16/01/2021 De nombreuses études ont d’ores et déjà démontré l’importance de l’éducation à l’environnement auprès des très jeunes enfants et notamment la connaissance  de la biodiversité via l’identification des espèces (voir la chronique sur ce sujet) qui facilitent la mise en place d’attitudes pro-environnementales. Parmi les opportunités d’introduire cette éducation à l’environnement dans le cadre scolaire, l’observation et l’étude des oiseaux communs présents dans l’environnement immédiat de l’école restent très peu exploitées en dépit de leur potentiel considérable pour rapprocher les enfants de la vie animale et développer des attitudes et comportements favorables à l’environnement. Pour illustrer cette approche par les oiseaux, nous allons d’abord présenter un projet récemment mis en œuvre dans une classe de primaire en Auvergne autour du thème des nichoirs à oiseaux. Ensuite, nous exposerons les résultats d’une étude anglaise sur un projet du même type portant sur le nourrissage des oiseaux avec l’évaluation détaillée des impacts sur les enfants et les enseignants. 

Contextes

Dans les grandes villes (Parc Montsouris/Paris), les seuls « grands » espaces de nature sont les parcs urbains … quand il y en a pas trop loin du domicile !

On sait que les enfants, globalement, ont de moins en moins de contact avec la nature à cause d’une part de la prépondérance croissante de la vie en milieu urbain et d’autre part à cause du développement des nouvelles technologies de loisirs et la captation des enfants par les écrans qui diminue fortement le temps passé en extérieur. Or, c’est à l’extérieur, au contact direct avec la nature, que les enfants peuvent tisser des liens et des interactions avec leur environnement, ce qu’on appelle la connexion avec la nature (voir la chronique sur l’expérience de la nature).  On parle désormais d’une « extinction de l’expérience de la nature » (voir la chronique sur ce sujet) qui prive par ailleurs les enfants (et les adultes à venir) des bénéfices avérés qu’apportent ces interactions avec la nature pour leur santé et leur bien-être. On constate effectivement que les enfants n’ont le plus souvent que de très faibles compétences en matière d’identification des espèces, connaissance préalable indispensable pour apprécier réellement ce qu’est la biodiversité et son importance. 

L’éducation à l’environnement se propose donc de combattre ces carences en développant des activités tournées vers le contact avec le mode vivant. Ses objectifs peuvent se résumer dans cette définition : «  un processus d’apprentissage dans lequel les individus prennent conscience de leur environnement, acquièrent des connaissances, des compétences, des valeurs et des expériences, qui leur permettront ultérieurement d’agir (individuellement et collectivement) pour résoudre les problèmes environnementaux. » 

Pour développer une telle éducation dans le cadre des programmes scolaires, on s’appuie, entre autres, sur deux grands leviers pratiques. Privilégier l’environnement immédiat de l’école pour des raisons pratiques, de coût et surtout pour permettre des observations répétées, un suivi efficace et prolongé, et faire appréhender que la nature commence à notre porte, notamment pour les enfants issus de milieux défavorisés ou vivant dans des milieux très urbanisés. L’autre levier consiste à choisir des activités portant sur des « groupes » d’êtres vivants attractifs, faciles à observer, suscitant de fortes interactions ; les oiseaux communs des villes et villages constituent à cet égard un groupe au très fort potentiel charismatique et pourtant, curieusement, très peu « exploité » en milieu scolaire. 

Les mangeoires attirent des oiseaux très communs comme les moineaux domestiques

Les nichoirs de Malaazai 

Voici un exemple concret de projet réalisé par une association en milieu scolaire sur le thème des oiseaux locaux. En décembre 2020, trois intervenants bénévoles de la toute jeune association locale Mazaalai (voir site internet en bibliographie), engagée la protection de la faune sauvage, sont intervenus auprès de tous les élèves des quatre classes de l’école Primaire de Tallende (près de Clermont-Ferrand 63) pour les sensibiliser à l’observation et à la protection des oiseaux communs. 

