Classiquement, y compris dans les publications scientifiques, on tend à pratiquer un certain déterminisme à propos de la dispersion des fruits ou graines par le vent : si une graine ou un fruit possède un appendice plumeux, ou une ou des ailes ou si il/elle est de très petite taille, alors ils/elles sont forcément dispersés par le vent ; c’est ce que l’on appelle le syndrome de l’anémochorie ou dispersion par le vent. Ce type de raisonnement reste très prégnant mais ne résiste pas une analyse poussée de la multiplicité des exemples réels. C’est ce qu’ont démontré des chercheurs allemands (1) qui ont élaboré un modèle informatique pour évaluer le potentiel de dispersion par le vent d’un fruit ou d’une graine et le comparer à ce qu’on en dit classiquement par le raisonnement du syndrome.

Nous parlerons de fruits/graines pour englober la diversité des situations selon les espèces (les scientifiques utilisent le terme de diaspores) : ou ce sont des graines qui sont libérées ( ex : les épilobes aux graines plumeuses) ou ce sont des fruits secs ne contenant souvent qu’une seule graine (des akènes comme chez le pissenlit ou les samares des érables).

Le modèle pappus

Tel est le nom donné par l’équipe à leur modèle (clin d’œil au nom de l’appendice plumeux porté par de nombreux fruits/graines comme ceux du pissenlit). Le modèle intègre les caractéristiques des fruits/graines, des scénarios météorologiques différents, des topographies différentes, la hauteur de départ des fruits/graines et la vitesse de chute ; il calcule dans chaque situation par simulation la proportion de fruits/graines qui réussissent à franchir une distance de référence fixée à 100m. Le modèle fait la moyenne des simulations et calcule pour chaque espèce un indice moyen de dispersion par le vent (que nous appellerons I.D.V.). 335 espèces européennes (des arbres, des arbustes, des plantes basses, …) désignées a priori comme étant des espèces anémochores (dispersées par le vent) ont ainsi été testées et comparées.

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Fruits secs du pissenlit surmontés d’un pappus en parachute.

L’importance des conditions météorologiques

Les résultats obtenus avec ce modèle démontent une idée préconçue qui veut que le vent fort soit idéal pour la dispersion à grande distance : par temps instable (chaud et sec) avec un faible vent horizontal, le pourcentage de graines/fruits qui dépassent la barre des 100m est nettement supérieur à celui observé par temps très agité avec du vent fort ou des bourrasques.

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Massif d’épilobe à feuilles étroites libérant ses graines plumeuses par un temps chaud et sec avec un vent latéral moyen : il « neige » en plein été !

Le temps instable favorise les courants d’air chauds ascendants et les turbulences thermiques qui permettent à des graines/fruits à faible vitesse de chute, partant de plantes basses, de monter et d’être entraînés ainsi par un faible vent horizontal. Au contraire, un fort vent (souvent associé en plus à de la pluie) rabat de telles graines/fruits au sol et anéantit la possibilité d’un transport à longue distance. De plus, une bonne partie de ces plantes ne libèrent leurs graines/fruits que par temps très sec à cause de leurs appendices plumeux (pappus) sensibles à l’hygrométrie ; ainsi, par temps chaud et sec, on peut observer le « décollage » léger des fruits plumeux des cirses des champs : un léger souffle suffit alors à les entraîner doucement au loin !

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Colonie de Cirse des champs qui libère ses fruits plumeux en masses cotonneuses qui s’envolent doucement avec les courants d’air chaud.

Le temps agité venteux n’est favorable qu’aux espèces hautes (des arbres) avec des fruits ailés (et en plus souvent en massifs boisés peu favorables aux ascendances thermiques).

Des critères explicatifs variés

La seule forme des graines ni les conditions météorologiques ne suffisent à expliquer ce qui se passe en réalité ; d’autres critères entrent en jeu.

