Sedum album

25/ 10/2021 L’orpin blanc est l’une des plantes les plus utilisées pour couvrir les toits et terrasses végétalisées aux côtés d’autres espèces d’orpins : nous avons consacré une chronique à cet usage des orpins et à leur effet « rafraîchissant » en période de sécheresse. Les orpins appartiennent à la famille des crassulacées aux côtés des joubarbes ou artichauts de muraille (voir la chronique) ou du nombril de Vénus (voir la chronique). L’orpin blanc est de loin l’espèce la plus commune et la plus répandue sur les murs des villes et villages : son statut de plante grasse, ses feuilles rondes souvent rouge vif et ses propriétés médicinales n’ont pas manqué d’attirer l’attention des Anciens. Il occupe de ce fait une place importante dans le folklore populaire L’extrême facilité avec laquelle on peut le cultiver dans les jardins, associée à son intérêt pour la biodiversité, en font une plante compagne idéale. 

Orpin Sedum

Même pour le grand public, les orpins sont souvent plus connus sous leur nom latin scientifique de Sedum ce qui doit être la conséquence de l’usage horticole de nombreuses espèces. Le nom d’Orpin remonte à la fin du 12ème siècle et correspond à une forme abrégée du mot orpiment qui désignait un mélange de sulfures d’arsenic utilisé notamment pour tanner les peaux. On l’utilisait aussi en peinture pour la couleur jaune sous le nom d’orpin jaune et d’ailleurs, historiquement, ce sont les espèces de Sedum à fleurs jaunes (comme l’orpin brûlant ou l’orpin rupestre) qui ont d’abord reçu ce nom. 

Orpin blanc et deux orpins jaunes : l’orpin âcre (en bas à gauche) et l’orpin réfléchi (en arrière)

Le nom Sedum viendrait du verbe sedarer, apaiser (qui a donné sédatif) et a d’abord été attribué à la joubarbe ou artichaut de muraille (voir la chronique) à cause de l’usage folklorique de cette dernière comme pare foudre sur les toits de chaume ; elle était donc censée apaiser la colère des dieux dont Jupiter le dieu aux colères orageuses. Cette seconde étymologie est sans doute la plus plausible car dans les textes anciens l’orpin blanc était nommé petite joubarbe (Sempervivum minus). Pour les anglo-saxons, les orpins sont les stonecrop, i.e. des plantes qui poussent sur la pierre car la majorité d’entre eux vivent effectivement sur des substrats rocheux.

Colonie étalée typique (en hiver)

On trouve parfois une autre étymologie : sedum dériverait du verbe sedere, s’asseoir par allusion au port souvent étalé de ces plantes. Ceci va particulièrement bien à l’orpin blanc qui forme des colonies étalées et pas des coussinets ou des touffes denses comme d’autres orpins. Depuis une souche (plante vivace), très ramifiée à sa base, partent des tiges couchées qui émettent en tous sens des rejets stériles courts couchés ; l’enracinement de certains de ces rejets contribue à étendre la colonie qui s’étale. Les tiges qui se redressent sont florifères et sèchent après la floraison tandis que les rejets courts persistent toute l’année. 

Succulente 

Feuilles espacées sur tiges fleuries dressées

L’orpin blanc, comme tous les membres de sa famille, les Crassulacées, fait partie du groupe biologique des plantes succulentes, i.e. des plantes charnues qui accumulent et conservent de l’eau dans leurs tissus. L’usage de ce terme prête souvent à confusion pour les non-initiés : il correspond bien à l’un des deux sens du mot succulent « qui contient une importante quantité de suc » (de succus  ou sucus, suc) et qui s’applique aussi en médecine pour désigner un organe imprégné d’une quantité excessive de lymphe. 

Chez les orpins, la succulence touche essentiellement les feuilles charnues. Les feuilles de l’orpin blanc ne manquent pas d’originalité avec leur aspect de mini-saucisse cylindrique, bien loin de l’image classique de la feuille aplatie à deux faces bien différenciées. Plus ou moins espacées au long des tiges, généralement alternes, elles s’en écartent et soit se redressent, s’étalent ou se rabattent un peu. Un peu renflées en massue, elles présentent parfois un côté légèrement aplati. Longues de 1 à 1,5cm en moyenne, elles peuvent atteindre 2,5cm et n’ont pas de pétiole. Selon l’exposition des sites au soleil, le feuillage peut prendre une belle teinte verte dans des situations un peu ombragées à rouge vif foncé ou rouge orangé dans les sites en pleine lumière. Cette teinte rouge frappante s’affiche surtout en plein hiver car avec la reprise de la végétation et la croissance des pousses florifères, le vert tendre tend à reprendre le dessus.

