Cordyline australis

La culture des plantes horticoles ornementales, pour la plupart exotiques, semble profondément ancrée dans le mode de vie occidental : il suffit de constater le développement des jardineries ou des magazines ou sites dédiés au jardinage. Pour autant, je reste frappé par le désintérêt quasi général du grand public envers ces plantes ; les questions se limitent presque toujours aux aspects « d’objet à cultiver » : la plantation ? la taille ? les traitements contre les ravageurs (grrr !!!!) ? … Rien sur la plante elle-même en tant qu’être vivant ! On ne connaît souvent même pas son nom, ne serait ce que parce que les étiquettes sont fausses ou incomplètes !

En tant que naturaliste passionné de biodiversité, les plantes ornementales exotiques représentent pour moi une source d’émerveillement et d’intérêt permanent : Qui est cette plante ; où se classe t’elle ? Son pays d’origine ? Où y vit-elle ? Son mode de vie ? Ses liens avec les autres êtres vivants dans son environnement naturel ? Bref, regarder chaque plante comme un être vivant à part entière, certes « déraciné » et transplanté hors de son milieu naturel, mais qui a tant de choses à nous raconter. Ainsi, au hasard d’une rencontre récente en Vendée avec une splendide cordyline australe fleurie dans un jardin, j’ai entamé une recherche et découvert une foule de choses passionnantes sur cet arbuste originaire de Nouvelle-Zélande. Une belle occasion de voyager par procuration !

Faux palmier

Cordyline devant un palmier-chanvre de Chine : le feuillage est bien différent !

Ses surnoms français de chou palmiste ou anglais de cabbage-palm laissent entendre qu’il s’agirait d’un palmier dont elle a effectivement l’allure générale ; en Angleterre où elle est très plantée sur la côte sud, on la surnomme aussi Torquay palm du nom d’une station balnéaire. Mais partager le même look ne signifie pas forcément être apparenté, loin s’en faut ! En fait, la cordyline se situe dans une toute autre classe que les Arécales (palmiers) et ses plus proches parents partageant son aspect seraient plutôt les yuccas et les agaves (voir plus loin les parentés).

Néanmoins, comme les palmiers, elle possède un faux-tronc ou stipe non constitué de tissus ligneux (pas de vrai bois) ce qui ne l’empêche pas d’atteindre une taille imposante et de posséder aussi une écorce liégeuse persistante, fissurée. Pour autant, ce n’est pas un arbre au sens botanique ! Chez nous, sous le climat océanique de la côte atlantique (Bretagne, Vendée) qui lui convient bien, son tronc atteint en moyenne 2 à 4m de haut alors que dans son pays d’origine (voir ci-dessous), elle peut devenir imposante : jusqu’à 20m de haut avec un énorme tronc !

Les feuilles persistantes allongées en forme de glaive, vert clair à foncé, diffèrent nettement de celles des palmiers ; les nervures parallèles fines serrées nous rappellent qu’il s’agit d’une monocotylédone comme les graminées par exemple. Ces feuilles se concentrent au bout des « branches » ou du tronc en bouquets serrés ; d’abord dressées, elles tendent ensuite à se courber ou à se plier à la base et à retomber quand elles vieillissent ; au delà de 2 ans d’âge, soit elles tombent, soit elles se rabattent et finissent par former une sorte de « jupe » disgracieuse de feuilles sèches rigides. Dans son milieu naturel, cette jupe sert de protection contre le dessèchement, le froid et les attaques des herbivores.

Ramifié

« Jeunes » cordylines au tronc bien droit: on dirait vraiment des palmiers !

