Mare abreuvoir typique des prés pâturés

Début juin 2019 se tiendra la quatrième édition de la fête des mares initiée par la SNPN (Société Nationale de Protection de la Nature), association de défense de l’environnement qui publie l’excellente revue naturaliste Le Courrier de la Nature. Belle occasion de célébrer ces « petits » milieux longtemps considérés comme d’intérêt mineur (par rapport aux grandes zones humides telles que les lacs et grands plans d’eau) ; pourtant, depuis deux décennies, l’intérêt des écologistes scientifiques s’est refocalisé sur les mares et petits étangs ce qui a permis de les redécouvrir comme des enjeux majeurs en matière de conservation de la biodiversité, bien au-delà de ce que leur « modeste » aspect ne laisse à penser. Alors, en route pour une découverte des mares et petits étangs, écrins d’une biodiversité qui dépasse largement « l’ordinaire » !  

Petit étang (un hectare) avec sa digue artificielle

NB : Dans cette chronique, nous ne parlerons pas du tout d’un type particulier de mares, les mares temporaires méditerranéennes qui hébergent une biodiversité spécifique exceptionnellement riche et originale et font l’objet d’études écologiques approfondies. Nous resterons cantonnés aux mares et étangs continentaux « classiques ». 

Mares peu profondes à haute altitude (2500m) dans les Alpes

Retour aux sources ! 

Dès que l’on s’intéresse scientifiquement à ces milieux aquatiques, on tombe immanquablement sur une bonne part de la bibliographie en anglais ce qui soulève d’emblée un petit problème linguistique quant au sens des mots. Là où nous utilisons deux termes distincts, mares et étangs, les anglo-saxons, une fois n’est pas coutume, n’en emploient le plus souvent qu’un : pond. Ce mot anglais utilisé depuis le milieu du 13ème siècle dérive de pound qui désignait un lieu enclos : pond signifie donc « plan d’eau avec des berges artificielles » alors qu’il existe de nombreuses mares d’origine naturelle. Il existe au autre mot mais tout aussi « imprécis » : pool pour un petit plan d’eau qui se rapprocherait plus de la notion de mare française. 

Grande mare de hameau : presque un petit étang !

En français, implicitement, on utilise mares et étangs en fonction de la taille du plan d’eau : petite a priori pour les mares et « plus grande » pour les étangs avec, bien entendu, des intermédiaires inclassables et affaire d’appréciation. Que nous disent les étymologies ? Mare remonte au 12èmesiècle et dériverait de l’ancien norrois (vieil islandais) marr pour mer ou lac, racine commune avec marais, marécage, marigot, … et en anglais marsh : il désigne une petite nappe d’eau peu profonde qui stagne ; le genre féminin de ce nom viendrait de l’anglo-saxon mere, toujours en usage pour désigner des marécages tourbeux. La petite taille se retrouve dans son usage imagé dans des expressions comme « une mare de sang ». Etang quant à lui remonte aussi à la première moitié du 12èmesiècle pour désigner une étendue d’eau dont les bords arrêtent l’écoulement, ce qui le rapproche plus du pond anglais ; il dérive d’un vieux verbe, estanchier pour étancher en lien avec étanchéité. 

Pour la suite de cette chronique, compte tenu des définitions écologiques (voir ci-dessous), nous parlerons donc de mares-étangs pour signifier le continuum existant entre ces deux pôles ; pourquoi ne pas créer un mot valise : les marétangs !

Panneau pédagogique (Conservatoire des Sites de l’Allier) sur la protection d’une mare de village.

De quoi parle t’on ? 

Dès 1904, on avait attiré l’attention sur le fait que les mares-étangs devaient être distinguées sur le plan écologique des lacs, ce qui a été confirmé récemment : mares et étangs ne fonctionnent pas comme des lacs et n’en sont pas simplement des « versions miniatures ». Les définitions officielles, utilisées notamment lors des programmes de recensement dans certains pays, stipulent que les mares-étangs sont des plans d’eau dont la surface varie de un mètre carré à deux hectares, pouvant être permanents ou saisonniers (à sec en été) et d’origine naturelle ou artificielle (créées par l’homme) ; un autre critère est parfois ajouté : la profondeur ne doit pas excéder huit mètres de sorte que, potentiellement, une mare-étang peut être entièrement recouverte de végétation aquatique. Pour autant, quand on parcourt la bibliographie, on découvre que dans divers pays (Grande-Bretagne, Suisse, Danemark, ..) on inclut dans cette catégorie mares-étangs les plans d’eau dont la superficie va jusqu’à … 5 hectares ce qui commence à faire un beau plan d’eau ! 

