Verbascum

La plupart des espèces de molènes (genre Verbascum) se reconnaissent même de loin à leur feuillage d’aspect feutré, vert gris argenté à vert jaunâtre et doux au toucher à cause d’une sorte de feutrage qui tapisse les deux faces des feuilles, les tiges et se retrouve jusque sur les pédoncules et les calices des fleurs.

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Rosettes de molène floconneuse avec leur revêtement blanc farineux visible de loin.

Ce revêtement pileux se compose de poils ramifiés multicellulaires formant un trichome. Au microscope, on découvre une paysage surprenant fait de poils transparents en forme d’arbre (dendroïdes) avec plusieurs étages superposés de ramifications ou plus simples en étoile perchée sur un pédoncule (astéroïdes) ; on dirait une vaste forêt de verre impénétrable. Çà et là, on trouve aussi des poils plus simples (mais néanmoins pluricellulaires) formés d’un court pédoncule coiffé d’une goutte transparente ; ce sont des poils glanduleux.

Cet aspect si frappant n’a pas manqué d’inspirer une foule de noms pour ces plantes populaires et connues par ailleurs pour leurs vertus médicinales. Le toucher doux de ce tapis a ainsi donné le vieux nom de molène qui remonte au 13ème siècle, à partir de la racine mou ou mol, repris sous le nom anglais de mullein. Au Moyen-âge, on les nommait bladone ou blandonia, mots proches du latin blandus pour doux. Le nom scientifique latin du genre Verbascum dérive de barbascum pour barbu, autre allusion à ce revêtement même si cela peut aussi provenir des étamines dont les filets sont souvent hérissés de poils. Enfin, le surnom populaire de bouillon-blanc, répandu et appliqué à plusieurs espèces proches, provient d’un vieux mot bugillonem qui fait allusion au toucher des feuilles et à sa coloration blanchâtre.

Un manteau contre la chaleur

Pour appréhender la ou les fonctions de ce revêtement, il faut se se référer au milieu de vie de ces plantes : la plupart des espèces (et notamment celles qui possèdent les revêtements les plus conséquents) vivent dans des milieux très ouverts (donc soumis à une forte insolation et aux caprices du vent) sur un sol sec et filtrant (graviers, sables, cailloutis) et dans des sites chauds et bien exposés où elles se comportent en pionnières. De plus, leurs rosettes de feuilles très larges et étalées exposent de grandes surfaces au soleil, nécessaires pour assurer une photosynthèse intense au printemps quand la plante va connaître une croissance accélérée du fait de son cycle de vie bisannuel. On l’a compris, la survie de ces plantes impose la capacité à lutter contre le dessèchement.

La forêt de poils branchus retient entre ses branches une fine couche d’air qui fonctionne comme une couverture isolante et entretient un microclimat abrité des courants d’air : cette couche limite conserve une certaine humidité plaquée sur la feuille. Au pied des « arbres de verre » se trouvent les stomates, ces ouvertures par lesquelles la plante assure ses échanges vitaux dans le cadre de la photosynthèse (prise de dioxyde de carbone dans l’air et rejet de dioxygène), de la respiration et de son alimentation en eau (rejet de vapeur d’eau ou évapotranspiration qui entretient un courant d’eau ascendant dans la plante, indispensable pour extraire l’eau du sol). Or, ces stomates se ferment dès que la plante perd trop d’eau ce qui, par contrecoup, arrête toute activité de photosynthèse. Ainsi, même en plein soleil ou sous un vent desséchant, les molènes peuvent poursuivre leurs activités métaboliques et mener à bien leur cycle de vie gourmant en énergie, vu leur taille et leur rapidité de croissance.

A cet effet de « frein » aux courants d’air s’ajoute un effet réflecteur, d’autant qu’il s’agit de poils transparents d’aspect vitreux. Ils renvoient une partie des ondes lumineuses, y compris des infra-rouges très « chauffants », réduisant ainsi l’énergie solaire absorbée par la feuille ; ils fonctionnent à la manière de ces stores blancs que l’on place sur les velux pour atténuer la chaleur. Par contre, immanquablement, un tel effet s’accompagne d’une diminution de la capacité de photosynthèse puisque moins d’énergie solaire atteint la feuille. Mais cet inconvénient se trouve largement contrebalancé par la limitation du risque de surchauffe, très dangereux pour la plante.

Une preuve indirecte de ce rôle d’isolant ressort dans les variations de ce revêtement selon les espèces et leurs milieux de vie. Ainsi, chez la molène noire (V. nigrum) qui vit dans des milieux nettement moins secs et plus fermés , le revêtement reste nettement plus limité et la plante n’a pas cet aspect feutré et mou propre aux espèces des grèves et friches caillouteuses ensoleillées.

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Feuilles de la molène noire, une espèce qui pousse dans des milieux nettement moins secs surtout en moyenne montagne.

Un filtre U.V.

