Brassica napus

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Dans les espaces agricoles intensifs, les cultures à floraison massive et abondante susceptibles d’attirer des pollinisateurs comme les colzas (ou les tournesols) occupent de plus en plus de place. Pour le promeneur amateur de belles images, les champs fleuris de colza jaune d’or sont une aubaine ; l’apiculteur aussi se frotte les mains car il suffit de se tenir près d’un tel champ pour apprécier l’intensité de la fréquentation en abeilles domestiques. Mais qu’en est-il pour les « autres » pollinisateurs sauvages, les grands oubliés de la biodiversité ordinaire que sont l’armée des abeilles solitaires avec des centaines d’espèces (voir la chronique générale sur les abeilles solitaires) ou les bourdons avec des dizaines d’espèces pour rester dans le monde des hyménoptères ? Et que se passe t’il pour les plantes sauvages vivant dans des petits espaces encore épargnés comme des lambeaux de pelouses calcaires persistant au milieu des cultures : quelles sont les conséquences sur leur pollinisation face à cette floraison massive et hautement attractive ? Une étude menée en Allemagne près de Göttingen fournit des éléments de réponse et des indications pour la gestion de ces milieux et de cette biodiversité végétale et des pollinisateurs (1).

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Cultures et prairies

Pour étudier ce problème, les chercheurs allemands ont sélectionné pas moins de 67 sites de prairies sèches semi-naturelles sur calcaire, protégés et faisant l’objet de mesures de conservation, répartis sous forme de petites parcelles au milieu de vastes étendues cultivées où les grands champs de colza dominent ; 34 d’entre eux ont été retenus en fonction de leur distance d’éloignement par rapport aux sites de prairies (soit isolés, soit moyennement près, soit très près ou contigus). Ainsi, ils ont pu mesurer l’impact de la présence des champs de colza sur la fréquentation des prairies et vice-versa.

Pour évaluer l’impact sur les prairies semi-naturelles, ils ont choisi une espèce test : la primevère officinale ou « coucou ». Le suivi de ces plantes en termes de nombre de graines par capsule et de poids de graines par pied permet d’évaluer l’impact de la proximité ou pas d’un champ de colza.

Quelques chiffres donnent une idée de l’énorme attrait que peut représenter un champ fleuri de colza : 350 000 à 700 000 pieds par hectare, portant chacun plus d’une centaine de fleurs, sur une courte période printanière où les fleurs disponibles se font encore rares. A cela il faut ajouter la facilité d’accès au nectar et au pollen du colza avec des fleurs largement ouvertes, au nectar accessible même à des insectes à langue courte. Si le champ de colza attire notre regard, il attire encore plus les convoitises des pollinisateurs toujours en quête de sources de nourriture abondantes et les moins coûteuses possibles en énergie pour les collecter.

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Un champ de colza fleuri présente un attrait irrésistible pour des pollinisateurs

Côté prairies

Au cours de cette étude, 684 abeilles solitaires de 44 espèces y ont été observées ainsi que 49 bourdons de 8 espèces et 12 abeilles domestiques. Ces chiffres peuvent paraître considérables pour le néophyte mais cela correspond à la biodiversité moyenne ordinaire.

La diversité et l’abondance des abeilles solitaires dans les prairies loin de tout champ de colza augmentent en fonction de la diversité florale ce qui est classique. Mais dans les prairies proches de champs de colza, cette diversité et cette abondance deviennent indépendantes de la diversité florale des prairies et plus surprenant encore, elles augmentent même dans des prairies à très faible diversité florale. Donc, les abeilles solitaires visitent quand même des prairies pauvres en fleurs si elles ont à proximité une ressource alimentaire importante fournie par le colza en fleurs. On peut en tirer un enseignement en terme de gestion des milieux semi-naturels : la restauration de la diversité florale est encore plus nécessaire dans les prairies qui se trouvent isolées de cultures à floraison massive si on veut que les cultures avoisinantes en profitent en retour.

Pour les bourdons, l’effet est différent : l’abondance des bourdons dans les prairies diminue quand la part du colza augmente dans le paysage. Ceci peut s’expliquer par un effet de dilution induit par le colza qui attire vers lui les bourdons. Cet effet est amplifié par le fait qu’à cette époque de l’année ils sont encore peu nombreux (les colonies viennent juste de reprendre leur activité) et la génération d’ouvrières n’est pas encore née ; les reines fondatrices ont un besoin urgent de pollen/nectar en grande quantité et facile d’accès ; la loi de l’offre et de la demande fait le reste !

Côté colzas

373 abeilles solitaires de 35 espèces différentes, 92 bourdons de 9 espèces et 1080 abeilles domestiques ont été observées pendant la même période. La moitié des espèces observées l’ont été dans des champs de colza proches de prairies. Dans les colzas, 69% des abeilles (au sens large) étaient des abeilles domestiques contre … 1,6% dans les prairies ; si on exclut ces dernières, 7,5% des hyménoptères observés dans les prairies sont des bourdons contre … 20% dans les colzas. Des estimations montrent qu’un bourdon visite en moyenne 400 fleurs de colza par visite soit environ 2000 fleurs/heure.

