Pholadidae

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Les pholades sont des mollusques bivalves marins qui partagent un mode de vie de perceur de substrats durs, soit des roches, soit du bois. Plus d’une dizaine d’espèces habite les côtes atlantiques avec les foreurs de roches qui creusent dans les roches relativement tendres des galeries assez profondes avec une entrée étroite qui s ‘élargit à intérieur. L’animal vit entièrement enfermé dans sa galerie, à l’abri des prédateurs, et se nourrit grâce à ses siphons qui dépassent à l’extérieur à marée haute et peuvent aspirer l’eau et les particules en suspension qu’elle contient. ces mollusques creusent avec la partie avant des valves par un lent mouvement de rotation qui assure la corrosion de la roche. souvent, le trou creusé s’élargit vers le fond car l’animal a grandi entre temps ! Certains scientifiques pensent que ces mollusques secrèteraient en plus une substance chimique acide corrosive mais cela n’est pas roulé et doit varier selon les genres et les familles ; cela expliquerait pourquoi les coquilles des pholades, relativement fines, ne montrent pas de traces d’usure ?

Notons d’emblée qu’il existe d’autres foreurs dans d’autres familles de bivalves (par exemple la datte de mer en Méditerranée de la famille des moules) et aussi dans d’autres groupes non apparentés (par exemple les vers Polydora ou certains oursins).

Une activité intense

Peu visibles du fait de ce mode de vie caché, les pholades n’en restent pas moins dominantes sur les côtes rocheuses à base de roches tendres (au sens géologique) comme des argiles, des calcaires ou de la craie. Elles vivent dans la zone de balancement des marées jusqu’à la limite supérieure de celle-ci. Les tempêtes déposent sur les cordons de galets des dalles ou des blocs perforés par les pholades et ainsi faciles à observer et qui témoignent de cette activité assez spectaculaire. Le forage des pholades entraîne une érosion naturelle « biologique » des roches : on a pu estimer à 40% environ la perte de volume d’une couche superficielle de 8cm de craie sur 12 ans ; une activité donc loin d’être négligeable ! On peut donc se demander quel est l’impact de cette activité sur l’habitat rocheux occupé et sur la biodiversité.

Une étude menée sur la côte sud de l’Angleterre a exploré ce problème en prenant comme repère la richesse spécifique des sites étudiés, i.e. le nombre d’espèces présentes. Sur six sites sélectionnés pour leurs roches tendres mais de dureté différente selon leur origine géologique (de la craie ou des argiles), les chercheurs ont mesuré la dureté des roches, effectué des relevés de profils topographiques très précis de sites occupés ou non par des pholades et analysé la complexité des galeries creusées par le biais de la géométrie fractale qui permet de prendre en compte la 3D, le volume occupé dans la roche par ces galeries. La biodiversité est évaluée en recensant les espèces présentes juste autour des galeries occupées par des pholades vivantes ou dans les galeries abandonnées ; deux autres supports naturels, les crevasses ou fissures et les surfaces rocheuses compactés ont aussi été suivies pour comparer avec les micro-habitats créés par l’activité des pholades.

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Sur ce cordon de dalles calcaires accumulées par les tempêtes, une dalle sur deux est perforée par des pholades. La Tranche sur mer (Vendée)

Des oasis de biodiversité

Les profils topographiques effectués montrent que le forage des pholades modifie nettement la topographie des roches et bouleverse ainsi la structure fine de cet habitat, et ce encore plus fortement sur les roches les plus dures ; les galeries augmentent le volume et la surface de roche disponibles pour une occupation éventuelle par d’autres organismes.

Quand les galeries se trouvent occupées par des pholades vivantes, il n’y a pratiquement pas d’êtres vivants installés juste à côté ; sur les sites étudiés à marée basse lors des grandes marées de printemps, 70 à 80 % des galeries étaient effectivement occupées.

