Heteroptera

Punaise des pins d’origine américaine : un bel exemple de punais !

Récemment, un de mes frères, berrichon d’origine comme moi donc, m’appelle car depuis quelques jours il a des gros insectes sur sa façade et qui rentrent dans sa maison : après envoi d’une photo, j’ai identifié des punaises américaines (voir la chronique sur cette espèce invasive originaire des U.S.A.). Il avait ajouté lors de son appel : « ce sont des punais ». Oui, vous avez bien lu : punais et pas punaises. Effectivement, cela m’a rappelé d’un coup que dans mon enfance en Berry, on appelait les punaises des « jo-punais » (jo : retranscrit phonétiquement car là je ne connais pas l’étymologie sauf qu’en berrichon jo désigne le coq mais je ne vois pas de rapport !) ; punais était un adjectif que l’on utilisait couramment à propos par exemple de champignons sentant mauvais ou pour des œufs « tournés ». En fait, ce mot n’est pas une bizarrerie spécifiquement berrichonne même si dans ce patois, on déforme beaucoup de mots ! Il appartient bien à la langue française même si mon correcteur d’orthographe n’arrête pas de le souligner ! Du coup, cette anecdote a suscité chez moi des recherches sur la face malodorante des punaises d’où cette chronique !

Punais/punaise

Si on consulte les dictionnaires de la langue française dont Le Robert, on note que l’usage de l’adjectif punais (et sa forme féminine punaise) précède d’un siècle son emploi comme nom pour désigner les insectes. Cet adjectif punais dérive du latin populaire putinasius (composé avec putere pour puer et nasus pour le nez) et signifie « qui sent mauvais, qui pue ». On l’a employé aussi comme nom pour désigner un homme « qui exhale par le nez une mauvaise odeur » : mais il s’agit d’une forme dérivée car l’originelle signifie bien « puant et qu’on détecte de ce fait par le nez  ! Dès 1160, on l’emploie sous forme d’injure ; on le trouve dans le Roman de Renart sous la forme pugnès. Il existe aussi le mot rare de punaisie qui désigne une mauvaise odeur. Les trous punais au 13ème siècle à Paris étaient des sortes de fosses septiques à ciel ouvert où l’on déversait les immondices !

Une fois usité à propos des insectes, le mot punaise a ensuite été appliqué sous forme dérivée aux humains pour désigner une personne en dessous de tout sur le plan moral : le glissement a du se faire via la forme aplatie de ces insectes et donc l’idée de quelqu’un qui s’aplatit ou qu’on a envie d’écraser ! Quant à la fameuse interjection punaise, il faut plutôt la rapprocher d’une autre très usitée elle aussi, purée : elles ne seraient en fait que deux formes édulcorées du gros mot putain, lequel historiquement est aussi associé au latin putidus (qui pue). Enfin, il reste la punaise avec laquelle on fixe des feuilles sur un mur ; là, il s’agirait d’une double analogie : la forme ronde et plate de la tête de cet objet et aussi à cause des punaises des lits (qui font beaucoup parler d’elles en ce moment) qui piquent.

Hétéroptères

Punaise verte ; espèce très commune et très odorante !

Venons en, après cette « mise en nez » linguistique, au plan scientifique : que recouvre pour l’entomologiste ce terme de punaise ? On peut assimiler les punaises au sens populaire au groupe des Hétéroptères qui, lui-même s’insère dans le vaste groupe des Hémiptères. Ce dernier rassemble plus de 90 000 espèces d’insectes unies par leurs pièces buccales transformées en stylets perceurs et leur mode d’alimentation associé, dit piqueur-suceur : les stylets ménagent entre eux deux canaux permettant à la fois d’injecter de la salive et d’aspirer.

Ce sont les pucerons, les cigales, les cicadelles, les membracides (voir la chronique sur ces étonnants insectes), les psylles, les cochenilles et … les punaises réunies donc dans le sous-groupe des Hétéroptères.

L’un des caractères diagnostiques des Hétéroptères du point de la vue de la classification parle de lui-même : présence de glandes odoriférantes. Donc, pour une fois, une terme populaire coïncide bien avec une notion scientifique ce qui n’est pas monnaie courante ! Un autre caractère commun à la majorité des punaises concerne les ailes antérieures (hémélytres) repliées à plat sur l’abdomen au repos : elles ont une moitié basale durcie (corie) et une moitié terminale membraneuse d’où l’appellation d’hétéroptères (hetero = diversifié ; ptère = ailes) ; les ailes postérieures cachées au repos en dessous des hémélytres sont entièrement membraneuses.

Cocktails odorants

Si repérer l’odeur émise est facile, en trouver la source exacte s’avère plus compliqué : chez les adultes les glandes odoriférantes s’ouvrent sous le second article du thorax ou métathorax : il faut donc retourner l’adulte et l’observer à la loupe pour les voir ! Par contre, chez les jeunes, ces mêmes glandes se localisent dorsalement sur les segments abdominaux n° 3 et n° 7 (pas de Chanel !).

