Mecoptera

Mâle de panorpe ou mouche-scorpion

Dans la classification du vivant, on divise la classe des Insectes en grands groupes ou ordres dont la grande majorité des noms se terminent en « ptères » (pteron = ailes) ; six grands ordres sont ainsi plus ou moins connus du grand public, au moins sous leur appellation populaire : les Lépidoptères (« ailes à écailles » : papillons), les Coléoptères (« ailes en étui » : « scarabées »), les Diptères (« deux ailes » : mouches, moustiques, ..), les Hyménoptères (« ailes membraneuses » : abeilles et guêpes), les Orthoptères (« ailes droites » : criquets, sauterelles et grillons : voir la chronique sur cet ordre) ou les Hémiptères (« demi-ailes » : punaises, cicadelles, cigales et pucerons) ; les Odonates ou libellules font exception avec leur nom à part sans allusion aux ailes (odonto= dents, par rapport aux mandibules dentées). Et puis, il y a toute une série d’ordres qualifiés de mineurs (uniquement du point de vue nombre d’espèces qu’ils renferment) avec lesquels on entre dans le vaste monde des oubliés de la biodiversité, ceux que l’on ignore ou que l’on confond avec les « grands ». Parmi ceux-ci, certains restent néanmoins familiers par leurs noms communs : les Dermaptères ou perce-oreilles, les Ephéméroptères ou éphémères ou mouches de Mai bien connues des pêcheurs, les Mantoptères ou mantes, les Phtiraptères ou poux ou les Siphonaptères ou puces. Et enfin, il reste les grands inconnus pourtant souvent très présents dans de notre environnement comme les Thysanoptères ou thrips, les Psocoptères  ou poux des livres et, le sujet du jour, les Mécoptères avec, entre autres, les mouches-scorpions. 

De face, le rostre leur « mange la figure » !

Petit ordre

Même les systématiciens considèrent l’ordre des Mécoptères comme « petit » car on n’y inclut « que » 600 espèces dans le monde et, pour des insectes, un tel nombre semble ridicule face aux poids lourds tels que les coléoptères avec A minima 350 000 espèces ! Pour autant cet ordre a reçu une attention proportionnellement démesurée de la part des scientifiques et a fait et continue à faire l’objet de nombreuses études et publications, notamment du fait de leurs mœurs sexuelles très particulières.  Vus de loin, l’allure générale des Mécoptères n’attire guère le regard tant ils ont une allure « généraliste » comme disent les entomologistes : on dirait soit des mouches, soit des tipules ou soit des puces. D’ailleurs même leur nom d’ordre n’apporte guère d’éclairage : Mécoptère signifie « ailes longues », un trait vraiment peu frappant et partagé par nombre d’autres groupes ! Il faut s’approcher au plus près pour commencer à découvrir des bizarreries et une certaine diversité non apparente au premier abord. On classe les espèces attribuées à cet ordre en neuf familles dont trois sont représentées en France par au moins une espèce et qui seront les seules abordées dans la suite. Les Panorpidés (noter le suffixe « ide » pour nommer les familles) ou mouches-scorpions constituent la principale famille avec plus de la moitié des espèces (375) dans le Monde, représentées par le genre Panorpa en France ; comme elles sont répandues et très faciles à observer en été dans de nombreux milieux, nous allons nous appuyer sur elles pour d’abord dresser le portait type d’un Mécoptère avant de découvrir les deux autres familles. 

Rostrum corneum 

Les panorpes ou mouche-scorpions mesurent en moyenne 2cm de long avec des ailes de 1,5cm environ. Dès que l’on commence à observer une panorpe de près, le regard se porte tout de suite sur la tête qui intrigue par son apparence, surtout en vue de face : on dirait que cette « mouche » possède un rostre imposant, pendant sous la tête, surnommé autrefois rostrum corneum. Ce rostre large résulte de la transformation et de la fusion partielle des pièces buccales de type broyeur. Les trois pièces dures qui composent habituellement le « visage » des insectes, (de haut en bas le front, le clypéus et le labre) sont ici soudés en une seule pièce, sans trace conservée de cette suture ; à cela s’ajoute un allongement des pièces basales des maxilles (stipes) qui forme donc ce rostre au bout duquel se trouvent les parties coupantes et broyeuses des mandibules et maxilles et leurs paires de palpes associés, ces sortes de mini-pattes sensorielles. Pour en terminer avec la tête décidément typée, notons le « cou » bien développé (par en dessous), les deux grands yeux composés sombres très écartés, renforcés de trois taches oculaires ou ocelles et la paire d’antennes longues et fines. 

