Wollemia nobilis

La découverte très surprenante d’une nouvelle espèce de conifère dans un canyon reculé non loin de Sydney dans le sud-est de l’Australie en 1994, le Wollemia ou pin Wollemi, fut accompagnée d’un grand battage médiatique avec, comme il se doit dans de tels cas, des annonces sans nuances et surtout sans support scientifique du genre « un vrai dinosaure vivant ». Ce thème récurrent dans les médias du « fossile vivant » mérite qu’on s’y attarde car il est révélateur de la mauvaise compréhension de ce qu’est l’évolution.

Wollemia dans la serre du Muséum de Paris

Wollemia dans la serre du Muséum de Paris

Pourquoi Wollemia a t’il été traité de fossile vivant ?

Il se trouve que le Wollemia, espèce unique dans son genre, appartient à la famille des Araucariacées composée de deux autres genres actuels : Araucaria avec le célébrissime « désespoir des singes » (A. araucana) souvent planté dans les parcs , Agathis avec notamment le kauri (Agathis australis), ce conifère géant des forêts du nord de la Nouvelle-Zélande. Or, cette famille a une histoire très ancienne : apparue au Trias (début de l’ère Secondaire), elle connaît une diversité maximale au Jurassique en même temps que l’apogée des Dinosaures, puis un déclin à partir du Crétacé. Alors que la famille était représentée largement sur les deux hémisphères au cours du secondaire avec notamment de nombreux cônes fossiles connus dans l’Hémisphère nord, elle se localise progressivement dans l’Hémisphère sud. Voilà donc déjà un contexte favorable à l’idée reçue de fossile vivant : une famille ancienne sur le déclin et une espèce unique dans son genre. Et pourtant, le genre Homo ne compte plus actuellement qu’une seule espèce et il ne vient à personne l’idée (sacrilège !) de nous traiter de fossile vivant !

Mais l’argument choc qui a « retourné les esprits » est venu de la malencontreuse présentation à la presse du fossile d’un rameau de conifère connu sous le nom d’Agathis jurassica , daté du Jurassique, trouvé en Nouvelle Galles du Sud (là même où a été découvert le Wollemia) et qui se trouve ressembler fortement au feuillage de Wollemia. Cette coïncidence de lieux et cette simple ressemblance ont suffi pour faire du Wollemia un survivant du Jurassique et donc un dinosaure vivant ! Or, une ressemblance morphologique n’a jamais été une preuve de parenté : il existe de nombreux autres conifères actuels qui ont un feuillage avec le « look » du Wollemia si on ne regarde qu’un rameau ; d’ailleurs, quand le Wollemia fut découvert, des botanistes avaient pensé dans un premier temps (ils ne disposaient alors que d’échantillons partiels) qu’il s’agissait d’un Cephalotaxus introduit, genre de conifère qui appartient à une famille éloignée des Araucariacées. Dans les forêts tropicales, les botanistes savent que des centaines d’espèces d’arbres non apparentés présentent des feuillages très proches, résultat d’une convergence liée à un environnement très particulier. Les mouvements créationnistes n’ont pas manqué de s’emparer d’une si belle aubaine et d’échafauder une théorie pour démontrer qu’il s’agissait bien d’un survivant du …. Déluge !

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Cephalotaxus harringtonia, conifère de la famille des Taxacées, souvent planté dans les parcs et dont le feuillage rappelle celui de Wollemia

Wollemia est plus récent que Araucaria !

Une analyse génétique a montré que au sein de la famille des Araucariacées, Wollemia était très proche du genre Agathis et qu’ils partageaient un ancêtre commun que l’on situe entre – 55 et – 90 Millions d’années (1).

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Arbre de parentés de la famille des Araucariacées.

Le séquençage du génome du chloroplaste de Wollemia (4) pointe une très grande proximité avec une espèce asiatique, le « copal de Manille » (Agathis dammara). Si on poursuit l’analyse génétique avec d’autres membres de la famille, on se rend compte alors que Wollemia et Agathis forment un groupe plus récent que Araucaria. L’image de fossile du Jurassique s’estompe donc un peu !

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Kauri du Queensland (Agathis robusta). Serre du MNHN Paris. Le feuillage est très différent chez ce genre très proche parent du Wollemia.

Le registre fossile de Wollemia

Après sa découverte et l’observation de son pollen particulier, on a réalisé que ce dernier correspondait à un type de pollen fossile nommé Dilwynites et dont on trouve des traces dans des roches sédimentaires en Australie, en Antarctique et en Nouvelle-Zélande datées du turonien (fin du Crétacé), du début du Tertiaire, plus récemment du Miocène et les tous derniers datés de – 2 Millions d’années. On n’a pas, pour l’instant trouvé de fossile de feuilles ou de cônes pouvant se rattacher à Wollemia : certains fossiles lui ressemblent mais pour savoir s’il s’agit effectivement de membres proches il faudrait pouvoir étudier le revêtement des feuilles (la cuticule), seul critère connu pour les différencier ; or, sur les fossiles connus, celle-ci n’est pas conservée.

