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Les murs apportent dans la ville une troisième dimension verticale loin d’être négligeable puisqu’on estime qu’en moyenne, pour dix hectares de surface de ville on a un hectare de murs verticaux. Ils peuvent héberger une biodiversité originale et variée du fait d’un paradoxe : ils procurent des conditions de vie extrêmes très sélectives tout en offrant une grande sécurité et une relative stabilité à leurs habitants par apport aux autres milieux urbains. L’Hypothèse des Falaises Urbaines (voir la chronique sur ce thème) suggère que les hommes construisent des bâtiments avec des murs en dur pour recréer leurs conditions originelles de vie dans les grottes et abri sous roche ; une partie de la biodiversité des milieux rocheux (rupicoles) autrefois habités par les premiers humains les aurait suivis dans leurs migrations et auraient adopté les murs (mais aussi les toits, les dallages et nombre d’autres formes de bâti) comme milieux de substitution. Tout ceci conduit donc à avoir un œil attentif sur cet élément urbain si présent mais trop souvent ignoré voire méprisé comme refuge potentiel d’une certaine biodiversité. Découvrons donc ces « oasis verticales de la biodiversité urbaine ».

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Dur, dur !

Les murs font partie des habitats urbains les plus extrêmes en termes de conditions de vie et, a priori hostiles à toute forme de vie : des surfaces verticales où il est souvent difficile de se fixer ou simplement de se poser ; une quasi absence d’éléments nutritifs pour la flore ; une sécheresse extrême et souvent durable ; selon l’exposition, des températures extrêmes elles aussi ; sans oublier les interventions humaines liées à l’entretien ou aux réfections. Cependant, leur colonisation potentielle par la flore et la faune s’améliore lentement avec le temps et la lente décomposition même très partielle et superficielle des substrats composant le mur (là encore sous réserve qu’il n’y ait pas une intervention de nettoiement ou de ravalement) et qui permet ainsi l’installation des premiers pionniers, annonciateurs d’une succession. On estime qu’il faut près d’un siècle avant qu’un mur ne devienne vraiment favorable à l’installation d’une certaine biodiversité avec des communautés d’êtres vivants relativement matures et stables ; c’est donc avant tout sur les ouvrages anciens ou dans les vieilles citadelles que l’on a des chances de voir s’installer une flore et une faune significatives. Encore faut-il concilier la présence du vivant avec la conservation historique de sites souvent culturels.

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La conservation de la flore spontanée des vieux murs des villages devrait devenir un argument supplémentaire pour le tourisme (Balazuc/Ardèche)

Cette colonisation va dépendre d’une foule de facteurs très subtils : la structure et les matériaux utilisés ; leur capacité à se décomposer ou pas ainsi que leur porosité ; leur couleur ; l’intensité du ruissellement selon la présence d’auvents ou d’avancées et d’autres murs ; les microclimats (dont l’exposition) ; la pollution atmosphérique ambiante ; la gestion humaine capitale ; la présence de microhabitats (fissures, joints, replats, corniches, creux, …) ; … On discerne ainsi l’extrême diversité de conditions qui peut résulter en croisant toutes ces conditions qui seront abordées plus en détail dans une autre chronique.

Fondation

Par nature, un mur est vierge de toute vie au moment de sa construction. Le peuplement ne peut se faire que par colonisation. Cependant, dès sa mise en place, des animaux vont utiliser ce nouvel espace comme site de repos ou de chasse depuis le sol avoisinant ou par la voie des airs. C’est le cas des « faucheux » (une espèce en expansion, l’opilion masqué, a fait l’objet d’une chronique), des papillons qui se chauffent volontiers sur les murs exposés (dont des espèces qui recherchent les murs comme l’ariane ou la mégère), les mouches, les lézards des murailles pour peu qu’il y ait des cachettes à proximité (voir les chroniques sur cette espèce) et divers oiseaux des villes qui peuvent être amenés à se percher au sommet du mur si le site s’y prête. Les pigeons bisets figurent parmi le plus nombreux notamment sur le grands édifices (voir la chronique sur le biset des villes). Ces animaux ne forment pas pour autant une communauté véritable liée au mur. Il faut attendre l’installation à demeure des premiers résidents fixes, les pionniers parmi les pionniers que sont les mousses et les lichens. Ces organismes n’ont pas de racines donc ils peuvent s’installer avant même que le processus de dégradation du substrat ne soit entamé. Les déjections éventuelles des visiteurs occasionnels (dont les oiseaux) vont d’ailleurs fournir les premiers éléments nutritifs (en même temps que la poussière et les éventuelles projections) propices à leur installation.