Les trois longues paires de pattes à poils raides viennent s’articuler latéralement sur le thorax peu différencié ; elles portent à la base du tarse une paire de longues pointes et une paire de griffes courtes terminales. Les deux paires d’ailes quasiment identiques en taille (les postérieures légèrement plus courtes), longues et minces mais arrondies et élargies au bout, frappent par la densité des nervures (veination) très apparentes en réseau complexe : transparentes, elles portent des taches foncées dont une bande transversale épaissie ou ptérostigma, une aire pigmentée que l’on retrouve dans d’autres groupes d’insectes comme chez les odonates mais de manière convergente non équivalente. En plus, on note la présence de deux points ronds plus durs, des nygmata (pluriel de nygma), peu répandus chez les insectes. Au repos, les ailes sont disposées à plat, formant un triangle sur le dos de l’insecte. 

L’abdomen, jaune taché de noir,  se compose de onze segments dont les terminaux peuvent s’étirer en longueur au niveau de la peau fine qui les relie entre eux, à la manière de ce qui se passe chez les mouches (voir les parentés). Un simple coup d’œil à la pointe de l’abdomen suffit à distinguer aisément mâles des femelles : chez celle-ci, l’abdomen se termine en pointe effilée avec deux courts appendices, des cerques. Mais chez le mâle, le neuvième segment fortement élargi et d’un rouge brun brillant porte une paire de griffes (dististyles) en pinces ; l’insecte le tient redressé au-dessus du corps, à la manière d’une queue de scorpion via les deux segments précédents fins et allongés : mais ici point de dard avec du venin à inoculer ! Cet organe si singulier leur a valu le nom de mouche-scorpions (scorpionflies en anglais) et se trouve impliqué dans les comportements sexuels très complexes que nous détaillerons dans une autre chronique exclusivement consacrée à la reproduction des panorpes. Cette « queue », surnommée autrefois cauda chelifera, tout autant que le long rostre, explique l’étymologie du nom panorpe (Panorpa) : « tout en aiguillon ». 

Mode de vie 

En France, on recense sept espèces de panorpes, très proches d’aspect et pas faciles à identifier sans un examen très rapproché sur un individu capturé et sacrifié ! Très faciles à observer et à photographier, elles ne sont jamais abondantes mais présentes un peu partout. 

Toutes fréquentent des sites plutôt ombragés comme le long des haies, des lisières, dans les clairières, souvent près de massifs de grandes herbes ou d’arbustes bas. Là, elles se déplacent d’un vol tranquille à la recherche de leur nourriture qui se compose essentiellement de fruits juteux abîmés (framboises, groseilles, ..) et des insectes trouvés morts ; leur régime peut inclure aussi du nectar et du pollen de fleurs, des excréments d’oiseaux ou le miellat rejeté par les pucerons. Elles imprègneraient leurs aliments de salive avant de les consommer ce qui suggère une pré-digestion externe ? Les insectes morts représentent souvent plus de 90% de leur nourriture et elles les repèrent par olfaction ; elles recherchent les insectes à corps mou comme les mouches et négligent les insectes à carapace sauf s’ils sont déjà abîmés.

La compétition pour la nourriture a conduit vers un comportement alimentaire répandu chez les panorpes : exploiter des insectes tués par des araignées et enveloppés sur leurs toiles avant d’être consommés. Les panorpes semblent capables de se défendre contre les araignées  et se déplacent aisément sur leurs toiles. Si elles se retrouvent engluées, elles rejettent un liquide brun dont la fonction pourrait être soit de dissoudre les fils soit de repousser l’araignée. Les mâles de panorpes pratiquent encore plus cette forme de larcin car elles offrent souvent ces proies mortes en cadeau nuptial aux femelles (voir la chronique sur la reproduction). 

Cycle de vie 

Nous allons laisser de côté tout ce qui concerne l’accouplement, objet de l’autre chronique sur les mouche-scorpions. Les femelles fécondées pondent leurs œufs par paquets de 15 à 30 en les enfonçant dans un sol meuble, souvent sous des buissons, grâce à leur abdomen effilé au bout et capable de s’étirer. Les jeunes larves éclosent peu après, en déchirant l’enveloppe de l’œuf à l’aide d’une sorte de dent sur le front, à l’instar du diamant sur le bec des poussins ! Elles restent un temps ensemble puis se dispersent et creusent des galeries un peu plus en profondeur dans le sol, dans la mouse, les troncs pourris ou la litière de feuilles mortes. Elles se nourrissent de divers détritus dont des insectes morts qu’elles peuvent venir chercher en surface. 

