Marrubium vulgare

marrube-feuillagepano

le marrube se reconnaît facilement à ses feuilles presque rondes, dentées, ridées à surface gaufrée et revêtues d’une « laine » blanchâtre.

A l’heure où l’on parle beaucoup de sauvegarde de la biodiversité, on tend à oublier un certain nombre d’espèces dites rudérales, habitant des milieux perturbés par les activités humaines et dont on pense que, de ce fait, elles n’ont pas besoin d’être protégées. Elles n’ont pas une belle image de marque pour leur côté « attachées à l’homme ». Ce sont pour la plupart des plantes compagnes de l’homme comme les a si bien nommées P. Lieutaghi, des archéophytes pour les scientifiques, i.e. des plantes introduites par l’homme depuis l’Antiquité et largement naturalisées au point d’être devenues des espèces indigènes à part entière.

Parmi celles-ci figure une plante méconnue, le marrube commun, connu autrefois sous le surnom de marrochemin pour son goût prononcé pour les bords de chemins, une plante que j’aime beaucoup personnellement pour sa discrétion, sa ténacité et son histoire. Une fois n’est pas coutume dans cette chronique, je vais surtout avancer des hypothèses et des observations personnelles (étayées néanmoins par des études scientifiques !) car la littérature sur cette espèce reste squelettique tant le marrube suscite peu d’intérêt. Pour obtenir des informations intéressantes sur sa biologie, il faut consulter la littérature ….australienne : là-bas, le marrochemin est devenu une plante très invasive, source de problèmes pour les éleveurs de moutons, et a fait l’objet de nombreuses études pour tenter de le contrôler.

Une exctinction dans l’indifférence

Dès les années 1970, j’ai recensé la flore du Cher (mon département d’origine) de manière méthodique et je me suis appuyé, pour orienter mes recherches, sur une flore ancienne, la Flore Analytique du Berry de Antoine Le Grand parue en 1887. J’avais alors été interpellé par le « cas Marrube » donné comme CC (très commun) dans cette flore sans même préciser de stations  ; or, je n’ai réussi en huit ans de prospection intensive à n’en retrouver …. qu’une touffe isolée en Champagne berrichonne.

Dans les années 1980, après avoir émigré en Auvergne, je retrouvai une situation presque identique. Dans L’Inventaire Analytique de la flore d’Auvergne de M. Chassagne (1957), le marrube est cité là aussi comme CC (très commun) en Limagne, CC dans les abords de la ville de Lezoux et AR (assez rare) dans le Cantal. Or, au cours de trente années de prospection dans la région, je ne l’ai trouvé que sporadiquement et en petites stations. L’Atlas récent de la flore d’Auvergne ajoute qu’il n’a pas été revu dans nombre de secteurs du Cantal où il était cité.

En 2010, en parcourant la superbe Flore d’Ile-de-France de P. Jauzein et O. Nawrot fraîchement parue, je trouvai enfin une mention explicite de cette disparition alarmante ; je cite : « Le marrube, considéré comme extrêmement commun par les flores anciennes, est désormais au bord de l’extinction dans notre région, …. ; situation à rapprocher de celle de Nepeta cataria (la cataire). » Pourtant, le marrube n’est pratiquement jamais cité comme espèce à protéger : son sort ne semble pas intéresser la communauté botanique ? En fait, il semble que cette disparition accentuée touche avant tout la grande moitié nord de la France car dans le Midi, le marrube serait encore bien présent (mais je ne connais pas assez l’environnement méditerranéen pour en juger).

Pour essayer de comprendre ce qui s’est passé, voyons d’abord les exigences et le mode de vie du marrube avant d’avancer quelques hypothèses.

Rustique et accrocheur !

Le marrube colonise toutes sortes de milieux liés aux activités humaines : ruines, décombres ou dépotoirs ; rues des villages et pieds des murs ; chemins ; friches sèches et terrains vagues ; …. En Auvergne, on note sa présence régulière sur des sites d’anciens châteaux, ce qui correspond sans doute à des restes d’anciennes cultures comme plante médicinale ; en effet, le marrube jouit depuis l’Antiquité (on dit près de 2000ans en Grande-Bretagne !) d’une remarquable réputation parfaitement justifiée de plante expectorante (« la plante du confort respiratoire ») ou de digestif amer. Il a donc probablement été répandu sur l’ensemble de l’Europe bien au-delà de son aire naturelle dont on ne connaît plus vraiment les limites exactes.

Il montre une nette préférence pour les stations chaudes et ensoleillées, sur des sols calcaires (ou volcaniques) bien drainés, plus ou moins enrichis en azote (plante rudérale) ; il tolère très bien la sécheresse qu’il endure grâce notamment à son feuillage feutré d’un revêtement laineux et son port semi-ligneux. Par contre, il ne supporte pas longtemps la concurrence d’une végétation de hautes herbes (ses touffes ne dépassant guère 50cm de haut sont vite étouffées) et ne se maintient donc que dans des zones fortement perturbées, érodées, écorchées ou dénudées. Il supporte ainsi des conditions extrêmes dans des environnements dégradés et vraiment peu accueillants ! Du fait de son amertume prononcée (présence d’un alcaloïde, la marrubine), le marrube bénéficie d’une certaine immunité vis-à-vis des troupeaux : moutons et chevaux ne le broutent pas ; seules les chèvres peuvent ponctuellement le consommer. Ainsi, ses compétiteurs végétaux plus appétissants se trouvent éliminés et il bénéficie du milieu ouvert dont il a besoin.

