (Juglans regia L.) in an Alpine valley is correlated with climate warming. Klaus Loacker et al. Flora 202 (2007) 70–78 

Shifts in walnut (Juglans regia L.) phenology due to increasing temperatures in Slovenia. Z. ČREPINŠEK et al.  Journal of Horticultural Science & Biotechnology (2009) 84 (1) 59–64

Illustrations : 161026_jre_fiche. PDF sur le site https://agriculture.gouv.fr