Populus tremula

Début juillet 2015 : nous venons d’arriver dans une résidence en Vanoise pour passer une semaine ; il fait très chaud et il souffle un léger vent de sud ; nous ouvrons la porte fenêtre qui donne sur un vaste pré. Et là, un bruissement accroche nos oreilles : une délicieuse rumeur qui émerge de cette fournaise. Là-bas, à l’orée de la forêt, une longue tache vert bleuté : un bosquet de trembles tout frémissants dans le vent, bien audibles malgré la distance, comme un bruit d’eau qui coule  ! Ce bruit quasi permanent bercera tout notre séjour.

Cette faculté des feuilles du tremble (ou plutôt devrait-on dire du peuplier tremble) à s’agiter au moindre vent n’a pas manqué d’interpeller nos aïeux pour qui tout était signe et signature divins. Nous allons parcourir quelques-unes des innombrables croyances et légendes du folklore européen à propos de cet arbre « bruyant » ; mais d’abord, rapidement, parcourons d’abord les aspects scientifiques.

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Un bouquet de trembles qui bruisse au moindre vent en Vanoise sous la chaleur écrasante de la canicule. Juillet 2015.

Un trait spécifique original

La feuille du tremble … tremble ainsi parce qu’elle est portée par un long pétiole (4 à 5cm), très souple mais résistant, aplati verticalement et raccordé perpendiculairement au limbe de la feuille. Ainsi, au moindre courant d’air, la feuille s’agite, se tord sans cesse, émettant un bruissement léger et ce d’autant que les bords du limbe arrondi portent des crénelures qui favorisent le passage latéral de l’air.

La rationalité scientifique éclairée par la théorie de l’évolution nous amène à affirmer que si les feuilles du tremble ont une telle forme et une telle capacité, c’est que d’une façon ou d’une autre cela doit procurer un (ou plusieurs) avantage(s) à l’arbre porteur. On ne dispose que d’hypothèses explicatives car pour être affirmatif il faudrait des expérimentations grandeur nature sur des arbres entiers (du genre « bloquer » les feuilles pour voir les conséquences mais plus facile à dire qu’à faire !).

Quatre hypothèses sont avancées qui ne s’excluent pas d’ailleurs entre elles sur le rôle de cette agitation :

  • elle favoriserait la transpiration et stimulerait ainsi la circulation de la sève vers la cime de l’arbre et sa croissance ; le tremble pousse presque toujours « les pieds dans l’eau » ou au minimum avec les racines principales qui plongent dans une nappe souterraine : il ne craint donc pas le dessèchement
  • elle réduirait les dommages dus au vent sur le feuillage sur le principe du roseau de La Fontaine qui plie mais ne rompt point ; les trembles, comme les autres peupliers sont des essences de bois tendre à croissance très rapide et donc très susceptibles à la pression du vent sur leur feuillage
  • elle orienterait les feuilles périphériques de manière oblique par rapport au soleil au zénith ce qui augmenterait l’efficacité photosynthétique (un excès de lumière directe altère la chlorophylle et échauffe la feuille)
  • enfin, hypothèse la plus originale, elle dérangerait les insectes venus pondre sur les feuilles ; une des preuves avancée est la relative rareté des galles sur cette espèce par rapport à d’autres espèces moins tremblantes ; mais d’autres facteurs comme la composition chimique des feuilles seraient plus explicatifs de cette rareté.

Passons maintenant au registre folklorique qui ne manque pas d’explications !

Langues de calomnieuses !

En Grande-Bretagne, le tremble reste symbole de scandale, de ragot, de rumeur. Le mouvement constant des feuilles qui génère ce bruissement était comparé aux langues bien pendues des femmes à la campagne (la notion de féminisme n’existait pas vraiment à l’époque !). Ainsi J. Gerard (1545-1611) célèbre jésuite anglais botaniste, auteur d’un « Herball » (Histoire générale des plantes) affirmait à propos du tremble :

« Il est fait de la même matière que les langues des femmes …. qui ne cessent que rarement de s’agiter »

Ceci lui a valu les surnoms de « langues de femmes » ou « langues de vieilles » !

La signature de la fièvre

Un caractère aussi frappant a évidemment suscité des rapprochements dans le cadre de la théorie des signatures, signes laissés par le Créateur selon la rhétorique chrétienne. S’il tremble c’est qu’il  guérit les maladies qui se manifestent ainsi dont la fièvre. A cela, il faut ajouter le goût marqué du tremble pour les lieux humides et donc une association avec les fièvres des marais. En France, on signale une pratique consistant à lier un ruban porté par le malade autour d’une branche de tremble pour transférer la fièvre sur ce dernier.

