Aesculus ; Castanea

Chaque automne, çà recommence ; on a droit au marronnier de service (au sens figuré utilisé dans l’argot du monde de la presse !) : les marrons ne sont pas des châtaignes et vice versa mais on appelle quand même marrons certaines châtaignes ! Dur de s’y retrouver. A cela, il faut ajouter un second casse-tête d’ordre botanique : les marrons d’Inde du marronnier n’ont rien à voir avec les châtaignes des châtaigniers puisque les uns sont des graines alors que les autres sont des fruits. Bon, je sens que certains jettent déjà l’éponge : il est temps de clarifier ce méli-mélo et certaines fausses idées qui circulent sur le net, reprises sans vérification préalable ! Une chose est certaine : le marronnier (d’Inde) et le châtaignier (commun) sont bien deux espèces d’arbres très différents qui produisent chacune des fruits contenant des graines comme toute plante à fleur mais reste à savoir qui est quoi !

Avantage au marron

Première étape indispensable : revenir aux sources linguistiques en se plongeant (toujours avec délice) dans le Robert de la langue française, la compilation de nos racines ! On y apprend que l’usage du nom masculin marron remonte au début du 14ème siècle (1526) et qu’il a été emprunté à l’italien marrone, probablement dérivé d’une racine ancienne, marr pour pierre ou rocher (qui a donné la marelle) ; il aurait pénétré en France depuis l’Italie via la région lyonnaise ; il désigne bien dès son origine les fruits du châtaignier. Dès 1537, on le retrouve utilisé pour désigner une grosse châtaigne, usage que l’on retrouve sous la forme des marrons glacés ou de la crème de marron bien connus des gourmets. Châtaignier, quant à lui, remonte au moins au 12ème siècle sous la forme chastaignier ou chastenier, ce dernier persistant jusqu’au 15ème avant de céder la place à la forme moderne châtaignier. Ce mot dérive du latin Castanea (le nom de genre actuel des châtaigniers), lui-même emprunté au grec kastanea originaire d’Asie centrale.

Venons en maintenant au marronnier d’Inde (Aesculus hippocastanum) et à ses fruits et graines. Cette espèce d’arbre originaire des montagnes des Balkans (voir la chronique sur ses origines et son histoire) n’a été importé que tardivement en Europe de l’Ouest. Introduit à Vienne en Autriche par Charles de l’Ecluse à partir de graines venues de Constantinople (l’actuelle Istanbul), il est introduit en France pour la première fois en 1615 ; ce n’est qu’au 18ème siècle que son usage s’est répandu comme arbre des avenues. Les dates parlent donc d’elles mêmes : le mot marron précède largement le débarquement du marronnier en Europe de l’Ouest. Les sites qui prétendent que l’usage du mot marron pour désigner des châtaignes est abusif ou inapproprié ont donc tout faux ! Le terme marron d’Inde n’est apparu qu’en 1718 ; s’il est donc un usage abusif, c’est de nommer les fruits-graines (laissons cette incertitude de côté pour l’instant) du marronnier d’Inde des .. marrons ; il faudrait bien préciser marrons d’Inde. Sauf qu‘il existe de nombreuses autres espèces de marronniers et que ce terme ne pourrait plus alors s’appliquer à leur égard !

Châtaigne de cheval

L’épithète latine d’espèce hippocastanum ainsi que le nom anglais populaire de horse chestnut renvoient curieusement au cheval. Il se trouve qu’en Turquie (d’où il fut importé au début : voir ci-dessus), on faisait consommer les fruits/graines du marronnier aux chevaux ayant du mal à respirer (atteints de « pousse » disait-on) ; on prétendait aussi qu’en Perse on dopait les chevaux de course en leur faisant manger ces fruits/graines. Les marrons d’Inde contiennent effectivement un arsenal chimique à base de saponines très amères et toxiques (pour l’homme) mais aux propriétés veino-toniques et anti-inflammatoires, qui expliquent leur usage contre les hémorroïdes. Ils contiennent pourtant de l’amidon en grosse quantité mais restent toxiques crus et frais ; il faut leur faire subir un traitement complexe pour les rendre comestibles a minima comme cela s’est pratiqué en période de famine.