Mare dans la tourbière des Saisies (Alpes)

Dans l’imaginaire populaire, mare rime presque toujours avec création humaine ; dans la pratique écologique, la définition s’étend largement aux mares-étangs naturelles très nombreuses mais souvent méconnues. Leur formation s’inscrit dans toutes sortes de contextes allant des forêts tropicales aux milieux tempérés en passant par les déserts les plus arides (comme les surprenantes gueltas du Sahara) ou à haute altitude dans les Alpes en lien avec des formations glaciaires servant de verrous (moraines). La majorité se trouve en marge des fleuves et rivières qui, à l’occasion des crues, débordent temporairement dans le lit majeur : ce sont par exemple les boires du val d’Allier ou de Loire ou les barthes de la vallée de l’Adour. Certaines sont associées à des formations géologiques particulières comme les platières sur les affleurements de grès ou de meulière ; etc …

Les mares-étangs artificielles résultent d’activités humaines très diverses, certaines très anciennes et abandonnées : mares-abreuvoirs pour le bétail ; mares de culture d’osier pour les liens et la vannerie ; mares au fond des anciennes carrières ou gravières ; bassins de rétention d’eau comme au bord des autoroutes ; bassins de réserve d’eau (lutte contre les incendies en forêts) ; étangs de pisciculture très répandus dans certaines régions humides ; … sans oublier les mares-étangs « culturelles » pour les loisirs, la récréation ou la protection de la faune et de la flore. Dans ce dernier cadre, s’inscrivent nombre de nouvelles mares créées par des citadins ou des villageois ou dans les espaces urbains. 

Petits milieux, grande valeur ! 

Mares et étangs hébergent une riche biodiversité animale avec des groupes phares très représentés et emblématiques : les amphibiens (grenouilles, crapauds et tritons/salamandres : voir la chronique sur le triton palmé), les odonates (libellules et demoiselles), les punaises aquatiques (gerris, naucores, notonectes, corises, …), les coléoptères aquatiques (dytiques, hydrophiles, gyrins, …), les crustacés surtout dans les mares temporaires (branchiopodes, cladocères), les mollusques aquatiques (limnées et planorbes) ; …

Côté végétal, on y trouve parmi les « grandes plantes » (les macrophytes) des plantes aquatiques flottantes ou immergées (potamots, élodées, nénuphars, …) et des plantes émergentes sur les berges ou sur la vase (joncs, laîches, …). A tout cela, il faut ajouter la « part invisible à l’œil nu » : phytoplancton (algues microscopiques) et zooplancton. 

Une étude anglaise a comparé sur une région (Oxfordshire) la biodiversité de ces groupes dans les différents milieux aquatiques présents dans le paysage : les lacs ; les mares et étangs (jusqu’à 2ha dans cette étude !) ; les fossés ; les petits cours d’eau et les rivières. Bien que mares et étangs soient représentés trois fois moins en termes de nombre de sites par rapport aux cours d’eau, les mares-étangs hébergent 10% d’espèces de macroinvertébrés (visibles à l’œil nu : insectes, crustacés, …) en plus (431 espèces pour 200 mares-étangs versus 377 espèces pour 614 sites de cours d’eau ) et 50% d’espèces peu communes à rares en plus ! La diversité des plantes aquatiques y est sensiblement la même. Quand on s’intéresse à des communautés moins visibles comme le zooplacton, l’ensemble des petits organismes qui vivent dans l’eau, la proportion d’espèces dans les mares dépasse encore plus largement celle des cours d’eau avec de plus de nombreuses espèces rares ou endémiques de ces milieux stagnants. En fait, la majorité des espèces aquatiques de macroinvertébrés d’eau douce, courante ou stagnante, peuvent vire dans les mares-étangs et à ceux-là s’ajoutent des espèces inféodées à ce seul milieu. Par contre, côté vertébrés, à part les amphibiens, on observe une situation largement inverse pour le simple fait que la taille de ces milieux ne permet que peu la survie ou l’installation  comme par exemple pour les oiseaux (en tout cas difficilement en dessous de 2 hectares) ou alors simplement pour se nourrir. 

Collectivement donc, mares et étangs représentent une riche ressource en biodiversité longtemps sous-estimée, voire complètement ignorée ou considérée comme négligeable ! 

Notonecte en position naturelle : une punaise aquatique commune dans les mares

Pas japonais 

Mais leur rôle majeur vis-à-vis de la biodiversité va plus loin. En Europe continentale, 80 % des surfaces sont occupées par des milieux agricoles où règne le plus souvent une agriculture intensive. Dans ce contexte, les mares-étangs (tout au moins celles qui ont échappé au grand massacre généralisé qui, localement, a réduit leur nombre de 50 à 90% !) encore présentes se comportent comme des îles, des oasis refuges pour la biodiversité aquatique : on parle de hot spot de biodiversité à l’échelle locale. Leur dispersion dans le paysage, dans la matrice agricole dominante, permet des échanges entre elles et avec d’autres milieux aquatiques éventuellement présents (comme des cours d’eau ou des lacs, mais eux, bien moins nombreux) ; ainsi des populations peuvent persister avec une certaine diversité génétique (populations échangeant des gènes entre elles) à la faveur d’évènements de dispersion. On parle de méta-populations pour désigner ce mode de fonctionnement en réseau avec des échanges permanents entre sites dans le temps et dans l’espace. 

