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Les promeneurs assidus qui parcourent les innombrables sentiers de la Chaîne des Puys, à l’ouest de Clermont-Ferrand, ont sans doute déjà remarqué ces énormes « chaudrons en fer rouillés » en plein milieu de la forêt, souvent même avec des arbres poussant en plein milieu. Ce sont des marmites de charbonnier, témoignages historiques émouvants. On les retrouve ailleurs en Auvergne comme dans les gorges de la Sioule ou de la Dordogne et dans d’autres régions comme la Montagne Noire ou le Limousin. Cela fait longtemps que je suis intrigué par ces marmites et leur histoire et, curieusement, je n’ai pas pu (ou pas su ?) trouver de documents spécifiques les concernant. Pour écrire cette chronique « coup de cœur », je me suis donc appuyé sur des documents concernant d’autres sites en supposant qu’ils s’appliquent peu ou prou au cas illustré de la Chaîne des Puys.

Charbonnage et charbonniers

Jusqu’à une époque assez récente au regard de l’histoire humaine en France, le charbon de bois constituait souvent le seul combustible aussi bien à la ville qu’à la campagne et autant pour l’industrie (notamment pour la métallurgie) que pour l’usage domestique. Il présentait l’avantage, par rapport au bois lui-même, d’être à volume égal beaucoup moins lourd : un mètre cube de charbon de bois pèse entre 150 et 300 kg contre 580 kg pour un mètre cube de bois et, en plus, son pouvoir calorique est deux fois plus élevé. Cependant, pour produire une tonne de charbon de bois, il fallait en moyenne entre 14 et 15 m3 de bois ! Tel était le travail d’une corporation longtemps très active, les charbonniers qui pratiquaient donc le charbonnage, consistant à élaborer un énorme tas de bois sec en une meule au cœur de la forêt (près des lieux de coupe) et à le faire se consumer très lentement (« à l’étouffée ») pour qu’il devienne du charbon de bois. Cette pratique a laissé des traces au sol au niveau des charbonnières, ces plates-formes de charbonnage en général placées en hauteur et de forme circulaire. Ce travail harassant demandait un savoir-faire très pointu. La recherche actuelle de ces emplacements relève de l’archéologie ou d’une observation très fine du paysage forestier pour y déceler des indices probants.

Les marmites de charbonnier correspondent par contre à un épisode historique précis et bien plus récent sur lequel nous allons maintenant nous attarder.

L’ombre de Vichy

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Les marmites vont souvent par trois. Versant ouest du Puy-de-Dôme ; Ceyssat 63

Alors que le charbonnage connaissait un net déclin depuis l’avènement du charbon puis du pétrole (au moins en ville), la technique connut un renouveau dans la période de l’entre deux guerres et culmina pendant l’Occupation allemande au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Avec les pénuries inhérentes au conflit en cours, on remit au goût du jour le gazogène, cet appareil permettant de produire un gaz combustible à partir par exemple de charbon de bois, lequel gaz alimentait un moteur ou une chaudière adaptés. Devant la demande accrue de charbon de bois, on développa alors une nouvelle technique de charbonnage, plus simple et plus rapide : les fours à charbonnage, ces fameuses « marmites » dont nous retrouvons les vestiges. Ce sont des fours mobiles en métal du type «Magnein-Tranchant » qui ont l’avantage de complètement carboniser le bois jusqu’à épuisement de l’oxygène. Les charbonniers du cru leur reprochaient, outre leur modernité, de produire un charbon de bois de moindre qualité.

Entre 1941 et 1942, le gouvernement de Vichy va inciter fortement au développement de cette pratique. La firme aéronautique Dewoitine près de Toulouse se voit ainsi commander 10 000 de ces fours. On estime que entre 1939 et 1945, ces marmites de charbonnage ont permis d’économiser 1,5 million de tonnes de produits pétroliers pour le pays. Dès la fin de la Guerre, avec la fin de la pénurie en produits pétroliers, la production de ces « gaz de forêt » comme on les appelait va rapidement cesser (jusqu’à la fin des années 1950 pour les tous derniers). Les marmites vont être abandonnées sur place et devenir, inexorablement, ces carcasses rouillées mais encore assez bien conservées que nous pouvons toujours croiser.

Charbon de bois à la cocotte !