La jeune cordyline grandit vite au début (un mètre en 2 à 3 ans) et forme un tronc droit sans ramification ; elle peut ainsi atteindre plusieurs mètres de haut avec un tronc de 10 à 15cm de diamètre. La première floraison, très volumineuse, va modifier ce patron de croissance linéaire : à partir de cette hauteur atteinte à la première floraison, la tige se ramifie et donne des « branches » latérales. Chacune de ces nouvelles pousses grandit de manière égale pendant 2 à 3 ans avant de fleurir chacune à leur tour et de se ramifier de nouveau. Au début donc, la couronne reste symétrique et harmonieuse. Avec l’âge, certaines branches meurent et tombent ; d’autres grandissent moins vite ou fleurissent plus tard si bien que la silhouette se déséquilibre. A tout moment, si une blessure ou une cassure ou le gel interviennent, des bourgeons dormants superficiels juste en dessous du point affecté entrent en activité et relancent la ramification. Ainsi, dans son environnement naturel, la cordyline réagit bien aux accidents climatiques, aux incendies (et notamment lors des éruptions volcaniques propres à l’archipel) ou aux crues des rivières.

En 20 ans, elle atteint sa taille maximale, de 10 à 15m en moyenne en Nouvelle-Zélande ; ensuite, l’arbuste se contente de renouveler les tiges mortes. Ce « faux-arbre » vieillit assez rapidement vu la légèreté de ses tissus de soutien ; le tronc se creuse et se scinde souvent en deux. Il finit souvent par s’écrouler mais la plante ne meurt pas pour autant car elle a une botte secrète sous terre !

Cordyline ?

Le nom scientifique de Cordyline dérive de la racine kordyle qui signifie bosse, massue et renvoie aux parties souterraines développées dont le développement est très original. Une étude néo-zélandaise (1) s’est penchée sur cet aspect en vue d’utiliser cet arbuste pour fixer les berges des rivières. La plantule élabore classiquement sa tige verticale et quelques petites racines mais assez rapidement, un changement majeur intervient : un des bourgeons axillaires des premières feuilles proches du sol développe une pousse d’abord oblique qui s’enfonce verticalement dans le sol et se met à se développer très vite en profondeur : une tige souterraine ou rhizome, blanc et charnu avec des écailles charnues (feuilles modifiées). La cordyline a donc en fait une double tige avec un axe dressé, la tige aérienne et un axe souterrain vertical, le rhizome ! Cette plante a réussi ainsi à reconstituer un modèle propre aux grands arbres tout en étant une monocotylédone qui, normalement, n’a pas de racine principale en pivot ; ceci permet à la jeune plante de grandir très vite ! D’ailleurs, tout le long du tronc et des branches, des racines aériennes peuvent aussi apparaître, notamment sur une branche cassée tombée au sol, puisque tronc et rhizome sont en fait « identiques » avec la même assise génératrice.

La forme terminale en massue du rhizome a donc donné son nom à la plante ; il élabore des milliers de racines fines en forme de spaghettis qui se ramifient en touffes complexes. A l’âge de 25 ans, ces racines atteignent jusqu’à 2m de profondeur et s’étalent dans un rayon de 3m autour ; l’ensemble rhizome/racines forme une masse pesant plus de 50 kg et représente 40% de la biomasse totale de l’arbuste ! Celui-ci exploite donc une masse volumineuse de sol autour de lui tout en s’ancrant solidement car il habite souvent les bords de rivières soumises à de fortes variations de niveaux.Les vieux exemplaires renaissent ainsi à partir de ce rhizome puissant qui se ramifie et se scinde ; on finit par obtenir des massifs denses de troncs multiples peut-être vieux de plusieurs centaines ou milliers d’années !

Fleurs et fruits

La floraison est spectaculaire : des dizaines de grandes panicules composées d’épis de 0,6 à 1m de long étalés en tous sens, chargés chacun de centaines de petites fleurs blanc crème, posées directement sur les axes floraux. Comme la floraison ne concerne que les branches terminales (voir ci-dessus), l’arbuste fleuri se retrouve couronné de ses inflorescences qui éclosent dès la fin du printemps (sous nos climats) mais surtout en été. Les fleurs en boutons sont enveloppées dans des bractées roses du plus bel effet. Chaque fleur ne fait que 5 à 6mm de diamètre et se compose de 6 tépales libres étalés avec des étamines aussi longues ; au centre, on note les stigmates courts du pistil à trois branches. Cette floraison opulente et prolongée offre aux insectes une riche provende de nectar très attractive, complétée par le dégagement d’effluves très capiteux et agréables. Un régal pour les pollinisateurs mais aussi pour notre odorat !