La diversité et l’abondance des abeilles solitaires sont plus fortes dans les champs de colza proches de prairies que dans les champs loin de toute prairie mais ce n’est pas le cas pour les bourdons et abeilles domestiques. Ces derniers ne dépendent pas des prairies comme sites de nidification contrairement à la majorité des abeilles solitaires.

Donc le colza exerce bien une attraction majeure sur les bourdons qui sont des espèces généralistes vis-à-vis des fleurs butinées alors que nombre d’espèces d’abeilles solitaires sont spécialisées sur quelques espèces de fleurs sauvages ; cependant, d’une espèce de bourdon à l’autre, l’effet pourrait varier en fonction notamment de la longueur de leur langue qui peut les rendre plus sélectifs dans leurs choix.

L’effet sur les bourdons se fait ressentir même après la floraison des colzas : en effet, pendant la période de floraison, l’abondance des bourdons diminue avec l’augmentation de la part du colza dans le paysage avec des colonies juste naissantes ; si on refait le même mesure un à deux mois après la floraison alors que les colonies se sont accrues, on constate que l’abondance augmente avec la présence de colza. Ce dernier aiderait donc à la formation des colonies.

Côté primevères

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La primevère officinale a été choisie comme espèce test dans les prairies semi-naturelles car d’une part elle fleurit en même temps que le colza et sa pollinisation requiert des aptitudes assez poussées de la part des pollinisateurs (nectar au fond d’un tube protégé par un calice) ce qui sélectionne plutôt des espèces spécialisées.

Les comptages effectués dans les différentes prairies suivies montrent que le nombre de graines par fruit (capsule) diminue quand la part du colza augmente dans le paysage environnant. Le colza « volerait » donc des pollinisateurs qui se détournent des primevères.

Cette compétitivité du colza par rapport aux primevères tient à plusieurs facteurs :

– la densité considérable de fleurs offertes sur temps court

– la facilité d’accès du nectar et du pollen sur les fleurs de colza

– les bourdons choisissent toujours la « loi du moindre effort » ce qui n’a rien de péjoratif mais résulte simplement de la pression de sélection compte tenu du coût énergétique requis par la collecte du pollen/nectar

– l’abondance des bourdons est encore faible au moment de la floraison des colzas ce qui renforce l’effet de dilution.

Outre ces aspects, il pourrait en plus y avoir en plus une compétition indirecte au niveau du pollen par le dépôt de grains de pollen de colza sur les stigmates de primevères lors des visites « mixtes » entre champ de colza et prairies adjacentes, ce qui diminue d’autant la possibilité de fécondation effective pour les ovules de primevère.

Vive LES abeilles

Devant l’expansion de la culture du colza (mais aussi du tournesol) notamment pour la fabrication de biocarburant, on voit que l’effet de ces cultures à floraison massive et attractive pour les pollinisateurs (les céréales fleurissent aussi en masse mais n’attirent pas les pollinisateurs !) est mitigé avec du positif et du négatif. Mais il reste un facteur qui perturbe complètement toute appréciation de ces effets : la rotation annuelle des cultures. Telle année, telle prairie isolée va se trouver tout près d’un champ de colza mais pas l’année suivante : les déclins provoqués une année pourraient être compensés par des améliorations l’année suivante ou vice versa !

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La position des parcelles de colza change d’une année sur l’autre dans le paysage selon le principe de la rotation des cultures.

En tout cas, il semble bien que le colza ne profite vraiment qu’aux espèces généralistes et qu’il pourrait bien accroître la compétition entre spécialistes et généralistes dans les zones semi-naturelles. L’autre point intéressant, c’est que les champs de colza bénéficient aussi de ces échanges et que cela fait un argument de plus (y en avait-il besoin ?) pour la conservation de ces ilots résiduels de nature ordinaire même semi-naturelle au milieu des cultures.

Une dernière remarque toute personnelle : que l’on cesse de ne penser qu’à « l’abeille » (abeille domestique) aussi importante fût-elle y compris en termes de production de miel mais que l’on parle « DES » abeilles et bourdons dans leur globalité. Sinon, on retombe dans la même dérive pernicieuse que la chasse qui ne s’intéresse qu’au gibier (ou bien aux seuls prédateurs du gibier !) : la biodiversité forme un tout et en ignorer une partie est de toute manière contre-productif. Apiculteurs et chasseurs ne pourront se réclamer du rôle de « gestionnaires de la biodiversité » ni espérer des améliorations dans leur activité que dans cette dernière perspective globale.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Expansion of mass-flowering crops leads to transient pollinator dilution and reduced wild plant pollination. Andrea Holzschuh, Carsten F. Dormann, Teja Tscharntke and Ingolf Steffan-Dewenter. Proc. R. Soc. B ; 2016