Pinus sylvestris

pindis-boisnatpano

Bosquet naturel de pins sylvestres implanté dans une estive en Auvergne

Parmi les essences forestières capables de conquérir des espaces ouverts tels que des terres agricoles récemment abandonnées , le pin sylvestre figure en tête dans les milieux de moyenne montagne et plutôt secs sur les versants chauds de préférence. Cette capacité à coloniser les vastes espaces ouverts s’est et se manifeste notamment dans des territoires en nette déprise agricole, que ce soit pour l’élevage ou les cultures, telles que le Massif central avec l’Auvergne ou les Grands Causses. Sur ces derniers, la progression des pins depuis les années 1960 avec la diminution progressive du pâturage ovin, est telle qu’elle met en péril la biodiversité des pelouses calcicoles autrefois largement parcourues et entretenues par le pâturage ovin. Venus des vallées et du rebord du plateau, les pins envahissent progressivement et de plus en plus les vastes étendues du plateau autrefois entièrement ouvertes sous forme de parcours à moutons.

Devant cette évolution paysagère très marquée, des programmes d’études ont été initiés et nous éclairent sur la manière dont les pins sylvestres réussissent à ce point à conquérir ces espaces aussi vite ; par ailleurs, comme le pin sylvestre représente une essence forestière majeure dans de nombreux pays, diverses autres études portant notamment sur la production de graines pour les semis complètent cette compréhension du mode de dispersion dans l’espace du pin sylvestre.

Cônes, graines et ailes

pindis-grpano

La dispersion se fait par les graines produites dans les cônes femelles ou « pommes de pin ». Ces graines claires et dures, pourvues chacune d’une aile membraneuse ovale, se trouvent groupées par deux entre les écailles ligneuses des cônes très serrées. A maturité, les écailles sèchent et s’écartent progressivement libérant ainsi les graines qui tombent en tourbillonnant ; elles peuvent alors se faire emporter au cours de cette chute par le moindre vent compte tenu de leur légèreté et de leur prise relative au vent. On qualifie ces graines d’anémochores, i.e. transportées et dispersées par le vent (voir l’exemple des samares des érables). Pour un arbre donné, l’ensemble de la surface au sol sur laquelle vont finir par atterrir toutes les graines libérées correspond à ce qu’on appelle une pluie de graines (seed shadow en anglo-saxon).

Cette libération des graines a lieu au printemps d’avril jusqu’en mai. Les graines peuvent ensuite germer à la faveur des pluies de printemps et du réchauffement. La majorité des graines, pour un arbre donné, se trouvent libérées en deux à trois semaines. Autrement dit, « la fenêtre de tir du lâcher de graines » reste assez courte et à se produit un moment de l’année où la probabilité d’épisodes de vents violents reste assez limitée. Tombant d’une hauteur moyenne de 5 mètres, les graines en chute libre atteignent une vitesse terminale de 0,78m/s. Des études menées en Suède (1) ont permis d’évaluer les quantités de graines ainsi dispersées : selon la densité des peuplements les fourchettes de production varient de 200 000 à 1,6 million/hectare par an à 430 000 à 2,4 millions par hectare. L’expression « pluie de graines » prend ici tout son sens !

La queue de la pluie !

En recherchant les jeunes plants issus de cette pluie de graines on peut construire une courbe des distances parcourues depuis les arbres mères et ainsi évaluer le recrutement réel (« les graines qui ont réussi ») selon la distance aux semenciers. Sous la canopée de ceux-ci, le recrutement est nul : des germinations y ont bien lieu mais les jeunes plants ne survivent pas au delà de quatre ans, notamment sous les pins isolés qui ont une couronne dense et bien développée et des branches basses qui interceptent la lumière. La grande majorité des jeunes plants se situent dans un rayon de 15 mètres autour de la canopée de chaque arbre et tout particulièrement dans les quelques mètres suivant la bord extérieur de celle-ci : c’est là qu’on trouve des paquets de jeunes plants très serrés. Au delà des 15 mètres, on ne trouve plus que de rares ou très rares plants pouvant se situer à quelques centaines de mètres, voire plus d’un kilomètre de l’arbre parent.

