Paridae

La famille des vraies mésanges (Paridés) au sein de l’immense groupe des Passereaux (Passériformes) regroupe environ 55 espèces dans le monde entier dont 6 présentes en France. Nous les connaissons tous tant certaines espèces telles que la mésange bleue ou la mésange charbonnière sont répandues jusque dans les environnements urbains et péri-urbains. Elles fascinent aussi les ornithologues puisque certaines espèces de mésanges européennes (dont la bleue et la charbonnière) sont parmi les plus étudiées de tous les passereaux avec plus de cent publications scientifiques par an qui leur sont consacrées. Mais qu’en est-il du reste de la famille : ont-elles toutes cette même allure rondouillarde et ces mêmes coloris souvent bigarrés ? Nous allons donc entreprendre un tour d’horizon de cette famille que nous croyons connaître pour en découvrir les singularités avec de belles surprises à la clé.

Mésange charbonnière (Parus major)

« La » mésange

Nos mésanges partagent tellement bien le même look que le grand public a tendance à les regrouper en une seule « espèce » : LA mésange ! Ces passereaux de taille petite à moyenne ont un corps compact et rondouillard avec un cou court et épais et une tête ronde qui leur donne cet air si sympathique avec leur œil vif en alerte permanente. Les ailes arrondies signalent des capacités voilières limitées pour les longs cours mais très performantes pour les déplacements dans les ramures et les acrobaties. Ajoutons le bec fort et relativement court, les fortes pattes aux doigts assez courts, la queue moyenne à courte : bref une apparence robuste tout en rondeur avec rien qui dépasse ! Le plumage doux arbore souvent des teintes contrastées à base de gris, de noir, de brun et de beige ou blanc sous forme de masques, de bavettes, des taches sur la nuque ou le front ; le jaune et le bleu complètent souvent ce fond bigarré. Les sexes sont quasi identiques en taille et en coloris.

Quelques traits comportements les unissent aussi : toutes nichent dans des cavités (oiseaux cavernicoles) et tapissent l’intérieur d’un matelas de mousse doublé d’un lit de crins, de poils et de plumes. Elles peuvent faire des pontes remarquablement importantes pour des passereaux. L’hiver, elles tendent à former des « rondes » associant plusieurs espèces de mésanges ou d’autres passereaux (grimpereaux, sittelles, roitelets) qui circulent ensemble à la recherche de nourriture.

Les ornithologues considèrent que cette famille est l’une des plus conservatrices en termes de morphologie parmi les oiseaux ! Et pourtant, leur lignée est relativement ancienne pour une famille de Passereaux : elle serait apparue il y a 6 à 7 millions d’années avec la majeure partie des lignées internes de la famille séparées à partir de – 2 Ma. Cette ancienneté relative ne se retrouve donc pas dans la diversité morphologique ; mais, nous allons voir que dans les détails subtils, il y a bien quand même une certaine diversité.

Erreurs de casting

Avant d’entamer l’exploration de la famille, il nous faut d’abord expliquer la locution « vraies mésanges » utilisée dans l’introduction. Historiquement, on a eu tendance à nommer mésanges (et à les classer dans la même famille) tous les passereaux partageant peu ou prou l’apparence physique moyenne décrite ci-dessus sans prendre en compte d’autres critères tels que les vocalisations, les comportements, le mode de nidification ou l’alimentation. Ainsi au moins trois espèces présentes en France ont été nommées mésanges sans y être directement apparentées. L’ex-mésange à moustaches (Panurus biarmicus), superbe hôte des grandes roselières est l’unique espèce de la famille des Panuridés. L’ex-mésange rémiz (Remiz pendulinus) qui s’observe souvent lors du passage migratoire fréquente elle aussi les zones humides et fabrique un nid en forme de bourse suspendue au bout d’une branche, en utilisant le « duvet » libéré par les inflorescences des roseaux et massettes. Elle appartient à la famille des Rémizidés (9 espèces).

Reste la plus répandue des trois, la mésange à longue queue (Aegithalos caudatus) avec son petit bec conique et sa longue queue bordée de blanc : elle élabore elle aussi des nids faits de mousses et de lichens en forme de bourse accrochée dans des arbres. Elle appartient à la famille des Aégithalidés (13 espèces).