Les hérons cendrés qui viennent pêcher sur les mares peuvent transporter des plantes ou des invertébrés avec la boue collée sur leurs pattes

Une étude anglaise faisant le bilan de quinze années de suivi de nombreuses mares à l’échelle nationale souligne l’importance de cette notion de connexions possibles entre mares isolées (connectivité). Elle montre l’extrême importance des mares qui se trouvent au plus près de grandes zones humides qui vont servir de premiers « pas japonais » pour la dispersion des espèces de proche en proche ; les oiseaux aquatiques dont les canards peuvent, dans ce système, souvent servir d’agents de transport à longue distance tant pour les plantes que pour les petits animaux et leurs formes de dispersion (œufs, larves). Dans un paysage donné, la densité des mares constitue donc un facteur clé pour le maintien d’une riche biodiversité et pour la diffusion de celle-ci depuis les grandes zones humides. On rejoint ici un concept médiatisé, celui de trame verte et bleue à l’échelle nationale : les mares-étangs y sont donc les pas japonais qui ponctuent les vastes espaces agricoles intensifs. 

De l’intérêt d’être petit

Même après la prise de conscience de l’importance écologique majeure des mares-étangs, on ne peut s’empêcher de dire « mais pourquoi des milieux aussi « insignifiants » peuvent-ils avoir une telle portée à l’échelle des paysages régionaux ? Qu’ont-elles de plus que les cours d’eau ou les lacs bien plus imposants ? 

Tout tiendrait en fait à leur relative petite taille qui apporte certains avantages mais aussi des inconvénients. Première force majeure : le nombre ; matériellement, leur petite taille fait qu’elles sont bien plus nombreuses que les cours d’eau ou les lacs si l’on considère chacun d’eux globalement comme une entité. Ainsi, en Suisse, on a recensé 365 lacs (supérieurs à 5 hectares) et … 32 000 mares-étangs d’une surface entre 0,01 et 5 hectares ! En Grande-Bretagne, elles représentent 97% des plans d’eau ! L’effet pas japonais peut ainsi agir à grande échelle pour peu qu’elles soient représentées partout. 

Second avantage majeur : le bassin versant d’alimentation en eau qui de facto reste souvent très réduit ; ainsi, leurs caractéristiques physico-chimiques reflètent très étroitement leur environnement immédiat : la nature des roches, la végétation, l’ombrage, le climat local, … Autrement dit, il existe une très forte diversité écologique des mares selon les petits contextes où elles se trouvent alors que dans les grands plans d’eau se produit une « dilution » et une uniformatisation des conditions variées régnant sur tout le bassin versant. Qui dit diversité de conditions, dit possibilité de plus de niches écologiques variées et d’espèces spécifiques ou exigeantes. D’autre part, la petitesse du bassin versant peut les protéger souvent des sources de pollution majeures à grande échelle concernant les eaux de surface. En matière de conservation d’ailleurs, il s’avère bien plus facile de protéger une mare en agissant sur son bassin versant réduit qu’une rivière ou un lac. 

Par contre, revers de la médaille, si la mare-étang se trouve en contact direct avec une source de pollution, elle ne pourra bénéficier de l’effet de dilution permis par un grand volume et se dégradera très fortement. De même, dans le cadre de la crise climatique, on craint qu’elles ne soient hautement sensibles au réchauffement de l’eau. Toute introduction d’espèces (dont des poissons pour la pêche !) peut vite engendrer un processus d’envahissement aux effets dévastateurs sur la biodiversité. 

Nous aurons l’occasion de revenir longuement sur d’autres aspects passionnants de ces « petits milieux » très attachants. Souhaitons bonne fête et longue et belle vie à toutes les mares-étangs de notre pays et à toutes celles à venir. 

NB : Dans la bibliographie ci-dessous figure un lien vers une émission enregistrée avec France Bleu Pays d’Auvergne sur le thème de la fête des mares dans le cadre de l’émission H2O, le magazine radio de l’environnement, animée par C. Noiseux,. A écouter sans modération !

BIBLIOGRAPHIE

SNPN et Fête des mares : http://www.snpn.com/portail-fete-des-mares/une-fete-dediee-aux-mares/

Comparative biodiversity of rivers, streams, ditches and ponds in an agricultural landscape in Southern England.P. Williams et al. Biological conservation 2003

The ecology of European ponds: defining the characteristics of a neglected freshwater habitat.R. Cereghino ; J. Biggs ; B. Oertli ; S. Declerck.  Hydrobiologia (2008) 597:1–6 

15 years of pond assessment in Britain: results and lessons learned from the work of Pond Conservation. JEREMY BIGGS, PENNY WILLIAMS, MERICIA WHITFIELD,PASCALE NICOLET and ANITA WEATHERBY. Aquatic Conserv: Mar. Freshw. Ecosyst. 15 (2005) 

Reportage FR Bleu sur les mares : https://www.francebleu.fr/emissions/l-invite-h2o/pays-d-auvergne/la-fete-des-mares-avec-la-frane-0