Marrons d’Inde avec la tache claire du hile bien visible (« l’oeil de cerf » des Américains)

Les anglais ne sont pas tombés dans le panneau de la confusion et nomment ces fruits/graines par un terme spécifique, conker, bien différent de chestnut pour la châtaigne. Les américains qui possèdent sur leur sol plusieurs espèces indigènes aux bogues non épineuses les nomment buckeye, œil-de-cerf, à cause de la grosse tache claire qu’ils portent (voir plus loin à ce propos).

Châtaignes et marrons

Mais alors y a t’il une vraie différence entre châtaignes et marrons ? Il semblerait que de manière informelle, par usage local, on réserve l’emploi du terme de marrons aux variétés de grosses châtaignes qui n’ont pas de cloisons à l’intérieur de leur chair, ces désagréables peaux coriaces qui se coincent dans les dents ; elles n’ont qu’une châtaigne par bogue et pas deux ou trois comme dans les bogues des variétés sauvages ou de moindre qualité ! Seules ces châtaignes-là peuvent être utilisées pour élaborer des marrons glacés. Autrement dit, on ne peut récolter des marrons que sur un châtaignier greffé qui a été sélectionné pour ses … marrons. Certains professionnels (castanéiculteurs !) préfèrent réserver l’usage de châtaigne et châtaignier pour parler de l’arbre et de son exploitation tandis que marron devrait être gardé pour parler des utilisations du fruit. Pour en finir une fois pour toutes avec cette histoire de confusions, il resterait alors peut-être à inventer un nouveau mot en français pour désigner plus spécifiquement les fruits/graines des marronniers ? Un zoom botanique sur la nature de ces fruits/graines nous aidera peut-être à trouver une idée ?

Faux-fruit

Châtaignes mûres ouvertes sur l’arbre ; il ne reste que la bogue épineuse qui ne fait pas partie des fruits !

Les châtaigniers sont classés dans famille des fagacées aux côtés des chênes et des hêtres. Un des caractères typiques de cette famille est de posséder des fleurs unisexuées  très réduites, minuscules et très transformées : les fleurs femelles (pistillées) sont de plus associées à une cupule écailleuse issue de la soudure de bractées (feuilles modifiées à la base des fleurs) réunies en un involucre (voir la chronique sur les bractées).

Tout le monde connaît la cupule des glands en forme de coupe dans laquelle est enchâssé le gland ou celle à quatre valves dures et épineuses des hêtres. La bogue épineuse des châtaignes est elle aussi une cupule qui s’ouvre en quatre valves au final comme celle du hêtre.

Comme cette cupule ne dérive pas de l’ovaire des fleurs, elle ne fait pas partie au sens botanique du fruit mais correspond à une protection supplémentaire. Elle contient au moment de la floraison deux ou trois fleurs (sauf chez les variétés de type …. marrons !) qui donnent chacune un fruit après avoir été fécondées par le pollen des fleurs mâles bien visibles sous forme de longs chatons odorants en début d’été. La petite pointe blanchâtre au sommet de chaque châtaigne correspond au style de la fleur. Mais alors, où est la graine ? Il suffit d’éplucher une châtaigne pour la trouver juste en dessous de la coque dure (la paroi du fruit ou péricarpe coriace) : c’est la châtaigne décortiquée que vous allez manger ! Comme elle est quasiment collée à la paroi du fruit, on parle d’akène ou fruit-graine à enveloppe dure … comme le gland du chêne ou la faîne du hêtre.

Donc, quand vous dégustez un marron glacé, vous mangez la graine de la châtaigne puisqu’il est débarrassé de l’enveloppe du fruit ; par contre, quand vous grillez des châtaignes récoltées, vous chauffez les fruits avant de les éplucher ! Simple, non ?