Les Indices de Dispersion par le Vent des fruits du tilleul à grandes feuilles (Tilia platyphyllos) et de ceux de la verge d’or du Canada (Solidago canadensis) sont identiques (valeur élevée de 7) pour franchir une distance de 100m ; par contre, si on place la barre à franchir à 800m, l’indice des fruits du tilleul passent à 4 et celui des fruits de la verge d’or à 6 ; cette dernière espèce bénéficie de la faible vitesse de chute de ses fruits plumeux très légers qui peuvent être facilement soulevés par temps chaud alors que les fruits lourds du tilleul ont une vitesse de chute rapide (bien que nettement ailés) même s’ils partent de bien plus haut.

Le nombre de graines/fruits produits change aussi beaucoup la donne. Dans des pelouses sèches très isolées en Allemagne, on a comparé deux espèces : une fétuque (une graminée) aux fruits très peu différenciés et une biscutelle aux graines ailées avec un I.D.V. supérieur. Pourtant si on compare la production de fruits au niveau de la population entière, les chiffres parlent d’eux mêmes : les fétuques libèrent plus de 3 500 000 fruits contre seulement 16 000 pour les biscutelles !

Peut-on déduire la capacité de dispersion par le vent d’après la forme ?

Parmi les 335 espèces testées, l’étude a mis en avant un lot de 17 espèces dont les graines/fruits ne présentaient aucune différenciation apte à favoriser un transport par le vent et qui pourtant entrent bien dans la catégorie par leur I.D.V. C’est le cas de coquelicots dont les petites graines se trouvent projetées hors des capsules à pores (principe de la poivrière) quand le vent les agite (mécanisme nommé sémachorie).

Même si on enlève ces espèces, il reste encore 35% des espèces avec un I.D.V. bas (inférieur ou égal à 3) alors qu’elles sont soit dotées d’un pappus plumeux (10%), d’ailes (30%) ou de graines très petites (60%). Autrement dit, un fort contingent d’espèces présentant le syndrome supposé d’anémochorie n’ont qu’un très faible potentiel de dispersion par le vent. L’explication tient sans doute aux autres critères non pris en compte dans ce classement a priori : hauteur de libération des fruits/graines, masse et taille des fruits/graines (et donc vitesse de chute) , ….

Des espèces classées habituellement comme hautement adaptées à la dispersion par le vent s’avèrent très peu performantes dans la réalité. Ainsi, l’arnica (Arnica montana) produit des fruits surmontés d’un papous plumeux typique de nombreuses Astéracées, organe classiquement supposé procurer une capacité à se disperser facilement au-delà de 100m ; or, une étude de terrain a montré que la distance de dispersion réelle se situait en-dessous de …. 10m !

L’anémone pulsatille (Anemone pulsatilla) est souvent citée comme modèle de plante anémochore (l’herbe au vent !) avec ses fruits secs surmontés d’un long appendice plumeux ; or, si dans le modèle on entre les conditions météorologiques réelles de son environnement de pelouses sèches, l’I.D.V. ne dépasse pas 3 et tend même vers 0 ! Et pourtant, ses fruits très légers ont une vitesse de chute très basse (1,6m/s) mais le port très bas de cette espèce et la structure de l’environnement changent tout. Ceci explique notamment la rareté des recolonisations de cette espèce aux milieux de vie très dispersés.

Moralité : il vaut mieux éviter de faire des prédictions d’après la seule forme extérieure des fruits/graines pour inférer leur mode de dispersion ; il s’agit d’un raisonnement déterministe qui ne résiste pas à la complexité des faits et de la diversité des situations et des contextes !

BIBLIOGRAPHIE

  1. ASSESSMENT OF WIND DISPERSAL POTENTIAL IN PLANT SPECIES. OLIVER TACKENBERG, PETER POSCHLOD AND SUSANNE BONN. Ecological Monographs, 73(2), 2003, pp. 191–205

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les arbres à fruits ailés
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