Orobanchaceae

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Orobanches du panicaut dans les dunes de Vendée. Bien qu’ayant servi de type pour nommer la famille des Orobanchacées, les orobanches ne donnent qu’une image très réduite de la réelle diversité de cette famille.

L’évolution vers le mode de vie parasitaire chez les plantes à fleurs s’est manifestée à de nombreuses reprises ; on dénombre au moins 4100 espèces de plantes parasites réparties dans 19 familles différentes dispersées dans le grand arbre phylogénétique des plantes à fleurs. Si on se limite à notre flore, le grand public ne connaît souvent de ces plantes que celles entièrement parasites (holoparasites) comme les cuscutes (voir les chroniques) et les orobanches (voir les chroniques), frappantes par leur absence de chlorophylle et leurs organes végétatifs très réduits ou bien le gui dont le port particulier trahit aisément le mode de vie. Par contre, la majorité ignore l’existence de tout un ensemble diversifié d’espèces qui extérieurement ne laissent rien paraître de leur mode de vie parasitaire : il faut aller sous terre pour découvrir que leurs racines possèdent des organes spécialisés (haustoria, pluriel de haustorium) soudés aux racines de plantes hôtes et par lesquels elles prélèvent une part plus ou moins importante de leur nourriture directement dans les vaisseaux des plantes hôtes où circulent les sèves. La grande majorité de ces espèces appartiennent à la famille des Orobanchacées, une famille de parasites très diversifiée et riche en enseignements sur l’évolution du parasitisme chez les plantes à fleurs.

Une famille modèle

La famille des Orobanchacées regroupe à l’échelle mondiale plus de 2000 espèces, réparties dans 90 genres, et présentes sur tous les continents sauf l’Antarctique. C’est de loin la famille de plantes parasites la plus riche en espèces parmi les plantes à fleurs. Au delà de cette grande diversité, l’autre fait marquant de cette famille, c’est la présence de pratiquement tous les intermédiaires entre des plantes non parasites (autotrophes) et des plantes entièrement parasites (holoparasites entièrement hétérotrophes). On trouve une majorité (88%) d’espèces hémiparasites qui conservent la chlorophylle et la capacité à réaliser la photosynthèse ; leur nutrition repose sur deux sources : une part tirée de la photosynthèse (comme des plantes vertes « normales ») et une part prélevée aux dépens de plantes hôtes via les haustoria, ces organes dédiés au parasitisme (voir l’introduction). Selon l’importance relative de ces deux parts, on a tous les intermédiaires entre les hémiparasites facultatives (capables de vivre sans parasiter d’hôte tout en le faisant régulièrement) et les hémiparasites obligatoires, incapables de vivre sans leur hôte. Le gui, qui appartient à une toute autre famille, celle des Santalacées, est un exemple bien connu d’hémiparasite obligatoire.

On a donc dans cette famille des Orobanchacées toute la gamme parasitaire représentée et une formidable opportunité pour comprendre les modalités de l’évolution vers le parasitisme. Nous allons en découvrir la richesse en nous cantonnant malheureusement aux seules espèces et genres de notre flore. Je dis bien malheureusement car la famille compte par ailleurs de nombreux autres représentants extraordinaires et particulièrement photogéniques, hauts en couleurs et très insolites ; mais faute de photos personnelles…

Six lignées différentes

Plusieurs analyses génétiques récentes permettent d’y voir plus clair au sein de cette riche famille où se côtoient donc des plantes d’aspect très différent et de briser bien des idées reçues. Ces analyses révèlent six grandes lignées qui se sont détachées successivement au cours de l’histoire évolutive de cette famille.

A la base de l’arbre de la famille apparaît un genre inattendu puisque … non-parasite ! Ce genre, Lindenbergia, regroupe 12 espèces asiatiques et africaines qui ressemblent superficiellement à des linaires jaunes. Il représente sans doute la lignée originelle à partir de laquelle s’est développé le mode de vie parasitaire présent chez tous les autres membres de la famille.

La grande surprise suivante vient de la répartition des genres holoparasites dépourvus de chlorophylle qui se retrouvent non pas regroupés sur une même lignée mais dispatchés dans trois lignées différentes ! Autrement dit, le passage hémiparasite/holoparasite s’est fait à trois reprises au cours de l’évolution de cette famille et non pas une seule fois. Ainsi, on pensait traditionnellement que les Lathrées, représentées en France par deux espèces assez rares mais spectaculaires, représentaient avec leurs feuilles écailleuses un stade intermédiaire juste avant les orobanches.

Or, l’analyse génétique place clairement les lathrées dans une autre lignée que celle des orobanches, celle qui contient de nombreux genres hémiparasites présents en France : rhinanthes, bartsies, euphraises, odontites, parentucellies et mélampyres ! Dans ce sous-ensemble largement dominé par des hémiparasites, les plus proches parents des lathrées sont les rhinanthes ou crêtes-de-coq ! Bien malin qui aurait pu détecter une telle parenté de visu !!

En résumé donc, le parasitisme est apparu ici une seule fois à partir d’une lignée non-parasite (Lindenbergia) pour donner une lignée hémiparasite à partir de laquelle la diversification s’est poursuivie, donnant lieu à trois reprises à une évolution vers le parasitisme « total » parmi les cinq lignées suivantes et successives.