Deux intervenants de Mazaalai (Cyrille Jallageas et Coline Rual) de l’association Mazaalai dans une des classes de Tallende avec leur professeure ; noter les plumes d’oiseaux à la disposition des enfants

L’opération a commencé par une séance en salle en deux temps. D’abord, des informations sur les oiseaux (en lien avec les programmes scolaires) : caractères scientifiques et place dans la classification du vivant ; observation du squelette, de plumes d’oiseaux distribuées à chaque élève ; un quizz de reconnaissance de dizaines d’oiseaux communs à partir de planches couleurs plastifiées et données à chaque enfant (afin qu’ils puissent la réutiliser chez eux pour identifier les oiseaux de leur environnement proche). Ensuite, l’atelier s’est prolongé par la construction de nichoirs à mésanges : les planches prédécoupées ont été assemblées à l’aide de visseuses électriques par les enfants eux-mêmes. Les 24 nichoirs ont été récupérés puis enduits par deux couches d’huile de lin par quelques bénévoles supplémentaires.

Dans une seconde séance pour chaque classe, on a procédé à la pose des nichoirs. Chaque groupe de 4-5 élèves a inscrit leurs prénoms sur un côté de chaque nichoir et un numéro a été inscrit dessous. Ainsi, tous les nichoirs installés dans la commune de Tallende sont répertoriés sur un plan à la disposition de l’Ecole et de la Mairie. Un nichoir par classe a été installé à proximité de l’École. Durant la phase d’installation, les enfants ont appris à discerner quelques chants : tourterelles turques, pigeons ramiers, mésanges bleues et charbonnières, merles noirs… Les 20 autres nichoirs sont installés dans des parcelles de la commune inventoriées comme pouvant accueillir un nichoir. Les enfants vont suivre les nichoirs de l’école et du village, soit encadrés par leurs enseignantes, soit hors temps scolaire avec d’autres adultes. Le projet va se poursuivre par ailleurs par la mise en place de mangeoires de nourrissage en février. L’équipe d’animateurs de Mazaalai espère que : « à travers cette action, les enfants de la commune de Tallende vont se sentir impliqués dans la protection de leur environnement proche et qu’ils vont en devenir aussi bien des spectateurs contemplatifs que des acteurs assidus. » 

La pose d’un nichoir dans l’enceinte de l’école : promesse de belles observations à venir au quotidien, sur place !

Copains des oiseaux 

Le vœu exprimé par les animateurs de Malaazai a des chances de se réaliser au vu des résultats d’une évaluation scientifique détaillée d’une opération analogue dans le sud de l’Angleterre baptisée « Copains des oiseaux ». En 2016, 8 écoles primaires (220 enfants de 7-10 ans) ont suivi un projet basé sur le nourrissage des oiseaux dans les écoles afin de valoriser et faire découvrir une partie de la biodiversité locale, les oiseaux communs. L’action s’est déroulée en trois temps : une séance en salle d’introduction à l’identification et l’écologie des oiseaux ; puis deux semaines de suivi des oiseaux locaux dans l’enceinte des écoles sans nourrissage ; enfin, quatre semaines de suivi des oiseaux avec installation et maintien de mangeoires de nourrissage. Le matériel était fourni et les enseignants avaient reçu une brève formation et des consignes d’utilisation. 

Le nourrissage des oiseaux : une activité motivante, facile à mettre en oeuvre et riche en enseignements

Un protocole a été mis en place afin de pouvoir évaluer de manière rigoureuse la perception de telles actions et les impacts sur les attitudes et comportements environnementaux des enfants et des enseignants. Lors de la première séance, les enfants ont répondu à un questionnaire initial portant sur l’identification des espèces communes locales et sur leurs attitudes envers ces oiseaux communs de leur environnement. A la fin du projet, un second questionnaire presque identique a permis de mesurer les changements intervenus après la mise en œuvre des activités. Par ailleurs, l’évaluation a concerné aussi les enseignants notamment sur leur perception d’un tel projet avec, en plus, un an plus tard, une nouvelle enquête pour évaluer les impacts à moyen terme sur leurs pratiques pédagogiques. 

Une des nombreuses espèces communes attirées par le nourrissage : les mésanges charbonnières

Pour l’identification, douze photos d’oiseaux communs ont été présentées aux enfants qui devaient donc nommer les espèces. Nous les présentons ci-dessous en images mais sans légendes, une occasion pour vous aussi de tester votre « niveau » en connaissance des oiseaux communs (réponses à la fin de la chronique) ! 