Ces feuilles si singulières se détachent très facilement et n’ont pas manqué de susciter la curiosité des Anciens d’où une pléthore de surnoms populaires en lien avec elles. Dès le Moyen-âge, on trouve le nom de vermicularis, vermiculaire (worm grass des anglais) car « elle jette d’une seule racine plusieurs tiges dures comme du bois, couvertes de feuilles menues, longuettes, étroites, qui ressemblent aux vers qui viennent dans les fromages pourris, ce qui lui a donné le nom de Vermicularis ». La forme cylindrique atténuée au bout souvent teinté de rouge même sur les feuilles vertes évoque des tétines (tétiforme !) et a donné tete soriz ou teste de souris : tétine de souris. On les a comparées aussi à juste titre avec des grains de riz (à l’état hydraté !) avec les surnoms de ris sauvage ; au Portugal, on le surnomme arroz- dos-telhados, ce qui signifie riz de toit car il fréquente aussi les toits de tuiles. On trouve aussi l’appellation de raisin de rat qui doit renvoyer aux pousses à feuilles denses et rouges faisant penser à de mini-grappes, l’allusion au rat signifiant « de piètre qualité ». Enfin, signalons le surnom, attribué par ailleurs à bien d’autres plantes de pain de pigeon car ces derniers seraient friands de ses feuilles (?). Bref, la galerie de surnoms de l’orpin blanc s’avère toute aussi succulente (sens dérivé !) à l’oreille que ses feuilles au toucher et à la vue ! 

Blanc 

La floraison a lieu de juin à août et colore de beaux tapis blancs les environnements souvent « déserts » qu’il colonise. Les pousses florifères dressées, vertes ou rouges (ou mixtes) elles aussi selon les sites, avec des feuilles très espacées, déploient à leur sommet des cymes composées de corymbes étalés très ramifiés et élégants avec des dizaines de petites fleurs étoilées très délicates blanches (d’où l’épithète album du nom latin) à rosâtre pâle. Chaque fleur se compose d’un calice à 5 sépales charnus verdâtres tachetés de rouge, puis de 5 pétales arrondis bien plus longs, étalés. Les dix étamines à anthères d’un beau rouge à l’éclosion (noires à maturité) portées sur des filets blanc pur tranchent de belle façon tandis qu’au centre se déploie la couronne de cinq pistils blancs couronnés chacun d’un style allongé. Sous chaque pistil se trouve une glande nectarifère, assez facile d’accès vu la structure ouverte et étalée de la fleur et qui attire petites mouches et abeilles solitaires de petite taille.

Inflorescences fructifiées sèches

Les fleurs fécondées donnent des fruits secs s’ouvrant par une seule fente (follicules) renfermant de nombreuses graines sur deux rangées, dispersées entre autres par l’eau. 

Les fleurs affichent une taille très variable ce qui avait conduit à distinguer deux sous-espèces (que certains supputaient être des espèces) selon la taille : les fleurs de 5-10mm de diamètre (subsp. micranthum, i.e. « à petites fleurs ») et les fleurs de 10-15mm (subsp. type album). il ne s’agirait en fait que de variations instables même si les plantes à petits fleurs semblent nettement plus répandues. 

On trouve au moins deux autres espèces d’orpins à fleurs blanches qui lui ressemblent. L’orpin à feuilles épaisses (S. dasyphyllum), plus occasionnel sur les vieux murs (sinon montagnard) se distingue aisément par son feuillage nettement velu-glanduleux à feuilles courtes (moins de 5mm), presque rondes ; parfois, il peut être glabre comme l’orpin blanc mais il diffère par sa teinte bleutée (glauque) ou violacée et les feuilles des rejets stériles sur quatre rangs ; il tend aussi à former des touffes denses ou des coussinets et pas des colonies étalées. Sur la grande façade atlantique (jusqu’au Limousin), on rencontre l’orpin des Anglais (S. anglicum), entièrement glabre à fleurs à pédicelle au plus très court (versus plus long que le calice chez l’orpin blanc) et des inflorescences nettement moins ramifiées ; ses feuilles sont plus imbriquées et prolongées à leur base au-delà du point d’insertion. Il habite toutes sortes de milieux rocheux mais aussi les murs et les toits. 