Le mythe de la série linéaire

Dès 1920, I. P. Boeshore (1919-2005) avait émis l’idée d’inclure toutes les espèces hémiparasites jusqu’alors classées dans les Scrophulariacées (voir ci-dessous) aux côtés des Orobanches holoparasites. Les réunir ainsi le conduisait à imaginer une série évolutive continue avec des passages progressifs d’un intermédiaire à un autre. Il dégageait ainsi de grandes tendances menant, selon lui, du non parasite au parasite complet (holoparasite) en passant par les hémiparasites : élargissement et consolidation d’un haustorium ; simplification de l’inflorescence ; passage de quelques grosses graines par fruit à de très nombreuses graines minuscules ; …. Cette perception linéaire de l’évolution qui irait vers un but ultime s’inscrivait dans un raisonnement évolutif encore imprégné de finalisme. L’analyse génétique démolit complètement l’existence d’une telle série et apporte une vision buissonnante, ramifiée et réitérée des processus évolutifs. Tant pis pour « l’inconfort » apporté par cette nouvelle perspective qui oblige à recomposer complètement les familles et sous-familles et tant mieux pour le gain de sens que cela apporte à la vision historique de la biodiversité. Aller au-delà des apparences, n’est ce pas un beau cadeau de la science ?

Une famille recomposée et une famille éclatée

La famille des Orobanchacées telle que nous venons de la découvrir ne correspond plus guère à ce qu’elle était jusqu’à l’aube du 21ème siècle : on n’y regroupait jusqu’alors que des espèces holoparasites, essentiellement les orobanches (150 espèces), quelques genres proches come les Cistanches méditerranéennes et les Lathrées.

Les autres espèces hémiparasites étaient toutes regroupées dans la famille proche des Scrophulariacées auprès des Scrofulaires, Véroniques, Linaires et autres genres non-parasites. En 1981, A. Cronquist (1919-1992), un des grands noms de la botanique et de la classification des plantes à fleurs, avait déjà pressenti le problème d’une telle délimitation et écrivait : « Le voyage évolutif vers le parasitisme commence visiblement au sein des Scrophulariacées ; les Orobanchacées occupent simplement la maison au bout de la route ».

Dans la seconde moitié des années 1990, le verdict apporté par les analyses génétiques va bouleverser la conception de la famille des Scrophulariacées qui se voit amputée d’une grande partie des genres non parasites placés dans son ancienne version, tout en conservant son nom d’origine ; de nouvelles familles vont être créées à partir de ce dépeçage justifié comme la famille des Mimules (Phrymacées) celle du Paulownia (Paulowniacées) et les Plantaginacées (où se retrouvent désormais digitales, linaires, véroniques, …).

Mais, surtout, l’analyse génétique démontre de manière irréfutable (voir ci-dessus) que le parasitisme n’est apparu qu’une seule fois dans cette grande lignée et que toutes les espèces parasites, qu’elles soient hémi ou holoparasites doivent être regroupées ensemble pour refléter cette histoire évolutive. Ainsi est née la « nouvelle » famille des Orobanchacées enrichie de dizaines de nouveaux genres tous parasites. L’étude microscopique des grains de pollen et de leurs ornementations confirme d’ailleurs ce rapprochement pas évident au premier coup d’œil.

Dans cette nouvelle classification, les familles les plus proches parentes des Orobanchacées sont par ordre décroissant les Paulowniacées, puis les Phrymacées et plus loin dans le temps, les Lamiacées ou Labiées. On comprend ainsi mieux les ressemblances au niveau des fleurs de ces différentes fleurs avec notamment les corolles irrégulières à deux lèvres.

Des surprises à venir

Quand on s’intéresse de près aux genres holoparasites, on découvre que bien qu’ils n’aient plus de chlorophylle et presque plus de feuilles, ils possèdent toujours des chloroplastes (organites cellulaires servant de siège de la photosynthèse) et de l’ADN chloroplastique ! Ce dernier est par contre très modifié comparé à celui de genres non-parasites et a subi des réductions plus ou moins fortes mais différentes d’un genre à un autre. Ainsi, chez l’orobanche d’Egypte (Phelipanche aegyptiaca), entièrement dépourvue de chlorophylle, les gènes qui régulent la photosynthèse ne s’expriment plus mais par contre elle conserve une voie de synthèse de la chlorophylle ! On sait aussi que d’autres orobanchacées holoparasites conservent des gènes chloroplastiques fonctionnels normalement dédiés à la synthèse d’enzymes intervenant dans la photosynthèse : quelle est la fonction de ces gènes conservés alors que dans leur ancien rôle ils ne peuvent plus servir ? Servent-ils à de nouvelles fonctions « détournées » en lien avec les nouvelles contraintes de la vie parasitaire ? En tout cas, une fois de plus, cela montre que l’évolution s’est faite dans diverses directions d’une lignée à l’autre : toujours pas de ligne unique !

BIBLIOGRAPHIE

  1. The evolution of parasitism in Scrophulariaceae/Orobanchaceae : plastid gene sequences refute an evoltionnary transition series. N.D. Young ; K. E. Steiner ; C. W. de Pamphilis. Annals of the Missouri Botanical Garden, Vol. 86, n°4 ; 876-893 ; 1999
  2. PHYLOGENY AND ORIGINS OF HOLOPARASITISM IN OROBANCHACEAE. JOEL R. MCNEAL, JONATHAN R. BENNETT, ANDREA D WOLFE, AND SARAH MATHEWS. American Journal of Botany 100(5): 971–983. 2013.
  3. Transcriptomes of the Parasitic Plant Family Orobanchaceae Reveal Surprising Conservation of Chlorophyll Synthesis. Wickett et al. Current Biology 21, 2098–2104, December 20, 2011

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez des orobanches
Page(s) : 254-256 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Retrouvez les Phrymacées
Page(s) : 516-517 Guide des Fleurs du Jardin
Retrouvez le Paulownia
Page(s) : 172-173 Guide des fruits sauvages : Fruits secs