Le marrube se reproduit abondamment : les touffes comportent des dizaines de tiges qui portent chacune plus d’une dizaine d’étages (verticilles) très denses comptant des dizaines de fleurs chacun ; chaque fleur produit 3 ou 4 graines au fond du calice qui sèche et persiste. Les sépales crochus du calice sec transforment ces boules de fruits en « gratons » (voir la chronique sur la bardane), ces fruits secs qui s’accrochent à la fourrure des animaux ou aux vêtements des humains et peuvent ainsi être transportés à plus ou moins grande distance. En l’absence de tel transport, les fruits libèrent les graines qui tombent au pied de la plante mère. La tendance à former des petites colonies denses mais très isolées indique que, pour le marrube, la dispersion constitue un problème clé qui limite son expansion.

A partir de ces éléments et de la littérature australienne, il est possible d’avancer plusieurs hypothèses personnelles expliquant ce déclin et qui ne s’excluent pas entre elles.

L’hypothèse lapins

M. Chassagne dans sa Flore d’Auvergne (voir ci-dessus) mentionnait que le marrube, sur les coteaux secs de Limagne, son bastion, était disséminé par les lapins et les renards autour de leurs terriers. Or, en Australie, où le lapin de garenne introduit est devenu hyper abondant et très invasif, une étude a montré que sur les tas de terre déblayée hors des terriers, le marrube se développait abondamment avec une germination facilitée alors qu’au pied des mêmes terriers, là où le sol n’est qu’au plus gratté, il peine à se maintenir. Les lapins, en transportant les fruits accrochés à leur fourrure, participent donc activement à la dispersion du marrube qui, ensuite, une fois installé près d’un terrier, va pouvoir coloniser éventuellement les environs immédiats.

Or, historiquement, il faut se rappeler qu’avant l’introduction volontaire de la myxomatose à partir de 1952 en France, les lapins de garenne peuplaient en masse les milieux justement fréquentés par le marrube. La chute brutale et durable des populations de lapin a donc du privé le marrube d’un de ses agents de transport clé qui, en plus, limitait le développement de la végétation concurrente.

L’hypothèse moutons

Le marrube fréquente des milieux secs qui traditionnellement servaient de pâturages pour les moutons, les chèvres ou les chevaux compte tenu de la maigreur relative de ce type de végétation. Si l’on reprend le cas des coteaux de Limagne auvergnate, on sait que de la fin du 19ème à la première moitié du 20ème siècle, d’énormes troupeaux de moutons (jusqu’à 4000 têtes) parcouraient les buttes et puys calcaires ou volcaniques, tondant à ras la végétation herbacée et limitant sévèrement le développement des jeunes ligneux, entretenant ainsi un paysage de steppe ou de causse. Un paradis pour marrube , dédaigné par ces mêmes moutons !

De plus, il existait des transhumances depuis le sud du Massif Central vers la Limagne : une voie majeure de dispersion du marrube pour qui la toison des moutons constitue un matériau de choix pour accrocher ses fruits. Les australiens en savent quelque chose : de 1,5 à 3,5% des toisons se trouvent dépréciées du fait de la présence de ces gratons, entraînant dans les années 1990 des pertes annuelles évaluées à un demi million de dollars.

Remarquons qu’en Champagne berrichonne citée ci-dessus, il y avait aussi jusqu’au 19ème siècle d’importants troupeaux de moutons avec une race locale, le Berrichon du Cher, et que cet élevage remontait sans doute à l’époque gauloise. Avec l’avènement de la grande culture céréalière, cet élevage a quasiment disparu…. et le marrube aussi

L’hypothèse « hygiéniste »

Pour expliquer la disparition en Ile-de-France du marrube, P. Jauzein évoque «  l’aseptisation de tous les milieux jugés improductifs », la maladie du tout « propre » de notre civilisation moderne avec son arsenal de produits phytosanitaires et son acharnement à éradiquer tout ce qui est sauvage. De la même manière, les milieux urbains ou péri-urbains où vivait le marrube ont subi le même traitement (jeu de mots !). Dans les milieux cultivés comme les plaines céréalières de Limagne, les bords des chemins où le marrube pourrait persister (et le fait encore très ponctuellement) reçoivent aussi leur lot de pesticides lors des épandages sur les cultures. Bref, l’univers des possibles se restreint sévèrement pour notre modeste marrube et sa quasi disparition doit nous interroger sur ce que nous avons fait de notre environnement proche.

Terminons par une note optimiste pour espérer que le marrube puisse retrouver une petite place en ville avec les nouvelles politiques d’entretien des espaces respectueuses de l’environnement. En tout cas, il se reproduit très facilement (comme je peux en attester dans mon jardin où il s’est répandu à partir de quelques graines semées au hasard !) et pourrait très bien être réintroduit. Un petit coup de pouce faute de lapins et de moutons !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Flore d’Ile-de-France. P. Jauzein ; O. Nawrot. Ed. Quae. 2010
  2. Rabbit (Oryctolagus cuniculus L.) impacts on vegetation and soils, and implications for management of wooded rangelands. DJ. Eldridge, RSimpson Basic Appl. Ecol. 2, (2001)
  3. CONTROL OF HOREHOUND, MARRUBIUM VULGARE L., IN WYPERFELD NATIONAL PARK, VICTORIA. J.E.R. Weiss. Eleventh Australian Weeds Conference Proceedings.
  4. Effects of Temperature and Water Potential on Germination of Horehound (Marrubium vulgare) Seeds from two Australian Localities. A. LIPPAI, P. A. SMITH, T. V.PRICE,J. WEISS and C. J. LLOYD. Weed Science ; 1996. Vol. 44 : 91-99.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le marrube commun
Page(s) : 60-61 Guide des plantes des villes et villages
Retrouvez la cataire
Page(s) : 60-61 Guide des plantes des villes et villages