Larve de panorpe

Globalement, ces larves ressemblent à des chenilles mais avec une forme un peu arquée du fait de la présence de fausses pattes abdominales membraneuses (pseudopodes) en plus des trois paires thoraciques classiques. Elles portent de plus des tubercules et des sortes d’appendices allongés vers l’extrémité. L’abdomen se termine par une ventouse adhésive qu’elles utilisent soit pour s’accrocher, soit pour se déplacer à la manière des chenilles arpenteuses. Le trait le plus remarquable de ces larves reste leurs gros yeux composés d’une trentaine de facettes (omnatidies), caractère exceptionnel pour des larves menant de plus une vie quasi souterraine. Au moment de la métamorphose en adulte, ces yeux vont être déconstruits et les yeux adultes très proches reconstruits ! Au bout de quatre mues, la larve s’enfonce un peu plus et prépare une loge aux parois durcies par de la salive dans laquelle elle se transforme en nymphe immobile. Il s’agit donc d’un insecte à métamorphoses complètes (Holométaboles). Deux générations se succèdent par an, la seconde hivernant au stade larvaire final. 

Mouches suspendues 

Bittacus aux allures de tipule

La seconde famille des Mécoptères présente en France, les Bittacidés, n’est représentée que par deux espèces peu communes, la majorité étant tropicales. Ils sont connus des anglo-saxons sous l’appellation évocatrice de « mouches suspendues » (hangingflies) : en effet, ces frêles insectes aux allures de tipules (mais avec un rostre de panorpe), se tiennent suspendus au bord des feuilles ou de fines tiges, le corps et les pattes pendantes dans le vide. Les longues pattes postérieures, très grêles, portent une grande griffe en haut du tarse qui peut se replier sur le dernier segment denté comme une patte ravisseuse de mante. Ils sont ainsi capables de capturer par « en dessous » des insectes de passage en vol avec une grande agilité et de porter ensuite la proie vers leur bouche pour la manger tout en restant suspendus ! Leurs pattes sont tellement transformées pour cette fonction prédatrice qu’ils ne peuvent plus se tenir normalement sur une surface plane ou encore moins marcher ! Le bittaque tipulaire (Bittacus italicus), le plus répandu, a un corps jaune brun de 2,5cm de long avec un abdomen très mince et deux paires d’ailes transparentes sans aucune tache, étroites à la base ; il habite les bois clairs humides et les prairies et on peut le rencontrer de juillet à septembre. 

Après l’accouplement (voir l’autre chronique), les femelles pondent leurs œufs un par un de ci de là en se suspendant au dessus de milieux favorables ; les œufs, d’une forme inhabituelle presque cubique,  éclosent donc en surface sur la litière où les larves vont rester en surface et se nourrir des débris divers. Elles aussi possèdent des yeux composés mais nettement moins développés que ceux des larves de panorpes avec seulement sept facettes ; sur le thorax et une partie de l’abdomen, elles ont des prolongements charnus sur lesquels elles déposent une sécrétion collante qui agglomère excréments et particules du sol, assurant un certain camouflage. 

Attention il existe dans d’autres groupes d’insectes des genres qui prennent eux aussi l’apparence de grands tipules comme les Bérytidés, une famille de punaises ! Mais elles n’ont pas le grand rostre des bittacidés.

Puces des neiges 

Femelle de puce des neiges ; noter le rostre très « panorpe » !

La dernière petite famille des Boréidés (24 espèces/3 genres) ne possède qu’une seule espèce présente en France, connue sous le surnom de puce des neiges (Boreus hiemalis). Ici, on s’écarte sensiblement du modèle panorpe sauf toujours au niveau de la tête avec son gros rostre vertical. Ce petit insecte (4mm !) trapu ne possède pas d’ailes développées : réduites à des moignons chez les femelles, elles prennent l’apparence de lanières étroites avec un bord interne denté chez les mâles qui les utilisent pour accrocher le dos des femelles lors des accouplements. Cette espèce se démarque par un cycle de vie décalé : les adultes ne se montrent qu’entre octobre et mars ; décalage d’autant plus étonnant qu’elles fréquentent les sites enneigés souvent en lisière de forêt et se déplacent sur les plaques de neige dès que la température dépasse zéro degrés. Le surnom de puce lui vient de sa capacité de sauter avec des bonds de 5 à 30cm alors qu’elle n’a pas de pattes postérieures développées : elle mobilise ses trois paires de pattes pour ce faire. Elle saute pour échapper aux prédateurs mais aussi pour franchir les espaces de neige molle fondue difficiles à négocier en marchant. En France, on ne la connaît que d’une trentaine de départements essentiellement en montagne mais aussi en région parisienne dans des massifs forestiers ou des tourbières. Elle a besoin de sites froids où la température moyenne annuelle reste en dessous de 12°C et on la considère comme une relique de la faune des dernières glaciations. Elle est étroitement associée aux mousses dont elle consomme les pousses tendres : les entomologistes les récoltent souvent en tamisant des mousses récoltées sur le sol des forêts. Leurs larves ne portent pas de prolongements ni de soies visibles ; elles ont bien deux yeux composés mais avec seulement trois facettes. 