Saxicole 

L’orpin blanc est clairement une espèce associée à la pierre même s’il peut se développer aussi sur des sols très minces (squelettiques) ou sur les sables et graviers (qui sont aussi des roches !) du lit majeur des grandes vallées fluviales. Il colonise très facilement les affleurements rocheux nus : corniches, rochers, dalles rocheuses, chaos, éboulis. Il recherche les stations chaudes et sèches (xérophile), en plein soleil (héliophile) ; il supporte la mi-ombre à la rigueur. Au niveau de la nature des roches, il abonde surtout sur des substrats pas trop acides, proches de la neutralité : les calcaires ont sa préférence mais aussi les schistes et même les roches granitiques ou métamorphiques contenant au moins quelques minéraux calciques. Il monte jusqu’à 2500m en altitude

Les milieux cités ci-dessus correspondent à son habitat primaire mais il a su s’adapter aux innombrables milieux secondaires créés par l’homme et s’apparentant de près ou de loin à des milieux rocheux : carrières, ballasts des voies ferrées, vieux murs (surtout sur les sommets ou faîtages) un peu dégradés ou murs de pierre sèche, toits anciens, cimetières, … Tous ces milieux lui ont permis d’élargir considérablement son aire d’expansion : ainsi, il est largement répandu dans la grande agglomération parisienne. Il a aussi été introduit comme aux USA. En Grande-Bretagne, on pense l’essentiel des populations provient d’introductions.  

Son aptitude remarquable à coloniser les milieux rocheux en fait une espèce très facile à acclimater dans les jardins sans mauvaise conscience vu son statut d’espèce indigène. Il suffit de prélever quelques tiges avec des feuilles sur une colonie (sans la détruire du tout) et de les installer avec un soupçon de terre fine dans une crevasse d’un muret ou dans des pots ; il saura très vite s’étendre et coloniser les alentours. Sa floraison estivale est un régal pour les yeux et il ne demande aucun entretien ! 

A noter qu’en haute montagne, l’orpin blanc est l’une des espèces d’orpins consommée par les chenilles de l’emblématique apollon, ce grand papillon blanc à taches noires et pupilles rouges ; très poilues, ces chenilles sombres portent deux lignes de taches jaunes à rouge orangé ; quand on les dérange, elles font surgir au sommet de leur tête un organe gonflé orangé à jaune malodorant (osmétérium) que l’on retrouve chez le machaon (voir la chronique) ; ces papillons appartiennent effectivement à la même famille des Papilionidés. 

Trique-madame 

L’orpin blanc, comme toutes les autres crassulacées, par son statut de plante grasse, a été utilisé autrefois a minima comme plante adoucissante et rafraîchissante en écrasant les feuilles sur des zones enflammées : 

La beauté de l’orpin blanc ne peut faire oublier toutes les souffrances passées (et encore présentes) des femmes !

« elle est bonne à tous les maux où il y a de la chaleur, de la rougeur et de la démangeaison, en appliquant le suc avec des linges, surtout y joignant de l’onguent de peuplier ; car alors elle ôte la douleur et la démangeaison tout à la fois ». On l’a de ce fait étroitement associé, du fait de son abondance et de la facilité à s’en procurer devant chez soi, au traitement des contusions des femmes ; vous aurez vite compris que cette spécificité féminine n’a rien de fortuit en des temps où la condition féminine ne souciait pas grand monde et où femme battue rimait avec ordinaire ! On le trouve souvent sous la forme tripe-madame et selon certains auteurs anciens la réelle orthographe serait trippe-madame à partir d’un verbe ancien, tripper(rien à voir avec une version récente de ce verbe remis au goût du jour à partir de trip) qui signifiait danser sur place en trépignant à cause des propriétés excitantes de la plante ! En tout cas, nos voisins anglais ont repris cette appellation sous la forme trick madame. 

La couleur rouge intense que peuvent prendre les feuilles ainsi que leur forme ont suscité, en vertu de la théorie des signatures, son usage comme anti-hémorroïdes en Haute-Provence. On peut (semble t’il) le consommer comme condiment dans des salades mais attention aux intolérances qu’il peut provoquer : dans le doute, mieux vaut s’abstenir !  

Le CAM

Non, il ne va pas être question ici du très sympathique « roi Jean », navigateur au long cours, mais d’un processus physiologique remarquable qui permet aux orpins d’affronter les conditions extrêmes des milieux rocheux secs et chauds qu’ils affectionnent. Il s’agit d’un type de photosynthèse particulier : le Métabolisme Acide Crassuléen (CAM en anglo-saxon) ; nous allons en présenter les très grandes lignes en essayant de rester très simple pour un mécanisme qui ne l’est pas ! 