La richesse chimique du tremble (et des peupliers en général) lui confère entre autres propriétés, par ses bourgeons, un pouvoir bactéricide contre les rhumatismes et la goutte. De même l’écorce qui contient de la saliciline s’avère efficace contre la fièvre associée à l’arthrite. Donc, la doctrine des signatures n’était pas que pure affabulation … à moins que, comme le pensent certains auteurs, ce soit l’usage qui ait induit la croyance et pas l’inverse !

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Bourgeons du tremble.

La mauvaise réputation

Ce bruissement permanent a conduit à l’interpréter comme une certaine arrogance de la part du tremble qui ne se « tait jamais ». Et on trouve diverses variantes liées à la religion chrétienne pour taxer le tremble d’arbre maudit.

Sur l’île d’Uist dans les Hébrides écossaises, il est dit « trois fois maudit ». D’abord pour avoir gardé la tête haute alors que tous les autres arbres baissaient la tête quand le Christ monta vers le Calvaire. Ensuite pour avoir servi à construire la croix sur laquelle fut crucifié le Christ. Et pour la troisième raison, la tradition populaire ne sait plus pourquoi ! En tout cas, son bruissement permanent traduit sa gêne et son sentiment de culpabilité.

Une autre version l’associe au voyage de la Sainte Famille (le Christ, la Vierge Marie et Joseph) fuyant l’Egypte par les airs : le tremble leur refusa son couvert au moment de se poser dans une forêt dense.

En Bretagne, on dit que non seulement le tremble orgueilleux et arrogant avait refusé de se pencher devant le Christ mais qu’en plus il affirma qu’il n’avait jamais pêché et n’avait aucune raison de trembler ; dès cet instant, il ne cessa plus de le faire !! Dans le Forez, ce serait devant Saint Pardoux, réputé pour sa piété et sa sagesse, qu’il aurait refusé de s’incliner. Notons que le port très raide et les branches presque verticales du tremble ont du participer à la naissance de ces légendes.

En Ecosse, paysans et pêcheurs veillaient à ne surtout pas utiliser le bois du tremble pour fabriquer leurs outils ; cela dit, vu la fragilité de ce bois, l’interdiction ne devait pas être difficile à respecter ! Les gens avaient l’habitude de jeter des pierres et de proférer des malédictions quand ils croisaient un tremble sur leur chemin !

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Bois blanc du tremble tendre et fragile.

Terminons ce registre chrétien avec deux autres associations : en Russie, les paysans disent que c’est l’arbre utilisé par Judas pour se pendre. Rappelons que le tremble est une essence dominante dans les pays nordiques. Ailleurs, on affirme que le tremble aurait donné ses branches à Caïn pour tuer Abel.

Bref, une bien mauvaise réputation pour un si bel arbre !

Parfois aussi une bénédiction

Comme souvent dans le folklore populaire, on trouve des interprétations diamétralement opposées sur le même thème.Dans les Highlands écossais, on utilisait le bois tendre du tremble pour fabriquer des anneaux de dentition, ces « jouets » que l’on donne à mordiller aux jeunes enfants au moment de la sortie des dents pour atténuer la douleur. L’argumentation était la suivante : ayant servi à faire la Croix du Christ, cet arbre ne pouvait qu’être béni et ne pouvait faire aucun mal à des enfants.

Pour terminer par une note « gore », cette tradition rapportée de Russie où l’on conseillait de percer le cœur d’une sorcière enterrée avec un pieu de tremble (ou plus simplement de poser une branche sur la tombe) pour éviter qu’elle ne revienne sur Terre et protéger les vivants du mal !

Le folklore de la mort

En Pologne, on mentionne diverses croyances relatives à son pouvoir sur la vie après la mort. Sur la poitrine des personnes enterrées qui s’étaient suicidées (et donc non reconnues par la religion chrétienne), on conseillait de placer un rameau de tremble pour éviter que le malheureux ne continue à errer tel un fantôme. De même, on suggérait d’utiliser des chevilles en bois de tremble à la place des clous pour fixer le couvercle du cercueil et éviter que le mort ne s’échappe la nuit venue ! Enfin, ramasser du tremble par temps venteux apportait la mort.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Oxford Dictionary of plant-lore. R. Vickery. Oxford University Press ; 1995
  2. Elsevier’s dictionary of plant lore. D.C. Watts. Academic Press. 2007
  3. Selected indigenous trees and shrubs in Polish botanical literature, customs and art. Krystyna HARMATA, Jacek MADEJA, Alicja ZEMANEK and Bogdan ZEMANEK. Plants and Culture: seeds of the cultural heritage of Europe. 2009

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le tremble et les peupliers
Page(s) : 98-99 Guide des fruits sauvages : Fruits secs