Larve de puce des neiges

Parentés

Le surnom de puce des neiges attribué depuis longtemps à Boreus hyemalis (ci-dessus) se basait sur une simple ressemblance dans la manière de sauter, caractère qui ne traduit a priori en rien une éventuelle et réelle parenté étroite. D’ailleurs, on nomme de la même manière deux espèces de minuscules collemboles (arthropodes très proches des insectes) sauteurs et observables aussi sur les plaques de neige. Et pourtant, sans le savoir, cette dénomination s’avère très juste puisqu’on sait maintenant que la famille des boréidés est très étroitement apparentée au groupe des puces (siphonaptères) : elle en est le groupe frère au sens de la classification. Cet apparentement, confirmé par les analyses génétiques, avait été pressenti depuis assez longtemps sur la base de caractères partagés par les puces et les boréidés : des chromosomes sexuels multiples, une structure très particulière des spermatozoïdes et de l’appareil reproducteur des femelles, l’absence de certains muscles dans le labre facial, des ocelles très réduits ou perdus, la présence dans la partie haute du tube digestif (proventricule) de petites épines (acanthae) aidant à triturer la nourriture ; les ovaires ne contiennent pas de cellules nutritives si bien que l’embryon termine son développement après l’éclosion. Il y a bien sûr la capacité de sauter commune aux deux mais on ne sait pas trop les mécanismes impliqués chez les boréidés ; par contre, chez les deux, on observe un comportement original : faire le mort après avoir sauté ! Dernier trait commun frappant : parmi les mécoptères, les boréidés sont les seuls à fabriquer un cocon de soie au moment de la métamorphose en nymphe … comme chez les puces ! 

Position des Mécoptères classiquement admise

Certaines études génétiques vont même plus loin dans ce degré d’apparentement : les puces seraient en fait des Mécoptères et pas un groupe à part (siphonaptères) qui aurait divergé : cela signifie que lorsqu’on reconstitue l’arbre de parentés des différentes familles de Mécoptères (tel qu’on le définit classiquement) et qu’on y ajoute les puces, ces dernières se « nichent » à l’intérieur de l’arbre et s’intercalent entre les différentes familles, au plus près des Boréidés ! Cette vision des parentés n’est pas encore complètement actée mais fortement suspectée comme très plausible. Il faudrait donc alors renommer les mécoptères qui incluraient les puces. 

Arbre de parenté à l’intérieur des Mécoptères avec l’inclusion des Puces (arbre pas encore officialisé) ; les familles 1, 2 et 3 sont d’autres familles des Mécoptères non représentées en Europe

Pour le reste, quand on remonte l’arbre des parentés reconstitué, le groupe le plus proche parent des puces et mécoptères est celui des Diptères (mouches, tipules, moustiques, ..). Là encore, les noms populaires de mouche-scorpion ou mouches suspendues avaient aussi sans le savoir pressenti cette réelle parenté ! 

Bibliographie 

Evolution of the insects. D. Grimaldi ; M.S. Engel. Cambridge University Press. 2004

Les insectes. P.A. Robert ; J. D’Aguilar. Ed. Delachaux et Niestlé. 

Contribution à l’étude des Mécoptères de France. Deuxième partie : clé de détermination des Panorpa de France. (Mecoptera Panorpidae). Pierre TILLIER L’Entomologiste, tome 64, 2008, n° 1 : 21 – 30

Contribution à la connaissance de Boreus hyemalis L., 1767 en France (Neomecoptera Boreidae). Pierre TILLIER , Henry CALLOT  & Jean-Christophe RAGUÉ L’Entomologiste, tome 67, 2011, n° 5 : 281 – 285 

Mecoptera is paraphyletic: multiple genes and phylogeny of Mecoptera and Siphonaptera.MICHAEL F. WHITING Zoologica Scripta, 31, 1, February 2002, pp93 –104 

BIOLOGY OF THE MECOPTERA. George W. Byers Ann. Rev. Entomol. 1983. 28:203-28

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les Mécoptères
Page(s) : 370-372 Classification phylogénétique du vivant. Tome II. 4ème édition revue et augmentée