Les fleurs laissent place à des milliers de petites baies blanches de 5 à 7mm de diamètre, d’abord vertes puis virant au blanc crème, contenant chacune 3 à 6 graines. Personnellement, je n’ai jamais vu ces fruits en Vendée où je croise régulièrement cette plante de plus en plus fréquente dans les jardins ; est-ce du au fait que la cordyline est auto-incompatible pour la pollinisation (3) et que les pieds plantés sont souvent très isolés les uns des autres ou au climat insuffisamment chaud pour permettre la maturation ou … à un manque d’attention de ma part ? Si des lecteurs en ont observé, je serais intéressé d’en avoir au moins une photo ! En Nouvelle-Zélande, des oiseaux frugivores locaux consomment volontiers ces fruits charnus, participant ainsi activement à la dispersion des graines rejetées dans les excréments. Les principaux agents de dispersion sont deux espèces de passereaux de la famille des méliphages (le tui, au plumage sombre orné d’une houppette de plumes blanches à la poitrine et le méliphage carilloneur) et un pigeon, le carpophage de Nouvelle-Zélande. Depuis l’arrivée des colons et les multiples introductions d’espèces européennes qui les ont accompagnés, ils doivent subir la concurrence sérieuse de nouveaux venus tels que le merle noir, l’étourneau sansonnet ou le moineau domestique ! La cordyline était donc en partie déjà prête au grand voyage vers l’Europe !

Enfin des baies de cordyline (mi septembre 2018)

NB : Depuis la rédaction de cette chronique, j’ai fini par observer cet automne 2018 des fruits en Vendée : la canicule y est-elle pour quelque chose ?

Parentés

Nous avons évoqué ce que « n’était pas» la cordyline : ni une brassicacée (choux), ni une arécacée (palmier) ; nous avons aussi vu qu’elle faisait partie des Monocotylédones (les « herbes ») même si elle a réussi à s’octroyer des attributs typiques des arbres non monocotylédones. Si on jette un œil à la bibliographie ci-dessous, on notera qu’elle y apparaît sous deux familles différentes : Asphodélacées et Astéliacées ; dans un article plus récent (4), elle est rattachée aux Laxmanniacées ! C’est que la classe dans laquelle elle se situe, les Asparagales, et plus particulièrement la grande famille des Asparagacées, ont subi au cours des dernières décennies, de profonds remaniements avec les progrès de la génétique moléculaire. Cependant, la situation n’est toujours pas claire si bien qu’on se contente pour l’instant de distinguer dans les Asparagacées six sous-familles dont celles des Lomandroidées où l’on place les cordylines. Dans les autres sous-familles de cet ensemble, on trouve des pantes ayant un peu le même port et un feuillage identique mais avec des fleurs bien différentes ; c’est le cas des yuccas, des Dracaenas (nom sous lequel avait été initialement décrite la cordyline) , des Dasylirions ou des nolines (dont le pied d’éléphant ou Beaucarnea). Ce port de faux-palmier est donc apparu plusieurs fois indépendamment au sein même de la famille des Asparagacées.

Ti kouka

La cordyline australe provient donc de Nouvelle-Zélande où elle est endémique. Là-bas, les Maoris, l’ethnie océanienne qui a colonisé l’archipel vers les années 1000, l’ont nommée Ti kouka : ti est le nom générique des cordylines (il en existe quatre autres espèces dans ce pays) ; kouka fait allusion à l’usage alimentaire de cette espèce. En effet, les jeunes feuilles tendres des pousses centrales sont consommées et offrent un goût de … chou paraît-il ! Mais attention, la cordyline n’a rien à voir avec la famille des choux ou brassicacées !

Par ailleurs, les Maoris avaient appris à cultiver cette espèce (2) pour récolter ses tiges souterraines charnues (rhizomes : voir ci-dessous) riches en substances de réserve de type fructane qui, par hydrolyse digestive, donne du fructose. Ils pratiquaient une taille des troncs à ras du sol tous les quatre ans (sur le mode de la pratique du recepage des taillis) pour récolter alors une partie des rhizomes.