Toutes les plantes vertes pratiquent la photosynthèse (la synthèse de molécules organiques pour leur alimentation) en fixant le dioxyde de carbone de l’atmosphère qu’elles prélèvent via des micro-orifices situés sur les feuilles, les stomates et dont l’ouverture/fermeture peut être contrôlée ; à l’aide de l’énergie lumineuse, elles transforment ce CO2 en molécule carbonée (sucre) avec l’aide des pigments chlorophylliens. Il existe trois grands types connus de photosynthèse : celle dite en C3, en C4 et le CAM. 95 % des plantes vertes pratiquent la première, la photosynthèse en C3 : elles fixent le CO2 de l’air de jour (en présence de soleil) via les stomates ouverts des feuilles et le transforment, dans une première étape d’un cycle à multiples étapes, en une molécule à 3 atomes de carbone ; d’où l’appellation C3. Les plantes en C4, dont un certain nombre de graminées (maïs, canne à sucre, …), fixent d’abord le CO2 sous forme d’un composé à 4 atomes de carbone avant de le déplacer vers l’intérieur des feuilles et de le décomposer en CO2 pris en charge cette fois selon le cycle en C3 ! Grâce à ce déplacement à l’intérieur, la plante obtient un meilleur rendement et surtout peut fermer ses stomates plus longtemps ce qui limite ses pertes en eau ; en effet, ouvrir les stomates implique que la plante laisse s’échapper de la vapeur d’eau (évapotranspiration) et risque dans des conditions sèches de perdre trop d’eau. Ainsi, avec 400 g d’eau, une plante C3 assimile 1g de carbone alors que 250 g suffisent pour une plante C4. Autrement dit, le dilemme pertes en eau/nutrition carbonée se trouve au cœur des enjeux de survie des végétaux verts dans leurs environnements parfois très contraints.

Les plantes CAM, dont les crassulacées chez qui on a découvert ce processus, ont évolué vers une troisième stratégie en décalant dans le temps (et non dans l’espace comme les C4) la fixation du CO2 et sa transformation. Les stomates de ces plantes ne s’ouvrent que la nuit, moment où a priori le taux d’humidité est plus élevé même dans un milieu aride ou semi-aride ; la plante CAM fixe alors le CO2 sous forme de molécules d’acide malique stocké temporairement à l’intérieur des cellules dans des espaces appelés vacuoles. Ceci explique que ces plantes possèdent de relativement grandes cellules capables de stocker cet acide malique et qu’elles aient un goût acidulé. De jour, elles ferment leurs stomates et vont utiliser la lumière pour transformer l’acide malique stocké en sucre assimilable ou de réserve (comme de l’amidon) ; cette voie suit en partie celle des plantes en C3. Ainsi, les plantes CAM réussissent à faire la photosynthèse en limitant au maximum les pertes en eau, même si le rendement final en sucre produit est moins élevé. Une plante CAM perd 35% moins d’eau qu’une plante en C4 et jusqu’à 85% de moins qu’une plante C3. 

L’orpin blanc se comporte en fait en plante CAM facultative ; par temps humide, il fonctionne en C3 comme la majorité des plantes mais lors d’épisodes prolongés de sécheresse (été notamment) il bascule en mode CAM, ce qui lui donne une très grande souplesse d’adaptation et permet de répondre en direct aux variations météorologiques. 

Le CAM (obligatoire ou facultatif) concerne environ 35 familles de plantes dont les crassulacées, les cactacées, les broméliacées, les orchidées épiphytes, … Ce processus a évolué au moins 40 fois de manière indépendante au sein des lignées végétales (parfois à plusieurs reprises au sein d’une même famille) ce qui explique les variations observées selon les genres et les familles. 

Ajoutons pour terminer qu’outre le CAM, les orpins limitent aussi les pertes en eau via la réduction de taille des feuilles, un moins grand nombre de stomates et un revêtement cireux (cuticule) qui les imperméabilise. 

Bibliographie 

Time of day and network reprogramming during drought induced CAM photosynthesis in Sedum album. Wai CM, Weise SE, Ozersky P, Mockler TC, Michael TP, VanBuren R (2019) PLoS Genet 15(6): e1008209. 

Photosynthesis and water use by two Sedum species in green roof substrate. O. Starry et al. Environmental and Experimental Botany 107 (2014) 105–112