On voit donc se dessiner une courbe de dispersion avec une écrasante majorité de semis très proches des arbres-mères (une cloche sur la courbe) suivie d’une longue, très longue, traîne ou queue de pluie avec seulement quelques semis. Ce genre de courbe de dispersion dite leptokurtique (de leptos, mince et curtos, courbe) est caractéristique de tous les arbres anémochores et résulte de deux types d’évènements :

– des dispersions massives à courte distance, issue de la pluie de graines par temps calme

– des dispersions ponctuelles, rares à rarissimes, à longue ou très longue distance, à l’occasion de coups de vent très turbulents avec des courants ascendants capables de soulever les graines en chute libre et de les emporter sur de grandes distances.

Dit ainsi, on pense de suite que ces dernières sont négligeables au regard des premières ; or, la suite de l’histoire montre tout le contraire : ces quelques avant-gardistes nés de « coups de chance » déterminent pour une bonne part la progression générale de la dispersion !

Des éclaireurs à l’avant

Les auteurs des études menées sur le causse Méjean (2 et 3) avaient noté en analysant les photos aériennes depuis les années 1960 deux composantes dans la progression des pins :

– une avancée frontale depuis les lisières de boisements déjà existants, sur quelques mètres en avant

– loin devant ces boisements, au cœur des espaces ouverts, des arbres isolés ou de petits bouquets qui finissaient par se faire engloutir assez rapidement par la première vague et par les rejetons qu’ils engendrent autour d’eux.

Cette répartition correspond au modèle classique dit stratifié combinant une dispersion à courte distance, frontale et massive, dite par diffusion et une dispersion très clairsemée à longue distance, loin du front, dite par sauts. Les arbres ou mini bosquets isolés loin en avant du front (remarquez le langage guerrier bien approprié !) constituent autant de nouveaux noyaux très actifs de dispersion qui accélèrent considérablement la progression générale, portant sans cesse le front plus en avant et à un rythme bien plus rapide. Cet aspect capital avait été ignoré au début des modélisations sur la dispersion des arbres et produisait des vitesses de progression qui ne correspondaient pas aux valeurs réellement observées.

Focalisons nous donc un peu plus sur ces fameux arbres isolés et voyons s’ils se comportent comme ceux des massifs boisés d’où part la vague de progression.

Des solitaires pleins d’avenir

Une autre étude menée sur les Causses (3) s’est penchée sur la variabilité de la reproduction des pins sylvestres notamment selon leur position. Les pins isolés au milieu des pelouses reçoivent de la lumière de tous côtés et de ce fait produisent plus de cônes et ceux-ci se trouvent mieux répartis sur l’ensemble de la couronne ; la différence avec des arbres âgés au cœur de boisements denses peut atteindre un facteur 14 en terme de production de cônes ! Cet effet est par ailleurs connu dans les pépinières de production de graines où les éclaircies de peuplement favorisent la production de graines.

Par contre, les pins produisent des graines de même taille en moyenne qu’ils soient isolés ou en massifs denses. Mais, sur les arbres isolés, plus les cônes se trouvent en hauteur, plus les graines sont lourdes (avec plus de chances de survie) et plus leurs ailes sont grandes (avec plus de chances d’aller loin) ; cet effet ne se manifeste pas sur les arbres serrés sans doute faute de suffisamment de lumière.

Au final, les arbres isolés libèrent plus de graines et avec les « meilleures » placées en hauteur (donc en bonne position pour aller loin) ; leurs couronnes isolées offrent une prise aux vents violents bien plus forte que celles des arbres en massifs serrés. Tous les modèles indiquent que la vitesse horizontale (au décollage de l’arbre) des graines s’en trouve améliorée sur les arbres isolés : elles ont bien plus de chances d’aller plus loin. Il y a là un effet amplificateur : les avant-gardistes envoient des descendants encore plus en avant et accélèrent la progression d’une manière significative. D’ailleurs, pour limiter cette progression des pins sur les pelouses, on préconise désormais de supprimer en priorité les arbres ou bouquets d’arbres isolés assez jeunes plutôt que de s’attaquer aux boisements denses qu’on pensait les plus impliqués dans la progression.