Les feuilles riches en fibres servaient aussi à la confection de cordages et de lignes de pêche (les Maoris étaient d’excellents navigateurs), de paniers, de vêtements et de sandales. On retrouve les diverses parties de cet arbuste dans de nombreuses formes d’artisanat compte tenu de ces usages et de son importance dans le paysage côtier qu’il dominait de sa présence. Nombre de ti kouka vénérables (qui peuvent localement atteindre presque 20m de haut !) correspondent à des arbustes conservés par les Maoris en des lieux symboliques comme points de repère (à la manière des chênes ou des hêtres ou tilleuls par exemple chez nous) : carrefours de chemins, sites funéraires, sites de campements, …

Les colons l’ont aussi adopté à la fois pour bâtir (troncs comme poutres et feuilles comme chaume) ou pour délimiter les parcelles par des haies. Ils ont aussi appris à le consommer d’où le surnom populaire de cabbage-tree (arbre-chou ou chou en arbre).

Déclin

En Nouvelle-Zélande, la cordyline était un arbuste très répandu qui marquait de sa silhouette typique les paysages côtiers et de basse altitude (jusqu’à 1000m d’altitude), formant de véritables jungles touffues. Avec l’arrivée des colons et le développement d’une agriculture extensive, elle a subi une certaine régression à cause de son goût pour les sols fertiles associé à sa répartition en plaine, i.e. sur les terres les plus convoitées. A l’opposé, comme les jeunes plantules sont très exigeantes en lumière et ne supportent pas la concurrence d’une végétation haute et dense tant sue leur appareil souterrain n’a pas atteint son plein développement, la déforestation (déjà entamée par les Maoris) l’a quelque peu favorisée. Elle fréquente surtout les berges des cours d’eau, les bords des lacs, les bordures des marais, les lisières forestières jusque dans des milieux rocheux humides.

Ironie du sort : au moment où la cordyline connaît un succès croissant comme plante ornementale au point de se naturaliser dans certains pays comme en Californie aux U.S.A., elle subit dans sa patrie d’origine un déclin sensible lié à l’apparition d’une « maladie », une forme de dépérissement (5) qui touche cette plante sur tout l’archipel néo-zélandais où elle occupe aussi bien l’île du Nord que l’île du sud. Surnommé « déclin subi » induit en moins d’un an la quasi complète défoliation des cordylines touchées pouvant conduire à la mort si la plante ne réussit pas à repartir via son puissant appareil souterrain. Apparue dans les années 87/88, cette maladie a progressé régulièrement de 11% par an depuis. L’agent causal n’est pas connu avec certitude (sans doute un phytoplasme ?) mais semble entrer dans la plante via les touffes de feuilles. Il semblerait que cette maladie résulte en fait d’interactions complexes avec l’environnement : elle concerne surtout les individus âgés poussant dans des sites où la régénération naturelle n’est plus de mise du fait par exemple de l’abandon du pastoralisme.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Below‐ground morphology of Cordyline australis (New Zealand cabbage tree) and its suitability for river bank stabilisation, Alexander Czernin & Chris Phillips (2005) New Zealand Journal of Botany, 43:4, 851-864
  2. Preliminary investigation of the suitability of Cordyline australis (Asphodelaceae) as a crop for fructose production, W. Harris & J. D. Mann (1994) New Zealand Journal of Crop and Horticultural Science, 22:4, 439-451
  3. Self-incompatibility in Cordyline australis (Asteliaceae), Ross E. Beever & Stephanie L. Parkes (1996) New Zealand Journal of Botany, 34:1, 135-137
  4. PHYLOGENY OF THE ASPARAGALES BASED ON THREE PLASTID AND TWO MITOCHONDRIAL GENES. OLE SEBERG et al. American Journal of Botany 99(5): 875–889. 2012.
  5. SUDDEN DECLINE OF CABBAGE TREE (CORDYLINE AUSTRALIS): SEARCH FOR THE CAUSE. R.E. BEEVER et al. New Zealand Journal of Ecology (1996) 20(1): 53-68