Récemment, on a mis en évidence une autre fonction de ces poils par rapport aux effets délétères des radiations ultra-violettes (U.V.) par des expériences consistant à « raser » des feuilles de molène et à observer les conséquences sur leur survie et leur développement. Une telle étude a été menée en Grèce, in natura, sur une espèce de molène alpine vivant dans les hautes montagnes arides du centre et du sud de la Grèce, la molène superbe (V. speciosum). Elle vit dans les rocailles alpines arides, au-dessus de la limite des forêts et arbore un feuillage et des tiges fortement pubescents, vert grisâtre. Les plantes rasées montrent une forte baisse de leur activité photosynthétique ; mais cet effet négatif disparaît si on installe au-dessus d’elles un dispositif qui filtre spécifiquement les U.V.B. Donc, le revêtement de poils, en temps normal, assure une protection essentielle contre ces U.V.B qu’il réfléchit. Rappelons que les U.V.B ne représentent pourtant que 5% des U.V. reçus mais ils sont très énergétiques et pénétrants ; chez l’homme, ce sont eux qui sont responsables du bronzage et … des coups de soleil ou de l’apparition de cancers de la peau. Il reste à vérifier cet effet sur d’autres espèces de molènes vivant des dans des environnements un peu moins contraints que celui-ci.

Secondairement anti-herbivore ?

Ces poils ramifiés présentent en plus la propriété d’être cassants comme du verre et de se rompre très facilement en cas de frottement. D’ailleurs, naturellement, sur les feuilles les plus âgées des rosettes (celles qui ont poussé en premier lors de la naissance de la plante), le revêtement tend à s’éclaircir sérieusement avec des zones franchement dénudées. Cette particularité s’avère être un redoutable dispositif anti- « manipulation » vis-à-vis des animaux car les fragments microscopiques des poils sont autant d’aiguilles pointues très irritantes autant pour le contact avec la peau externe que avec les muqueuses internes de la bouche ou du tube digestif pour ceux qui cherchent à consommer les feuilles. Ainsi, ce revêtement acquis au cours du temps probablement comme protection anti- chaleur et anti-sécheresse ou U.V. dans le cadre de la colonisation de milieux secs et ensoleillés est devenu secondairement une protection anti-herbivores redoutable. (voir lien vers fiche défense). On peut donc dire qu’il s’agit d’une exaptation, un « recyclage » secondaire d’une adaptation dédiée originellement à une fonction précise vers une autre fonction complètement différente. Peut-être même que, dans un second temps, ce dispositif se révélant efficace contre les herbivores, la sélection naturelle ait favorisée l’apparition de poils de plus en plus ramifiés, donc plus efficaces comme isolants mais aussi de plus en plus cassants et donc potentiellement « offensifs ». Une étude phylogénétique permettrait peut être de vérifier cette hypothèse.

Les hommes y sont tout aussi sensibles que les animaux herbivores ; au toucher, si on frotte les feuilles, cela peut entraîner une réaction allergique ou une dermatite locale. Autrefois, certaines dames se frottaient les joues avec des feuilles de modèles pour provoquer un rougissement et donner « un effet de flush » ! On a aussi utilisé les feuilles comme « prise » pour provoquer des éternuements. La consommation de la tisane de molène requiert des précautions car même les fleurs seules possèdent de tels poils ; il faut filtrer la tisane avec un linge fin pour éliminer les poils en suspension irritants pour la gorge. L’ironie de l’histoire, c’est que les molènes sont réputées en tant que médicinales pour leurs propriétés … adoucissantes pour les voies respiratoires ! D’aucuns prétendaient autrefois qu’elles portaient la signature divine du « doux » sur leur feuillage, oubliant de signaler leur côté obscur d’irritantes notoires !

D’autres fonctions à découvrir ?

La découverte récente de la fonction anti-U.V.B amène s’interroger sur l’existence d’autres fonctions ignorées, sous forme d’autres exaptations.

Dans plusieurs pays dont les U.S.A., des espèces de molènes ont été introduites et sont y devenues nettement invasives, finissant par poser des problèmes écologiques et économiques (notamment dans les pâturages). On a donc cherché des moyens de les limiter avec le recours entre autres à des herbicides. Mais on a découvert alors que les traitements par aspersion se révélaient peu efficaces car le liquide roule en gouttelettes sur les feuilles sans pénétrer, comme l’eau sur une feuille de lotus ou un imperméable ciré. Il faut ajouter des surfactants au traitement pour que le pesticide pénètre. Voici donc une autre fonction inattendue de ce revêtement : il constitue une barrière hydrophobe qui, dans ce contexte de guerre chimique déclarée, devient un avantage sélectif certain ! Cet effet lotus s’observe superbement les matins avec une forte rosée où les feuilles des molènes scintillent de mille gouttelettes comme autant de perles réfléchissantes. Cette propriété a t’elle des avantages pour ces plantes dans leur environnement ? Voilà un sujet d’étude à creuser (si cela n’a pas déjà été fait ?)

De même, qu’en est-il du rôle de ce revêtement pour les rosettes nées en automne et qui subissent les rigueurs hivernales ; on serait tenté de penser qu’il doit bien protéger les grandes feuilles charnues et donc fragiles ? La survie hivernale, au moins sous nos climats, doit constituer un facteur sélectif majeur pour des plantes bisannuelles. Autre sujet à explorer ?

BIBLIOGRAPHIE

The importance of being hairy: the adverse effects of hair removal on stem photosynthesis of Verbascum speciosum are due to solar UV-B radiation ; Y. Manetas ;New Phytologist (2003) 158: 503–508.  

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les molènes sauvages
Page(s) : 168 Guide des plantes des villes et villages
Retrouvez les molènes cultivées
Page(s) : 635 à 637 Guide des Fleurs du Jardin
Retrouvez la notion d'exaptation
Page(s) : 80-83 Guide critique de l’évolution