Variations dans le temps

En dehors de l’espace, qu’en est-il de la progression dans le temps ? Les pins ne se reproduisent qu’à partir de l’âge de 13-15 ans ce qui introduit un décalage entre l’installation sur un site et la reprise de la progression à partir de ce nouveau noyau. La production de graines, comme celle de très nombreux autres arbres, se fait selon un schéma bien connu dit de « masting » : une très forte production tous les 4 à 6 ans avec une production nettement plus faible dans les intervalles. Cette variabilité temporelle cyclique doit forcément influer sur la progression.

L’étude menée en Suède (1) indique que la période de libération des graines varie aussi beaucoup d’une année à l’autre selon les conditions climatiques : pour que les cônes s’ouvrent, ils doivent accumuler une certaine dose de chaleur au printemps. Si la libération des graines se fait par exemple plus tard, leur devenir peut s’en trouver impacté si la germination plus tardive fait apparaître les jeunes plants avec le début de la sécheresse estivale. Même dans les régions montagneuses, les pins sylvestres choisissent des sites bien chauds et exposés souvent sur des sols filtrants pouvant se dessécher rapidement.

Les freins à la progression

Sur les Causses, le suivi des jeunes plants germés, petits et très fragiles, montre une très forte mortalité à cause du pâturage par les moutons (là où il subsiste !), de la compétition avec le tapis herbacé et la sécheresse estivale. Au delà de quatre ans d’âge, les jeunes pins semblent ensuite échapper à ces facteurs négatifs. Des observations à partir des classes d’âge des jeunes plants montrent une surreprésentation de ceux nés après les années 1990 ; or, cette date correspond à un épisode charnière : le passage généralisé de l’élevage du mouton pour la viande vers l’élevage pour le lait et le fromage qui s’accompagne de changements majeurs dans la conduite des troupeaux ; le pâturage en parcours a alors de nouveau brusquement baissé. Ce dernier constitue donc bien le frein principal à la progression des pins ; sa régression accélérée a libéré une fenêtre d’invasion aussitôt occupée par les pins !

Une autre étude dans les montagnes espagnoles où des prairies enclavées au milieu des pinèdes (4) ne connaissent pourtant pas ce processus d’invasion, pointe différents facteurs de frein :

– la prédation considérable des graines arrivées au sol par oiseaux et rongeurs : 55% des graines germent si on écarte ces prédateurs contre 6,5% en temps normal

– la présence d’un couvert herbacé dense avec de la litière abondante bloque les plantules au stade de radicule car celle-ci n’arrive pas à atteindre le sol ; ceci rejoint le fait que l’invasion sur les parcours pâturés se fait surtout dans les quelques années qui suivent l’abandon et nettement moins ensuite

– le sol nu est plus favorable pour la germination d’où l’importance des espaces dénudés comme dans les pelouses érodées ou qui ont subi le piétinement des animaux.

Inversement, une fois germés et implantés, les jeunes plants voient leur survie facilitée par le couvert herbacé qui semble alors les protéger de certains agents climatiques.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Timing of seed dispersal in Pinus sylvestris stands in central Sweden. Hannerz, M., Almqvist, C. & Hörnfeldt, R. 2002. Silva Fennica 36(4): 757–765.
  2. Comparing effective dispersal in expanding population of Pinus sylvestris and Pinus nigra in calcareous grasland. S.Debain et al. Can. J. For. Res. 37 : 705-718 (2007)
  3. Reproductive variability in Pinus sylvestris in southern France: Implications for invasion. 
Debain, S.; Curt, T.; Lepart, J. & Prevosto, B. Journal of Vegetation Science 14: 509-516, 2003
  4. Mechanisms blocking Pinus sylvestris colonization of Mediterranean mountain meadows. 
Castro, Jorge ; Zamora, Regino & Hódar, José A. Journal of Vegetation Science 13: 725-731, 2002

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le pin sylvestre
Page(s) : 54-55 Guide des fruits sauvages : Fruits secs