Déficit chronique 

Plus de 80% des enfants ont affirmé que le nombre d’oiseaux avait augmenté dans l’environnement de leur école du fait du nourrissage qu’ils avaient assuré ; et pourtant, le suivi qu’ils avaient eux-mêmes mis en place pendant les deux semaines précédant la phase de nourrissage démontre qu’il n’en est rien ! Ceci traduit bien en fait la méconnaissance globale de la biodiversité commune locale : avant de se focaliser sur les oiseaux via le nourrissage, les enfants ne remarquaient pas ou peu les oiseaux, d’où l’impression qu’ils avaient nettement augmenté : une preuve que l’éducation environnementale ouvre les yeux sur le monde vivant !  

Les questionnaires pré-projet sur l’identification confirment un niveau de connaissance faible sur les espèces communes locales très faciles à voir au quotidien : 45% seulement des enfants pouvaient nommer correctement au plus trois des douze espèces proposées ; si on prend en compte les réponses partiellement incorrectes, on descend à 30% ! Parmi les erreurs récurrentes en phase avant projet, on trouve des confusions avec des espèces exotiques médiatisées ou des dénominations très floues comme « pigeon » pour la tourterelle turque. 

Le niveau était globalement meilleur chez les filles, chez ceux dont les familles nourrissaient les oiseaux chez eux, qui avaient un animal domestique ou qui étaient impliqués ans des activités basées sur la nature en dehors de l’école. Il est clair que les enfants vivant dans une famille ayant un jardin et/ou s’intéressant un peu aux oiseaux (par exemple en les nourrissant) voient leur connaissance initiale de la nature améliorée : ils sont plus souvent en contact avec les oiseaux et/ou héritent d’informations transmises par leur famille.

Bénéfices nets 

Globalement, après la participation au projet, 88% des enfants améliore sensiblement son niveau de connaissance en identification des oiseaux communs. Ceci confirme que les activités en extérieur augmentent la rétention des connaissances ; comme le rappellent les auteurs de l’étude, « les enfants ont une formidable capacité pour apprendre sur la vie animale sauvage ». 

Dans le détail, plusieurs faits intéressants émergent. Les plus jeunes de la population étudiée (les 7-8 ans) sont ceux qui améliorent le plus leurs niveaux d’identification : ceci confirme l’extrême importance de cibler en priorité les « très jeunes » (y compris les maternelles) pour développer la connexion avec la nature. Autre enseignement très rassurant : même les enfants qui, du fait de leurs conditions sociodémographiques, avaient peu de contacts avec la nature améliorent eux aussi leur niveau d’identification. Ceci renforce l’importance de développer des projets locaux, dans les écoles, qui ont le plus de chances de toucher ces enfants. Troisième enseignement à propos des confusions initiales avec les espèces exotiques : elles disparaissent entièrement après la réalisation du projet. En dépit du « matraquage médiatique » qui souvent surreprésente les espèces et milieux exceptionnels et exotiques, une sensibilisation minimale suffit à contrebalancer ce biais. 

Le niveau en identification varie aussi selon les espèces. Ainsi, le rouge-gorge, espèce très importante dans la culture britannique (robin) et par ailleurs très reconnaissable, obtient de très bons scores même en phase initiale. On sait que les espèces qui portent dans leur nom un critère (notamment la couleur) permettant de les identifier sont plus facilement assimilées : comme par exemple le merle noir, le rouge-gorge, le verdier, … D’autres espèces par contre conservent des scores bas comme le moineau domestique pourtant très commun et au nom familier ; on peut supposer que cela vient de sa coloration assez uniforme (surtout les femelles) sans caractère coloré saillant. Ici, après le projet, même ces espèces voient leur score d’identification s’améliorer et, pour chaque classe, quelque soit le nombre d’espèces observées pendant le projet, la situation s’améliore, preuve que les activités directes (nourrissage et suivi) et indirectes (ateliers de présentation) facilitent les apprentissages. 