Pour les lichens (et dans une moindre mesure pour les mousses), on ne réalise pas à quel point les « rochers artificiels » que sont les murs constituent des sites majeurs pour leur dispersion dans l’espace notamment en plaine où les sites rocheux restent rares, voire très rares. Villes et villages représentent autant d’oasis relais pour nombre d’espèces saxicoles ou rupicoles liées aux rochers. Sur les murs anciens de la ville de Colchester en Angleterre, on a recensé 125 espèces de lichens dont des espèces rares à l’échelle nationale. Les cimetières avec les stèles et tombeaux verticaux de nature minérale très variée sont particulièrement riches en lichens.

Succession

L’installation des premières fougères et plantes à fleurs ne va commencer que très ponctuellement à la faveur de fissures, de discontinuités ou sur les replats et sommets de murs. La petite rue-de-muraille et le cétérach sont deux petites fougères spécialistes de cette colonisation des murs verticaux profitant de la moindre « faille ». Les coussinets de mousses peuvent servir de base d’atterrissage et de site de germination pour les graines des premières plantes à fleurs. L’installation directe dans des fissures ou au niveau des joints ne peut se faire que lorsque ceux-ci ont commencé à accumuler un peu de matière organique et un peu d’humidité.

La proximité d’autres murs anciens déjà colonisés va évidemment accélérer le processus notamment pour les fougères. Les murs proches des jardins ou d’espaces verts auront tendance à recevoir des colonisateurs venus de ces environnements proches. Sur les surfaces verticales sèches (exposées au sud), les colonisateurs seront plutôt des plantes xérophytes (adaptées à la sécheresse) telles que les orpins ou l’artichaut de muraille (une joubarbe naturalisée), des plantes « grasses ».

Sur les murs plus humides (avec des suintements ou exposés au nord ou ombragés par des arbres), les mousses vont prospérer et faciliter la progression des autres plantes. Les colonisatrices sont soit des annuelles, capables de boucler leur cycle en très peu de temps un peu comme en milieu désertique, soit au contraire des espèces vivaces formant des colonies qui s’étalent au fil du temps.

Dispersion

Pour s’installer, il faut d’abord arriver ! Lichens et champignons, algues microscopiques, cyanobactéries, mousses et fougères bénéficient d’un avantage indéniable avec leurs spores, cellules issues de la reproduction, microscopiques et capables de ce fait de voyager à très grande distance avec le moindre souffle de vent (voir la chronique sur la capillaire) ; les lichens disposent en plus d’éléments végétatifs pour se disperser tels que les isidies et les soralies qui sont des fragments du thalle. Cependant les immeubles se dressant de partout créent autant d’obstacles à la progression des spores fussent elles hyper légères.

Pour les plantes à fleurs, tout passe par les graines/fruits qui doivent atterrir sur le mur, y rester « collées » ou plaquées le temps de germer et trouver alors de quoi enfoncer leur racine et prélever des nutriments minéraux et un minimum d’eau. Une grande majorité des colonisatrices des murs se dispersent par le vent : on parle d’anémochorie (voir les chroniques sur l’exemple des érables ou de l’ailante). Les turbulences générées au long des murs facilitent le placage des graines ailées sur les murs. De nombreux arbres utilisent ce mode de dispersion et se retrouvent capables de s’installer à flancs de murs ou au sommet pourvu que leurs graines trouvent une fissure propice pour germer : bouleaux, paulownias, buddleias, érables, .. sont des spécialistes de telles colonisations insolites comme en témoignent les photos jointes ! Dans les pays tropicaux, comme à Hong-Kong, il existe des murs anciens qui portent jusqu’à trente espèces d’arbres dont des figuiers pouvant atteindre 9m de haut !