A partir des années 1990-2000, les progrès considérables dans la classification des oiseaux via l’utilisation notamment de l’ADN, ont confirmé l’impression a priori que l’on a en voyant ces oiseaux : elles ont un look de mésange mais il y a plein de choses qui clochent dans leur mode de vie. Ainsi, les familles des Panuridés et des Aegithalidés s’avèrent assez éloignées des Paridés (les vraies mésanges) : la première serait apparentée à la famille des .. alouettes (Alaudidés) et la seconde se place auprès des pouillots (Phylloscopidés) ! Seules les rémizidés s’avèrent proches des vraies mésanges étant la famille la plus apparentée de celles-ci (groupe-frère). Pour pallier à ce problème, on a tenté de modifier les noms communs (vernaculaires) de ces groupes : la mésange à moustaches s’appelle désormais dans les guides à jour la panure à moustaches et la mésange rémiz devient la rémiz penduline. Pour la mésange à longue queue, on n’a pas osé franchir le pas de lui attribuer un nouveau nom car il aurait fallu la nommer aegithèle en francisant son nom latin de genre !

Vraies fausses-mésanges !

Pour visiter la famille des vraies mésanges, les Paridés, nous allons le faire en suivant un chemin historique, i.e. en parcourant l’arbre de parentés reconstitué entre les différentes espèces de cette famille. Le parcours débute par les trois lignées à la base de l’arbre, celles qui se sont donc détachées en premier et successivement au cours de l’histoire évolutive.

Arbre de parentés des Paridés ; la position de certains genres reste encore à préciser ; les cases rouges correspondent aux Paridés ou mésanges

Nous rencontrons d’abord la mésange tête-de-feu (Cephalopyrus flammiceps) des montagnes himalayennes : elle était auparavant classée parmi les Rémizidés mais les données récentes suggèrent qu’elle occupe une place tout à la base des Paridés, comme une sorte d’intermédiaire entre les deux familles. Elle ressemble bien plus à un pouillot qu’à nos mésanges et effectivement rappelle les Rémiz avec son petit bec : mais elle niche dans des cavités, détail crucial !

Viennent ensuite les deux vraies mésanges les plus surprenantes de la famille. D’abord, la mésange modeste (Sylviparus modestus) ainsi nommée car la plus petite de la famille : 9-10cm de long ! Une mini-mésange au plumage terne brun et jaunâtre, hôte elle aussi des forêts himalayennes qui fait plutôt penser à un roitelet !

Arrive enfin sa plus proche parente, la plus extravagante et la plus grande des vraies mésanges : la mésange sultane (Melanochlora sultanea) des forêts du Sud-est asiatique. De la taille d’un petit merle (20-21cm de long), elle arbore un look surprenant : toute noire de jais avec une super huppe très fournie jaune vif comme le bas du ventre. Plus contrastée, il n’y a pas ! Mais si l’on fait abstraction de ces ornements voyants, on retrouve bien un air de mésange avec le bec fort et court et elle niche dans des cavités d’arbres.

Aux origines

Ces trois genres avec une espèce chacun qui se détachent à la base de l’arbre des mésanges nous permettent d’échafauder des hypothèses sur les origines de cette famille. Déjà, on note que ces trois genres vivent dans le sud-est asiatique avec l’Himalaya comme centre principal. Si on élargit à l’ensemble de la famille, on observe l’Eurasie et l’Afrique (« l’Ancien Monde ») hébergent tous les genres de la famille sauf un ainsi que les trois genres les plus divergents que nous venons de présenter. De plus, les quatre espèces avec la plus vaste répartition et les plus différenciées en nombreuses sous-espèces en sont originaires : la mésange bleue, la charbonnière (avec pas moins de … sous-espèces !), la noire et la boréale. Tout pointe donc vers un berceau asiatique centré sur l’Himalaya à partir de la divergence d’avec les Rémizidés il y a 6 à 7Ma. De là, elles ont ensuite conquis l’Afrique et l’Amérique du nord (voir ci-dessous).

La grande ressemblance signalée avec les pouillots et les roitelets d’une part et la parenté avec les rémiz qui sont des oiseaux nichant hors cavités plaident en faveur d’une divergence de la lignée des mésanges par adoption d’un nouveau mode de nidification cavernicole ; cette nouvelle niche écologique aurait ouvert un nouvel espace libre ayant permis la diversification de cette lignée. On remarque aussi que la famille des mésanges est essentiellement présente en milieu forestier depuis les forêts boréales jusqu’aux forêts tropicales d’Asie ou d’Afrique : les arbres fournissent les indispensables cavités ; seulement quelques espèces fréquentent des milieux ouverts plus secs mais elles nichent alors dans des cavités du sol. Leur absence complète des forêts tropicales d’Amérique du sud pourrait s’expliquer par le fait que d’autres groupes de passereaux avaient déjà conquis ces milieux avant la formation récente de l’Isthme de Panama, les mésanges étant de piètres voiliers à faible capacité de dispersion.