Le faux-marron

La sexualité du marronnier d’Inde est bien plus voyante et facile à appréhender au printemps avec ces magnifiques grappes dressées de fleurs bisexuées (des étamines et un seul pistil dans chaque fleur). Dans les fleurs fécondées (souvent seulement quelques-unes à la base de l’inflorescence), l’ovaire grossit, se couvre d’épines plus ou moins dures et se transforme en .. marron .. d’Inde.

A maturité, la paroi (péricarpe) de ce vrai fruit (il n’y a pas de cupule venue d’ailleurs comme chez le châtaignier) s’ouvre en trois valves qui laissent d’abord apparaître des peaux blanches séparant les un à deux marrons d’Inde : elles correspondent aux cloisons internes dans l’ovaire et chaque marron est cette fois une vraie graine mais particulièrement volumineuse. D’ailleurs, ils ne portent pas de restes du style qui coiffait l’ovaire : le style persiste un temps à la pointe du fruit et tombe avant la maturité. Ces graines arborent une grosse tache claire (voir le buckeye plus haut) qui correspond au hile bien connu sur les graines de haricot : c’est en quelque sorte le « nombril de la graine », la cicatrice de son insertion dans la capsule. Si on garde d’ailleurs cette comparaison avec le haricot, on pourrait dire que la bogue du marron, c’est la gousse du haricot. On peut aussi « éplucher » le marron d’Inde mais cette fois ce n’est pas la paroi du fruit que l’on enlève mais le tégument de la graine !

Le fruit du marronnier est donc pour le botaniste une capsule, un fruit sec qui s’ouvre. Normalement, il n’y a qu’une graine par bogue mais au départ, l’ovaire avait bien trois loges (d’où la présence des trois peaux blanches) mais deux d’entre elles se résorbent en cours de développement ; si on regarde attentivement, on trouve d’ailleurs les deux autres graines avortées encore présentes mais minuscules.

Convergences

Capsules de datura surnommées pommes épineuses ; attention : poison mortel !

Si on devait proposer un fruit ressemblant quelque peu au marron d’Inde, on pourrait citer la capsule épineuse du datura (la « pomme épineuse ») qui se fend en quatre loges à maturité mais contient des centaines de graines. Toutes ces vagues ressemblances nous rappellent qu’il ne suffit pas de se ressembler en apparence pour avoir la même origine évolutive : ces « fruits » épineux qui se ressemblent ne sont que le résultat d’évolutions convergentes mais à partir de structures différentes. Ainsi, la bogue de la châtaigne est une cupule alors que celle du marron d’Inde est la paroi du fruit. Le marronnier est classé dans la famille des Sapindacées auprès des … érables aux fruits ailés (mais qui sont aussi des akènes en fait !) et son histoire évolutive n’a rien à voir avec celle des Fagacées (comme le châtaignier), ni avec les Solanacées comme pour le datura !

Au bout de cette chronique « prise de tête », reste à trouver comme promis un nouveau nom pour les graines du marronnier ; je propose le mot-valise de marraine, contraction de marron et graine ? Pas terrible ? Et en plus, çà prête à confusion de nouveau ! Alors, si vous trouvez mieux, faites le savoir et je le rajouterai à cette chronique !

Jeunes châtaignes (ou plutôt leurs bogues seules visibles ici !) avec les restes fanés des chatons mâles

BIBLIOGRAPHIE

  1. Le livre des arbres, arbustes et arbrisseaux. P. Lieutaghi. Ed. Actes Sud. 2004
  2. Dictionnaire culturel en langue française. A. Rey. Le Robert
  3. Botanique systématique. Une perspective phylogénétique. Judd et al. De Boeck Université. 2002

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le marronnier d'Inde
Page(s) : 192-93 Guide des fruits sauvages : Fruits secs
Retrouvez le châtaignier
Page(s) : 190-191 Guide des fruits sauvages : Fruits secs