L’autre voie de dispersion fait appel aux agents de transport animaux : soit à partir des graines rejetées dans les déjections des oiseaux frugivores (comme par exemple les fraisiers sauvages qui s’installent au sommet de vieux murs), soit à partir de graines transportées par des fourmis qui fréquentent les murs comme terrain de chasse. Dans ce dernier cas, les graines sont munies d’un appendice huileux (élaïosome) nutritif dont s’emparent les fourmis ; lors du transport de la graine accrochée à cet appât vers la fourmilière, elle se détache et peut ainsi se retrouver plus loin dans une autre fissure. Enfin, il existe le cas particulier de la cymbalaire : les fruits de cette linaire des murs « plantent » eux-mêmes leurs graines dans une fissure (voir la chronique sur cette spécialiste des murs).

Etrange bestiaire

La flore bien visible ne doit pas faire oublier qu’il existe aussi une faune des murs très riche et surprenante. Il y a tous les visiteurs déjà mentionnés ci dessus mais il faut y ajouter toute une faune d’animaux minuscules étranges et dont l’observation demande souvent l’usage du microscope. Sur les murs de la ville de Zurich, en 1994, on a recensé dans les seules mousses près de 200 espèces animales : 47 espèces de nématodes (sortes de vers transparents) ; 13 espèces de tardigrades (des êtres en forme de mini-oursons apparentés aux arthropodes), des rotifères, des acariens, des collemboles (sortes d’insectes sauteurs) ! D’autres sont un peu plus gros mais souvent difficiles à voir car se cachant facilement : des araignées (dont les saltiques ou araignées sauteuses qui chassent à vue) , des cloportes, des mille-pattes, des petits carabes (coléoptères), des fourmis, des escargots dont des espèces particulières à ces milieux. Sur les touffes de plantes à fleurs, des herbivores viennent se nourrir : des chenilles, des punaises, des pucerons, … En Grande-Bretagne, près de la moitié des espèces de cloportes connues sont présentes au niveau des murs de même que 10% des espèces d’araignées. Des abeilles solitaires et des guêpes maçonnes s’installent souvent notamment sur les murs bien exposés, exploitant soit les trous déjà présents, soit en creusant des terriers dans les joints friables, soit en construisant des loges ; la grosse xylocope ou abeille charpentière exploite souvent les cavités des murs. Enfin, les murs constituent des sites d’hibernation très propices pour peu qu’ils recèlent des fissures ou des cavités : la sécheresse du milieu, la relative protection vis-à-vis des prédateurs habituels et la chaleur accumulée constituent autant d’avantages déterminants.

On voit donc que les murs peuvent offrir refuge et habitat pour une importante biodiversité, souvent originale et méconnue ; cette biodiversité présente jusqu’au cœur des villes gagnerait à être mise en valeur et favorisée par des mesures simples (surtout dans le « non-faire » !) ; ainsi, elle pourrait servir d’exemple riche pour retisser des liens entre citadins et nature et rétablir une certaine expérience de la nature, indispensable pour l’adhésion et le soutien du public urbain à la cause vitale de la conservation de la biodiversité à l’échelle de la planète et dans les autres milieux plus « lointains » ou étrangers à une majorité de citadins (voir la chronique sur le paradoxe du pigeon).

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La biodiversité des murs : un fil conducteur pour retisser des liens entre homme et nature. A suivre !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Walls and paved surfaces. Urban complexes with limited water and nutrients. C. Philip Wheater pp. 239-251. In The Routledge Handbook of Urban Ecology. Ed. par I. Douglas et al. Routledge Handbooks. 2011

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la flore des villes et villages
Page(s) : Guide des plantes des villes et villages
Retrouvez la faune des villes et villages
Page(s) : Le guide de la nature en ville