Super-genre

Reprenons le fil de l’arbre de parentés et avançons vers le présent en laissant donc nos trois extravagantes. Nous entrons désormais dans un monde plus conforme à la mésange standard et plus familier avec « nos » mésanges. Jusque dans les années 2000, toutes les espèces restantes, soit plus d’une cinquantaine, étaient réunies dans le même genre Parus ce qui en faisait un des genres les plus fournis en espèces parmi les passereaux. Les données génétiques, écologiques, éthologiques et ostéologiques on rapidement montré la grande diversité qui régnait en fait au sein de cet ensemble d’apparence uniforme. Ainsi, s’est progressivement imposée la nécessité d’éclater ce super-genre Parus en plusieurs genres, pour rendre compte des lignées divergentes successives et souligner leurs différences effectives. Ainsi, au moins six genres nouveaux sont apparus ou ont plutôt été réhabilités car ils avaient été pressentis dès 1903 mais ensuite abandonnés. Limitons-nous ici aux seuls genres tempérés. Parus a été conservé mais se restreint désormais aux espèces proches de la charbonnière (P. major). Cyanistes réunit les « mésanges bleues » : la mésange bleue (C. caeruleus) et la mésange azurée (C. cyanus) asiatique.

Poecile regroupe les « mésanges grises » représentées chez nous par la nonette (Poecile palustris) et la boréale (P. montanus) ; en Amérique du nord, elles sont connues sous l’appellation de chickadees (nom correspondant à une onomatopée du cri typique) avec six espèces.

Lophophanes (lophos = crête) compte deux espèces dites « mésanges huppées » avec notre mésange huppée (L. cristatus) et la mésange des bouleaux (L. dichrous) asiatique. Un autre genre très proche, « les mésanges à huppe courte », Baeolophus, avec 5 espèces, occupe l’Amérique du nord.

Enfin, le genre Periparus regroupe les « mésanges noires » avec notre mésange noire (Periparus ater).

Le groupe des cachotières

Voyons donc comment se sont différenciés tous ces sous-groupes.On constate que d’après les données génétiques deux grandes lignées divergent à ce niveau : d’un côté, on a les mésanges africaines avec les mésanges charbonnières (Parus) et les mésanges bleues (Cyanistes) ; de l’autre, on trouve les mésanges noires (Periparus), les mésanges huppées (Lophophanes et Baeolophus) et les mésanges grises (Poecile). Or, les espèces de ce second groupe partagent deux traits comportementaux intéressants que l’on ne retrouve pas dans l’autre groupe : d’une part, elles sont capables de creuser elles-mêmes des cavités dans du bois mort ou pourrissant au lieu d’adopter des cavités déjà existantes soit naturelles, soit creusées par des pics (voir la chronique sur ce thème) ; d’autre part, elles partagent un comportement alimentaire original : récolter des aliments et les cacher pour constituer des réserves en vue de la survie hivernale avec la capacité cérébrale impressionnante d’être capables de les retrouver même sous la neige ! Il s’agit le plus souvent de graines (de conifères par exemple) ou plus rarement, comme chez la mésange huppée d’insectes qu’elle paralyse d’un coup de bec adéquat. Pour une fois que la biologie de terrain rejoint la génétique un peu abstraite, cela méritait d’être souligné !

Par ailleurs, on peut aussi discerner les différents genres délimités par la génétique à l’aide de critères morphologiques comme les coloris du plumage avec l’exemple des mésanges grises (Poecile) dont les coloris tournent autour d’un thème commun : calotte et bavette noire + joues blanches + corps brun, gris ou clair. De même, les mésanges noires (Periparus) partagent une double barre alaire.

Nouveau Monde

Deux genres se rencontrent en Amérique du nord : les mésanges grises ou chickadees et les mésanges à huppe courte (Baeolophus). Même les espèces hyper généralistes comme la bleue et la charbonnière (Cyanistes et Parus) n’y sont pas représentées. Ces deux lignées sont en fait des ramifications détachées des lignées de l’Ancien Monde. Leur nombre limité traduit en fait la faible capacité de dispersion des mésanges incapables de traverser des grands espaces marins et ayant donc besoin de « ponts terrestres » pour coloniser de nouveaux espaces. On pense que les mésanges grises auraient gagné l’Amérique du nord il y a environ 3,5Ma via le Détroit de Behring. Là, elles se sont différenciées en six espèces, les chickadees, colonisant l’ensemble du continent jusqu’au Mexique avec la mésange grise (P. sclateri) ou Mexican chickadee. Une espèce, la mésange lapone (P. cinctus) a récemment fait le voyage retour et colonisé l’Eurasie sibérienne sans doute suite aux derniers épisodes glaciaires.

