Apiaceae

La vaste famille des Ombellifères (ou Apiacées) comprend au moins de 3800 espèces à travers le monde. Contrairement à une idée reçue, il n’existe pas un air de famille propre à toutes les Ombellifères même si un grand nombre d’entre elles présentent comme caractère commun la présence d’inflorescences en ombelles à rayons. Ainsi, les panicauts (Eryngium) sont bien connus des botanistes pour être des Ombellifères très atypiques ressemblant fortement à des Composées par leurs inflorescences en capitules ; comme la majorité d’entre eux ont en plus un feuillage épineux, on les nomme en langage populaire des « chardons », terme populaire qui concerne surtout des Composées . Justement, au sein de la famille des Ombellifères, on distingue une sous-famille nommée Saniculoïdées qui regroupe avec les panicauts, les astrances (Astrantia) et les sanicles (Sanicula) pour ne citer que les genres existant en France.

Une équipe américaine (1) vient d’étudier la répartition de 23 caractères morphologiques au sein de cette sous-famille sur la base d’un arbre de parentés établi à partir de données génétiques. Ainsi, on peut suivre « à la trace » l’évolution de certains caractères dont ceux concernant les fleurs et inflorescences que nous avons seuls retenus ici.

Des ombelles transformées

L’étude indique que la sous-famille des Saniculoïdées s’est diversifiée à partir d’un ancêtre commun qui avait une ombelle composée (voir schéma) comme on la trouve dans la plus grande partie du reste de la famille ; celle-ci a connu une contraction, une condensation et s’est progressivement réduite en une ombelle simple, signature de cette sous-famille.

Une hypothèse émise dès les années 60-70 se trouve ainsi confirmée : l’ombelle simple résulterait de la réunion de plusieurs ombellules (voir schéma joint) dont les rayons et les bractées associés seraient plus ou moins régressés ou disparus, à partir du modèle ancestral d’ombelle composée.

Cette tendance s’est affirmée encore plus dans deux genres avec la formation d’un capitule, une « tête » regroupant des fleurs sessiles très serrées : les panicauts et les « fleurs-guirlandes » (Alepidea) d’Afrique (surtout d’Afrique du sud) qui ressemblent un peu à des Edelweiss. On pourrait donc penser que ces deux genres soient étroitement apparentés ; en fait, ce n’est pas le cas : l’évolution vers un capitule a eu lieu deux fois indépendamment. Une confirmation de cette dualité tient dans la structure différente du réceptacle (la partie qui porte les pièces florales) dans ces deux genres.

Néanmoins, on n’exclut pas que le caractère ancestral n’ait été en fait le stade capitule avec ensuite un retour au stade ombelle simple chez les sanicles et les astrances et sa poursuite chez les panicauts. Simplement, l’évolution à partir d’une ombelle simple semble un scénario plus probable (plus parcimonieux comme disent les systématiciens car demandant moins de changements).

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Arbre de parentés de la sous-famille des Saniculoïdées avec quelques-uns des caractères floraux apparus au cours de l’évolution.

Des pédicelles en régression

Classiquement chez un majorité d’ombellifères, les fleurs qui composent les ombellules se trouvent portées sur des pédicelles (des « queues ») plus ou moins allongées qui persistent sous les fruits et donnent cet aspect « de baleines de parapluie» aux ombelles et ombellules. Ici, dans cette sous-famille, ce caractère régresse fortement donnant des fleurs sessiles aux pédicelles pratiquement absents sauf quand il y a des fleurs mâles qui conservent alors un pédicelle. Mais dans ce cas, quand les fleurs mâles fanent (sans donner de fruits donc), l’ombelle reprend alors son aspect « ras » avec des fruits sans pédicelles.

Là encore, on observe un retour « en arrière » (une réversion en langage phylogénétique) dans la lignée des Astrances où les pédicelles fructifères redeviennent allongés ce qui leur donne ce superbe aspect de radiaires comme on les surnomme.

Un nouvel attribut

Un des traits typiques de la sous-famille est la présence d’une collerette de bractées très développée et voyante (un involucre) qui conduit à donner à l’ombelle contractée une apparence de fausse-fleur (pseudanthium) très typique et qui renforce le risque de confusion avec une Composée. Ce nouveau trait, au delà de son aspect esthétique (remarque purement anthropomorphique !) joue certainement un rôle attractif vis-à-vis des pollinisateurs ou de protection des inflorescences, ce qui expliquerait son développement dans toute la sous-famille. L’évolution de cet involucre coïncide avec la réduction et la condensation de l’ombelle.

Chez quelques espèces de panicauts ou de sanicles, ce caractère a secondairement régressé ; par ailleurs, on retrouve cette tendance vers un grand involucre ailleurs dans la famille comme chez certains buplèvres de notre flore dans l’autre sous-famille des Apioïdées où domine l’ombelle composée avec un involucre (ou pas) mais peu développé.

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Ombelle un peu contractée avec un involucre assez développé chez le buplèvre à feuilles rondes (Apioïdée).

Les panicauts sont vraiment à part

Déjà pointés comme originaux avec leurs capitules, les panicauts présentent un caractère unique dans la sous-famille : la présence d’une bractée par fleur qui compose le capitule (en plus des bractées qui composent l’involucre à la base du capitule). Il s’agit d’un caractère dérivé acquis secondairement puisque chez les autres genres ces bractées florales sont absentes, (y compris chez les Alepidea ce qui confirme que les capitules de ces derniers ne sont pas homologues de ceux des panicauts).

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Capitule de panicaut champêtre (ou chardon Roland) en coupe : noter les bractées florales blanches qui accompagnent les fleurs très serrées.

Une hypothèse émise en 1964 tente d’expliquer ce processus (mais sans avoir été confirmée par cette étude) : chaque fleur du capitule d’un panicaut serait en fait une ombellule réduite à une seule fleur ; dans cette hypothèse, les bractées florales des panicauts seraient équivalentes des bractées de l’involucre des autres membres de la sous-famille !

Des sexualités variées

L’ancêtre commun de la sous-famille des Saniculoïdées devait posséder dans ses inflorescences à la fois des fleurs uniquement mâles et des fleurs hermaphrodites (andromonoïque !), système sexuel répandu chez les ombellifères en général. On le retrouve chez la Sanicle d’Europe par exemple. Ce système a évolué vers des fleurs hermaphrodites à la fois chez les panicauts et les Alepidea de manière indépendante ; peut être que ce caractère hermaphrodite s’est trouvé contraint par l’évolution commune vers le capitule à ces deux lignées ?

Dans la lignée vers Arctopus, un genre de trois espèces endémiques d’Afrique du sud, on observe une évolution vers des sexes entièrement séparés (dioïque) : des pieds mâles et des pieds femelles qui portent des inflorescences complètement différentes !

Out of Africa ?

L’autre enseignement de cette étude concerne la localisation du centre de diversification de cette sous-famille. On se dirige assez clairement vers une origine sud-africaine comme en attestent les genres Arctopus ou Alepidea qui se situent vers la base de l’arbre. Ensuite, il y aurait une migration vers l’Asie (scénario le plus probable mais non confirmé) où se serait différencié le genre Astrantia. Après, d’autres migrations ont eu lieu au sein du groupe notamment chez les panicauts qui vont coloniser le Nouveau-Monde !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Morphology and biogeography of Apiaceae subfamily Saniculoideae as inferred by phylogenetic analysis of molecular data. Carolina I. Calviño, Susana G. Martínez, and Stephen R. Downie. American Journal of Botany 95(2): 196–214. 2008.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez des ombellifères ornementales
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