Transformations

Globalement, les attitudes positives  déclarées des enfants envers les oiseaux s’améliorent nettement après projet. On constate que les plus fortes améliorations concernent avant tout les aspects affectifs et émotionnels bien plus que les aspects utilitaires : d’où l’importance d’approches sensitives, mobilisant les capacités de création et l’implication personnelle. Les enfants qui étaient déjà en contact fréquent avec les oiseaux chez eux ont évidemment un niveau global initial en termes d’attitudes positives plus élevé et notamment chez les familles qui nourrissent des oiseaux : l’expérience de la nature facilite le développement d’attitudes positives envers l’environnement. Là encore, cette évolution des attitudes s’affirme encore plus chez les filles et les plus jeunes, confirmant que ces derniers sont encore plus réceptifs à l’éducation à l’environnement et ont donc plus de changer de faire bouger leurs comportements environnementaux par la suite. 

Les chercheurs ont exploré le lien entre la sympathie exprimée envers les oiseaux et le niveau de connaissances afin de vérifier la validité de l’adage «  on ne se soucie que de ce que l’on connaît bien». Les résultats montrent que ces deux facteurs sont corrélés positivement  même si les connaissances évoluent plus fortement que les attitudes. On pourrait douter de la pérennité des connaissances acquises compte tenu de la brève durée du projet (6 semaines) et de l’évaluation finale juste après la fin du nourrissage. Néanmoins, d’autres exemples et démarches montrent que le mélange des activités dont celle de responsabilité (ici, l’entretien des mangeoires et le suivi) induit un maintien des connaissances acquises et contribue mieux à faire changer les attitudes. Le point crucial reste que, ici, même les enfants auparavant très peu exposés à la nature ont évolué significativement dans leurs attitudes pro-environnementales. D’où, une fois de plus, l’intérêt de mettre en place des projets dans le cadre des écoles avec un suivi possible à long terme pour augmenter les opportunités de contact avec la nature locale. Ainsi, 39% des enfants touchés par ce projet se sont mis à observer les oiseaux en dehors de l’école. Le suivi des enseignants un an après montre aussi que plusieurs classes ont poursuivi ce projet ou l’ont prolongé en élargissant à d’autres aspects concernant les oiseaux. Pourtant, nombre d’entre eux ont rapporté des réticences ou évoqué des contraintes matérielles quant à mener ce genre d’activités. 

Si nous revenons au projet des nichoirs de Mazaalai exposé en introduction, on notera que l’essentiel de leur démarche inclut les critères décisifs mis en lumière par l’étude anglaise : un mélange d’activités pratiques en extérieur et en salle, un suivi dans le temps, une implication personnelle des élèves, le choix du  cadre local élargi au village où vivent la majorité des enfants, l’implication de bénévoles,… En plus, un projet basé sur a pose de nichoirs a un impact majeur sur les populations nicheuses d’oiseaux cavernicoles pour lesquelles le manque de cavités naturelles devient un facteur limitant.

Terminons avec la conclusion de l’étude anglaise : «  Finalement, les résultats fournissent un message d’espoir que, même dans un monde en voie d’urbanisation rapide, une initiative simple, relativement peu coûteuse et peu chronophage peut aider à réduire l’extinction de l’expérience de la nature et améliorer leur connexion avec celle-ci. »

NB En guise de clin d’œil final et de renvoi vers le titre de la chronique, je propose de revisiter un petit peu (sacrilège ?) les superbes paroles de la chanson de P. Perret :

Ouvrez, ouvrez la classe aux oiseaux.
Regardez-les s’envoler. C’est beau.
Les enfants, vous les voyez
Ces petits oiseaux en liberté,
Ouvrez votre esprit vers la liberté.

Réponses à l’identification des douze espèces : 1 mésange bleue ; 2 rouge-gorge familier ; 3 moineau domestique ; 4 pinson des arbres ; 5 verdier d’Europe ; 6 troglodyte mignon ; 7 merle noir ; 8 étourneau sansonnet ; 9 pie bavarde ; 10 tourterelle turque ; 11 corneille noire ; 12 mouette rieuse. 

Bibliographie

Association Mazaalai 

Birds in the playground: Evaluating the effectiveness of an urban environmental education project in enhancing school children’s awareness, knowledge and attitudes towards local wildlife. White RL, Eberstein K, Scott DM (2018) PLoS ONE 13(3): e0193993.