Mais attention, le pollen fossile « très ressemblant » appartient à des arbres de la lignée de Wollemia et non pas forcément à l’espèce trouvée en Australie : on ne peut pas distinguer les espèces entre elles à partir des pollens fossiles. Et c’est là que la notion de fossile vivant perd tout son sens : ce n’est pas parce que le Wollemia actuel vient d’une lignée ancienne qu’il est lui-même aussi ancien. On connait de nombreux exemples d’évolution, dans des lignées, sans changements extérieurs d’aspect ; pour autant, les espèces changent « intérieurement » au niveau de leur anatomie interne et surtout de leur physiologie, soumises aux variations climatiques et aux changements induits par les déplacements des continents. Il y a forcément eu « d’autres Wollemia » avant celui-ci mais, pour l’instant, on n’en a pas retrouvé la trace et, même si on retrouve, il sera probablement très difficile de savoir s’il s’agit d’une autre espèce.

Une « tête de primitif » ?

Un autre point qui a suscité ce vocable de fossile vivant c’est l’apparence soi-disant « primitive » du Wollemia. S’il existe un mot subjectif (dans ce contexte là en tout cas) c’est bien celui-ci ! Comment peut-on évaluer la « primitivité » d’une espèce en la regardant ? Il s’agit plutôt d’un point de vue occidental qui associe volontiers « très exotique » avec primitif. Il a un « look de conifère » assez classique en fait.

Sa parenté avec les Araucarias a du peser dans la balance ; en effet, dans la célèbre série de la BBC « Walking with dinosaurs », on a utilisé des décors actuels pour y faire évoluer des dinosaures virtuels ; or, l’épisode sur le Jurassique se passe dans une superbe forêt chilienne de Désespoir des singes (Araucaria araucana) au milieu desquels déambulent des Brachiosaures, des Diplodocus et des Stégosaures. Comme en plus le dit Araucaria possède un aspect très particulier bien connu, l’amalgame fossile vivant/dinosaures du Jurassique s’est d’autant cristallisé et a rejailli sur le cousin Wollemia.

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Désespoir-des-singes (Araucaria araucana) planté dans un parc urbain.

Là aussi, d’ailleurs, si on regarde l’ensemble des Araucarias, on découvre que parmi les 19 espèces actuelles, certaines ont une apparence très différente notamment toute une série d’espèces endémiques de Nouvelle-Calédonie : à les voir, personne n’aurait l’idée de penser qu’ils sont « primitifs ». ; or, ils sont très proches parents du précédent !

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Araucaria subulata originaire de Nouvelle-Caldéonie (Serre du MNHN-Paris) : un feuillage très différent du désespoir-des-singes !

Peu de temps après sa découverte, les premières analyses génétiques sur quelques marqueurs du Wollemia avaient conclu à une très faible diversité génétique : d’où l’image du « fossile à bout de souffle » qui n’attend plus que de disparaître ! Or, plus récemment (4), le séquençage du génome du chloroplaste de Wollemia a montré que bien au contraire, son génome présentait des originalités dont un nombre anormalement élevé de séquences répétitives. En plus, contrairement à ce qu’on avait pensé au début, la population relictuelle se reproduit bien par graines mais les plantules ont du mal à percer au milieu de la végétation environnante.

Le Wollemia présente de plus divers caractères originaux qui lui sont propres (3) : son port en troncs multiples associé à une capacité de régénération après une coupe (ou peut-être un incendie, phénomène très fréquent naturellement en Australie) ; ceci lui permettrait de percer la canopée des feuillus en plusieurs points et de surmonter la compétition. La position terminale des cônes sur les rameaux sommitaux les rend quasi inaccessibles ; d’ailleurs, pour en récolter, compte tenu de la topographie des lieux, il a fallu recourir à un …. hélicoptère. Efficace, le supposé primitif !

Une fois de plus, recourir à l’image du fossile vivant s’avère contre scientifique et véhicule de nombreuses représentations erronées à propos de l’évolution. Nous invitons le lecteur à relire le chapitre « Concepts flous et idées fausses » de G. Lecointre dans le Guide critique de l’évolution (voir ci-dessous).

BIBLIOGRAPHIE

  1. Relationships of the Wollemi Pine (Wollemia nobilis) and a molecular phylogeny of the Araucariaceae. S. Gilmore and K.D. Hill Telopea 7(3): 1997
  2. Wollemia nobilis, a new living Australian genus and species in the Araucariaceae. W.G. Jones, K.D. Hill and J.M. Allen. Telopea. Vol. 6 (2-3) : 173-176. 1995
  3. Sexual Reproduction and Early Plant Growth of the Wollemi Pine (Wollemia nobilis), a Rare and Threatened Australian Conifer. C. A. OFFORD, C. L. PORTER, P. F. MEAGHER and G. ERRINGTON. Annals of Botany 84: 1–9, 1999
.
  4. Complete Chloroplast Genome of the Wollemi Pine (Wollemia nobilis): Structure and Evolution. PLoS ONE 10(6). Yap J-YS, Rohner T, Greenfield A, Van Der Merwe M, McPherson H, Glenn W, et al. (2015)

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la notion de fossile vivant
Page(s) : 98-129 Guide critique de l’évolution