Pour les galeries abandonnées, une majorité se retrouve vide ou remplie de sédiment mais 20% d’entre elles se voient occupées par des espèces nouvelles. La présence de ces galeries vides augmente nettement la richesse spécifique ; l’augmentation est la plus forte pour des roches de dureté intermédiaire ; les galeries moyennes (Entrée de 8 à 12mm) à grandes (plus de 14mm) sont les plus utilisées. Si on compare les assemblages d’espèces trouvées dans ces galeries avec ceux présents dans les creux « naturels » à proximité (des fissures ou crevasses) ou sur des surfaces nues de roches, on constate qu’ils sont nettement différents : les pholades modifient donc la composition de la biodiversité environnante quantitativement et qualitativement.

Qui peut dire merci aux pholades ?

Parmi les espèces les plus observées dans les galeries vides creusées par des pholades, on peut citer des escargots de mer tels que les bigorneaux (Littorina littorea), des patelles (Patella vulgata), des gibbules (Gibulla cineraria), des vers, des algues encroûtantes et des crabes tels que Porcellana platycheles, ce petit crabe très poilu et aplati. Ensuite, on rencontre plus rarement des anémones de mer comme Actinia equinea, des pourpres (Nucella lapillus), des vers tubicoles comme Potamoceros lamarckii, des petites moules, ….

Une analyse de cette faune associée montre qu’une majorité des espèces présentes sont mobiles (vagiles) et non fixées (sessiles). La friabilité forte des substrats étudiés (notamment les argiles) qui rend cet habitat fragile dans la durée explique peut-être cette incapacité des formes sessiles à s’installer durablement. Le fait que les galeries les plus grandes soient occupées préférentiellement pourrait résulter en fait de la taille moyenne des hôtes potentiels. Enfin, la profondeur des galeries (8cm en moyenne) assure à marée basse un maintien d’une certaine humidité plus efficace que dans les crevasses ou fissures naturelles qui se dessèchent rapidement.

Un effet en trompe l’œil ?

On pourrait arguer que cette augmentation de la biodiversité ne résulte en fait que de l’augmentation de la surface et du volume créés par ces galeries nombreuses. Or, en présence de galeries de pholades, l’espacement des espèces (la distance entre elles sur le terrain) se trouve 30 à 35% plus faible que ne le laisserait prévoir l’augmentation de surface induite. Autrement dit, l’effet « augmentation de la richesse en espèces » vient avant tout de la perturbation créée par le forage des galeries qui modifient la topographie des roches.

Donc, clairement, les pholades jouent un rôle majeur dans la vie de l’estran rocheux à base de roches tendres (la zone de balancement des marées) en modifiant constamment la topographie de l’habitat et en créant des microsites favorables à l’installation d’animaux mobiles au moins. On peut donc les classer parmi ce qu’on appelle les organismes ingénieurs d’écosystèmes, capables de modifier leur habitat (ici par leur activité) et d’affecter la répartition et l’abondance des autres espèces (à l’instar par exemple des castors qui élaborent des barrages dans les forêts boréales). Elles impactent aussi par ailleurs l’érosion de la côte de roches tendres ce qui pourrait être considéré comme un aspect négatif par exemple pour les falaises de craie dont 57% d’entre elles se trouvent concentrées sur les côtes britanniques. Leur présence n’en reste pas moins essentielle au maintien de la biodiversité !

N.B. Pour terminer par une note moins sérieuse, remarquons que les galets forés par les pholades et usés ensuite par les caprices de l’érosion par les vagues peuvent devenir de beaux objets à contempler sur la plage !

Gérard GUILLOT ; zoom-nature.fr

BIBLIOGRAPHIE

Piddocks (Mollusca: Bivalvia: Pholadidae) increase topographical complexity and species diversity in the intertidal. Eunice H. Pinn, R. C. Thompson, S. J. Hawkins. MARINE ECOLOGY PROGRESS SERIES. Vol. 355: 173–182, 2008