La lignée des mésanges à huppe courte (Baeolophus) se serait détachée à partir d’une colonisation un peu plus ancienne vers – 4Ma . Elles se sont diversifiées en 5 espèces dont quatre présentent une courte huppe et un plumage très terne gris à brun, pratiquement sans motifs noirs : la mésange bicolore, la mésange des genévriers, la mésange à plumet noir et la mésange unicolore. Les américains les distinguent sous l’appellation de titmouse (mésanges-souris à cause de la coloration) au lieu de tit tout court pour nos mésanges. La cinquième, la mésange arlequin (B. wollweberi) interpelle par son incroyable ressemblance avec notre mésange huppée : même huppe allongée et mêmes motifs noirs sur la tête ! Et pourtant, les données génétiques sont formelles : elle appartient bien à la lignée nord-américaine et semble être la plus ancienne. Ainsi, elle correspondrait au type ancestral installé en premier qui aurait ensuite divergé. L’histoire évolutive nous sert ainsi d’incroyables faux-semblants que l’œil humain est incapable de différencier !

La plus improbable !

Nous terminerons ce cheminement au milieu des Paridés par une espèce ultra-surprenante que nous avons laissé volontairement de côté. Il s’agit de la mésange de Hume (Pseudopodoces humilis) qui vit dans les steppes au-dessus de 3000m sur les hauts plateaux tibétains ; d’emblée, un décor qui ne colle pas avec la mésange standard : pas un arbre ! Physiquement, on dirait un gros traquet beige et brun (20cm de long pour un poids de 40-50grammes) avec un long bec courbé et de longues pattes ! Ajoutons deux autres originalités : elle se nourrit au sol en piochant avec son bec et les œufs n’ont pas de taches contrairement à ceux des autres mésanges !

Si on m’avait présenté cet oiseau hors de ce contexte, jamais je ne l’aurai classé parmi les mésanges ! C’est d’ailleurs ce qui s’est passé quand cet oiseau fut découvert à la fin du 19ème siècle : on le classa alors parmi les … corvidés (la famille des geais, corbeaux, pies, …) et on en fit un geai terrestre par analogie avec plusieurs espèces de vrais geais terrestres de ces contrées du genre Podoces (d’où le nom latin de Pseudopodoces). Longtemps d’ailleurs, elle fut connue comme étant le plus petit corvidé du monde ! Il faudra attendre la parution en 2003 d’une publication sur cette espèce pour que l’erreur soit révélée. Ce qui avait attiré l’attention, outre la taille petite pour un corvidé, c’est le mode de nidification : cet oiseau creuse des terriers profonds (jusqu’à 1,60m !) dans le sol meuble pour y installer son nid tapissé de mousse et de poils ! Voilà qui nous rappelle quelque chose ! Les analyses génétiques démontrent sa place au beau milieu de la famille des Paridés dans le groupe des mésanges « non cachotières » aux côtés des mésanges charbonnières ou bleues. Une étude ostéologique montre que l’articulation de la mâchoire supérieure avec le crâne est bien celle propre aux mésanges et associée à leur capacité à marteler les graines dures de leur bec. L’analyse de la composition chimique des sécrétions de la glande uropygienne (servant à entretenir le plumage) confirme aussi son étroite parenté avec les mésanges.

Sa place dans un sous-groupe assez dérivé indique que son origine est assez récente ; il doit s’agir d’une lignée qui a colonisé cette nouvelle niche écologique (née avec la surrection de l’Himalaya dans le cadre de la tectonique des plaques). L’ancêtre probable pourrait être un membre du genre Parus au sens strict qui ont tendance à se nourrir au sol et le nouveau contexte très sélectif aurait conduit à cette évolution radicalement différente !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Historical biogeography of tits (Aves: Paridae, Remizidae) D. T. Tietze & U. Borthakur. Org Divers Evol (2012) 12:433–444
  2. A complete multilocus species phylogeny of the tits and chickadees (Aves: Paridae). Johansson, U.S., et al. Molecular Phylogenetics and Evolution (2013)
  3. Tits and Chickadees (Paridae). Gosler, A., Clement, P. & Bonan, A. (2018). In: del Hoyo, J., Elliott, A., Sargatal, J., Christie, D.A. & de Juana, E. (eds.). Handbook of the Birds of the World Alive. Lynx Edicions, Barcelona.
  4. Pseudopodoces humilis, a misclassified terrestrial tit (Paridae) of the Tibetan Plateau: evolutionary consequences of shifting adaptive zones. HELEN F. JAMES et al.. Ibis (2003), 145, 185-202

A retrouver dans nos ouvrages

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