Au passage, on qualifie souvent les jeunes punaises de larves alors qu’elles éclosent des œufs sous une forme quand même proche des adultes ; le terme de larve doit être réservé aux groupes avec des métamorphoses complètes (endoptérygotes) où la larve n’a rien à voir avec l’adulte (chenille, asticot, …) . Mais comme la coloration et la morphologie des jeunes punaises diffèrent souvent fortement de celles des adultes (ce qui complique grandement l’identification) y compris donc certains détails de leur anatomie, ce terme de larve se justifie quand même !

Ces glandes élaborent un mélange de substances volatiles très complexe et caractéristique de chaque espèce : à chaque punaise son parfum ! Plus de cent molécules différentes ont été a minima identifiées mais on reste sans doute très loin du compte. Les noms chimiques de ces substances ont de quoi rebuter le profane (dont je fais partie) ; pour ce qui concerne l’odeur de punaise elle-même, les principaux composants impliqués appartiennent au groupe chimique des aldéhydes insaturés : (E)-2-hexenal, (E)-2-octenal, (E)-decenal ou 4-oxo-(E)-2-hexenalmol (OHE en abrégé : ouf !), … On les retrouve chez de nombreux hétéroptères et notamment au sein de la famille des Pentatomidés, les punaises à bouclier qui renferme les espèces les plus malodorantes (de notre point de vue !). Il paraît que si on tient un long moment une de ces espèces entre les doigts, au bout d’un moment apparaissent des fragrances nouvelles de type pomme, poire ou bonbon acidulé ! Je n’ai jamais eu la curiosité de tenter l’expérience : à voir !

Multi-usages

Ces cocktails complexes ouvrent aux punaises une série de fonctions très variées selon les composants : des phéromones sexuelles qui facilitent la rencontre des deux sexes ; des phéromones d’agrégation qui conduisent chez de nombreuses espèces à des regroupements massifs d’individus soit pour hiverner ou même en période estivale ; des phéromones de dispersion servant de signaux d’alarme en cas de détection d’un danger ou pour éloigner d’autres espèces compétitrices ; enfin, des substances défensives destinées aux prédateurs ou parasitoïdes (insectes qui pondent leurs œufs dans le corps des punaises, dévorées ensuite de l’intérieur par les larves). C’est ce dernier aspect original et très étudié que nous allons explorer ici.

Les substances défensives relèvent de trois grandes catégories : des produits irritants non spécifiques ; des toxines spécifiques ou même des substances « emmêlantes » qui piègent les tous petits arthropodes. Chez les punaises, la première catégorie domine largement et s’adresse avant tout aux prédateurs arthropodes (araignées, autres insectes dont des punaises prédatrices) ; on parle à leur propos d’allomones, des substances bénéfiques pour le producteur (elles éloignent les prédateurs) mais neutres pour les récepteurs (juste éloignés et tenus à distance). Vis-à-vis des vertébrés et surtout des oiseaux, ces irritants semblent très peu efficaces à leur égard ; par contre, certaines punaises vivement colorées, notamment dans la famille des Lygéidés et qui vivent sur des plantes très toxiques, emmagasinent dans leur corps ces composants toxiques végétaux (dont des cardénolides) ce qui leur confère un goût âcre ; ainsi, les oiseaux apprennent à éviter ces proies notamment par association avec leur coloration vive souvent rouge et noire (voir chronique sur ce processus dit de l’aposématisme).

De même ces substances irritantes semblent peu efficaces envers les parasitoïdes : on voit régulièrement des mouches parasites des punaises (notamment des Tachinidés) déposer tranquillement leurs oeufs sur celles-ci, sans réaction des futures victimes.

Repoussantes et dissuasives

Les substances (E)-2-hexenal, (E)-2-octenal, 4-oxo-(E)-2-hexenalmol (OHE) qui se retrouvent chez des punaises de diverses familles (aussi bien chez les jeunes que chez les adultes) jouent ce rôle d’irritants généralistes. Elles ont été testées expérimentalement sur des mantes prédatrices. Les deux premières citées ci-dessus, appliquées une à une sur des modèles, repoussent nettement les mantes qui s’éloignent dans la direction opposée ; si on les associe comme dans les cocktails naturels produits par les punaises, il n’y a pas pour autant d’effet synergique amplificateur. L’association avec des couleurs vives peut de plus renforcer l’effet repoussant envers les mantes. Par contre, la substance OHE, proche chimiquement, ne provoque pas d’effet d’éloignement sur ces mêmes mantes. L’élément clé serait donc l’affinité de la substance avec les récepteurs sensoriels de l’attaquant et la diversité des molécules fabriquées pourrait s’adresser à la diversité potentielle des prédateurs !