Relativement légères, ces marmites étaient transportées à dos d’animal de trait jusque sur les sites de production, en pleine forêt, souvent sur des sites pentus, sauf justement dans la Chaîne des Puys où on les trouve plutôt au pied des Puys en terrain relativement plat. Souvent, on les installait sur d’anciennes plates-formes de charbonnage ce qui d’ailleurs complique le travail de l’archéologie forestière qui doit démêler le « récent » de l’ancien.

Le grand cylindre de base de plus de 2m de diamètre, sans fond, recevait le bois coupé entassé ; le couvercle bombé mais aplati (plus rarement conservé, peut-être récupéré car plus facile à transporter) était comme le cylindre doté de deux poignées ; au centre du couvercle, un trou (avec son petit couvercle) assurait l’alimentation en air tandis qu’un tuyau coudé raccordé à la base permettait la mise à feu et entretenait le courant d’air nécessaire. 4 m3 de bois étaient empilés pour obtenir 350 kg de charbon de bois ; on « embrasait » d’abord la marmite (par en bas) ; on laissait « cuire » environ dix heures et on laissait refroidir une semaine environ. Souvent, on installait une batterie de trois marmites, sans doute pour tourner de l’une à l’autre. On pouvait aussi déplacer ces fours d’un site à l’autre en cas d’épuisement local de la ressource en bois.

De sacrés dévoreurs de bois !

Autant dire que ces appareils, au vu de leur fonctionnement, devaient consommer des quantités de bois colossales. Pour les alimenter, on pratiquait des coupes répétées dans les boisements conduits en taillis, tous les vingt à trente ans en moyenne : les troncs coupés au ras du sol régénèrent de nouvelles tiges formant des cépées (technique dite du recépage). Ainsi en témoignent les boisements de hêtres (surtout) ou de chênes où dominent encore de telles cépées, vestiges de cette période. On devait probablement (à vérifier !) aussi utiliser les noisetiers dont le bois s’avère de bonne qualité pour ce traitement et qui naturellement tend à faire des cépées.

Cette pratique intensifiée sur une période assez courte a forcément du imprimer sa marque aux peuplements forestiers de la Chaîne des Puys en favorisant la pratique du recépage en taillis. Mais pour spectaculaire qu’il semble être, cet épisode n’est sans doute « presque rien » à côté des siècles précédents de déboisement, défrichage, pâturage en forêts, écobuage, …. qui ont profondément transformé le paysage originel depuis la fin de la période glaciaire et des dernières éruptions volcaniques (en gros, il y a environ 10 000 ans). Un autre épisode bien plus marquant est venu depuis se surimposer : l’exode rural massif, l’abandon de certaines formes de pâturage, les reboisements de résineux, … qui ont conduit au paysage à dominante boisée que nous connaissons aujourd’hui.

Des témoins à conserver ?

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Marmite dans un taillis à base de noisetiers et de bouleaux. Rien ne permet d’affirmer que ce boisement était le même au temps de son exploitation : les bouleaux ont pu s’installer après l’abandon ! Puy de Pariou. 63

A l’heure où on invite à réfléchir sur l’avenir de la planète, il serait intéressant d’attirer l’attention sur ces vestiges et leur histoire, une manière de faire comprendre au public que les besoins « d’un moment » peuvent laisser des traces profondes dans les paysages, lesquels ont une histoire et subissent une évolution permanente au gré, entre autres, des changements de pratiques. Ainsi, le renouveau du bois de chauffage n’annonce t’il pas une nouvelle vague de changements avec le retour des taillis ? L’orientation de la politique forestière vers le rajeunissement systématisé des peuplements, décrété politiquement (mais avec quel support scientifique ?) pour favoriser le stockage du carbone dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique ne va t’il pas aussi bouleverser durablement les paysages ? Les marmites de charbonniers feraient un beau symbole sur l’inconstance humaine et la puissance et la rapidité de ses interventions !

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A Charbonnières-les-Vieilles (63), tout au nord de la Chaîne des Puys, on a installé cette marmite à l’entrée du village pour rappeler l’origine du nom de la commune. Noter le trou au sommet du couvercle relativement aplati.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Les forêts de pente de la haute vallée de la Dordogne: enjeux écologiques et énergétiques d’une ancienne forêt charbonnée (Auvergne, Limousin, France). Romain Rouaud. Géographie. Université de Limoges, 2013
  2. Site internet : http://lauragais-patrimoine.fr/PATRIMOINE/CHARBONNIERES/S.html