La réalité est plus complexe si on teste maintenant l’attitude des mantes envers des proies (des grillons) préalablement enduites de ces substances. Les grillons traités avec le (E)-2-hexenal sont attaqués et mangés tandis que ceux traités avec l’(E)-2-octenal et l’OHE ne sont pas mangés ou bien provoquent chez les mantes qui ont commencé à les attaquer des troubles. Autrement dit, le composé OHE qui n’est pas repoussant à l’odeur s’avère nettement dissuasif à l’occasion d’une attaque et d’une tentative de consommation ! De la chimie très subtile donc ! Chez certaines punaises, on a même mis en évidence des différences de baguage chimique entre jeunes et adultes : les jeunes secrètent de l’OHE et pas les adultes par exemple !

Voire insecticides !

Récemment on a mis en évidence au moins pour l’OHE une activité toxique inédite envers certains insectes au moins : on quitte alors le statut d’allomones neutres pour le récepteur ! Des expériences ont été conduites sur des grillons domestiques traités avec l’une des substances déjà mentionnées. Avec l’(E)-2-hexenal, les grillons se trouvent modérément et temporairement paralysés : ils retrouvent vite leur intégrité dès qu’ils se retrouvent loin de la source de produit volatile. Par contre, l’exposition à l’OHE entraîne une paralysie forte des pattes arrière : les grillons prennent une posture étirée comme tétanisés ; même remis hors de portée de la substance, ils restent paralysés et meurent ! Cette différence d’action s’expliquerait par la présence dans l’OHE d’une fonction chimique spécifique (4-keto-(E)-2- aldéhyde !!!!). Or, chez les grillons affectées par l’OHE, on constate une forte baisse dans leur corps de certains composés vitaux du groupe des thiols, de petites molécules indispensables au bon fonctionnement des cellules et notamment leur capacité à produire de l’énergie. L’action de l’OHE passerait donc par cet intermédiaire qui serait fortement diminué d’où la paralysie induite !

Etrangement, l’OHE est aussi connu comme produit dérivé de lipides fortement associés à des maladies humaines telles que la maladie de Parkinson ou celle d’Alzheimer ou l’athérosclérose ! De même, chez des patients atteints de maladies neuro-dégénératives, on trouve des protéines liées à l’(E)-2-hexenal ! Il y a encore plus étonnant dans ce domaine des « ressemblances » troublantes. On connaît un oiseau de la famille des Alcidés, proche de nos macareux, le starique cristatelle ( !) des îles du nord Pacifique dont le plumage répand une odeur citronnée, fait très rare chez les oiseaux. L’analyse de ce parfum original révèle la présence de molécules de type n-hexanal et n-octanal, très proches de celles des … punaises ! Ces molécules assureraient une fonction de répulsif envers les insectes parasites fréquents chez ces oiseaux coloniaux qui nichent dans des terriers. Magnifique exemple de convergence évolutive entre des êtres très éloignés ! L’univers du vivant est décidément tout petit !

Starique cristatelle : un oiseau qui sent le citron à la punaise !

Anti-bactériens

Au sein de l’immense groupe des Hétéroptères, on note des sous-groupes bien moins « punais » que la norme ; ainsi les punaises aquatiques (dont les Gerris ou « araignées d’eau) ne dégagent pratiquement plus d’odeurs bien qu’elles conservent les glandes correspondantes. On comprend bien qu’en milieu aquatique des substances volatiles odorantes n’ont qu’un intérêt limité voire inefficace ! D’où l’idée que les sécrétions de ces glandes pourraient encore avoir d’autres fonctions à travers la multitude des autres molécules qu’elles produisent. Les aldéhydes insaturés typiques de ces sécrétions (voir ci-dessus) possèdent une activité antibactérienne ; ainsi l’OHE prélevée sur la punaise des baies présente une activité dépendante de la dose sur des bactéries du genre Pseudomonas récoltées sur les plantes hôtes dont se nourrit cette punaise (suçeuse de sève et de sucs des fruits) Là encore, la présence d’une fonction chimique précise sur ces molécules semble nécessaire pour que cette propriété s’exprime. Donc, ces molécules odorantes pourraient bien en plus protéger les punaises contre les bactéries de leur environnement naturel.

On comprend mieux au vu de ces données l’extraordinaire diversification des hétéroptères et leur succès évolutif : la moindre mutation sur les voies de synthèse de ces molécules peut conduire à l’apparition de nouvelles molécules aux propriétés nouvelles ouvrant de nouvelles possibilités de conquête de nouvelles niches ou d’une meilleure protection contre tel ou tel agent potentiellement nocif.

BIBLIOGRAPHIE

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  2. Studies on chemical ecology of
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