Pelecanus

Les pélicans se distinguent de tous les autres oiseaux par leur bec surprenant sans équivalent (voir la chronique consacrée à cette « épuisette extensible »). Devant une telle singularité, on peut se demander comment au cours de l’évolution a émergé une telle lignée aussi spécialisée. Souvent, face à de telles questions, le registre fossile nous éclaire sur les transformations qui ont pu avoir lieu dans une lignée depuis ses origines. Or, dans le cas des pélicans, le plus vieux fossile connu que l’on peut rattacher à cette famille, daté de -30Ma et découvert en France (voir chronique sur l’histoire des pélicans) ne nous apprend pas grand chose dans la mesure où il est déjà complètement « pélican actuel » ! Il reste alors à se pencher sur la phylogénie, les liens de cette famille avec les autres familles actuelles afin d’espérer comprendre ses origines.

Pélicans frisés dans un parc zoologique

Pélicans frisés dans un parc zoologique

Des palmes pas très académiques

Traditionnellement, on regroupait les pélicans avec les fous, les cormorans, les anhingas, les frégates et les paille-en-queue ou phaétons notamment sur la base d’un caractère partagé : une palmure qui englobe les quatre doigts (donc y compris le doigt arrière qui se retrouve comme « tiré » sur le côté) (doigts totipalmés). On les associait donc dans le groupe des Pélécaniformes dont le nom choisi laissait entendre que les pélicans représentaient le « type » de base.

Or, au cours des deux dernières décennies, la classification a été profondément bouleversée par l’utilisation généralisée des informations fournies par la comparaison des séquences ADN des espèces : on s’est ainsi rendu compte que nombre de caractères utilisés auparavant étaient en fait des convergences liées à des adaptations à un même mode de vie (3 et 4). Le groupe des Pélécaniformes n’a pas échappé à cette révolution extraordinaire qui change complètement notre vision de l’histoire des oiseaux.

Ainsi, on exclut désormais de ce groupe les Phaétons qui relèvent d’une toute autre lignée, celle des Metaves (voir l’arbre de parentés ci-dessous) dans laquelle on trouve un assemblage en apparence hétéroclite dont les Flamants et les Grèbes auxquels nous avons consacré plusieurs chroniques. Donc, le fait d’avoir des pattes totipalmées n’est pas une exclusivité des Pélécaniformes : ce caractère est apparu indépendamment dans au moins deux grandes lignées. Par contre, frégates, fous, cormorans et anhingas restent bien dans le groupe des Pélécaniformes et forment un sous-ensemble qui n’inclut pas les pélicans : ils partagent le mode de vie nettement aquatique, un régime piscivore (à base de poissons) et donc ces fameuses pattes totipalmées.

De nouveaux parents inattendus

les Pélécaniformes se trouvent inclus dans un groupe bien plus vaste dit des Natatores qui regroupe des oiseaux aquatiques pêcheurs ; parmi ceux-ci figurent entre autres les manchots ou les plongeons.

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Manchots du Cap en Afrique du Sud. Photo Gilles Guillot

Mais, on a ajouté aux Pélécaniformes plusieurs familles d’oiseaux qui en apparence n’ont rien de commun avec les précédents : des «  échassiers », certes liés au milieu aquatique et eux aussi essentiellement piscivores, mais au « look » radicalement différent avec notamment des grandes pattes …. non palmées ! Et en plus, ces échassiers se retrouvent au plus près … des pélicans.

On trouve ainsi les pélicans associés à deux lignées : d’une part les ibis et spatules (famille des Threskiornithidés) et les hérons, aigrettes, butors, bihoreaux et autres blongios (famille des Ardéidés) qui forment une lignée frère de celle des pélicans. Ces derniers sont étroitement apparentés à deux familles représentées chacune par une seule espèce actuelle africaine, toutes les deux très étranges par leur aspect et leurs mœurs : le bec-en-sabot ( famille des Balaenicipitidés) et l’ombrette (famille des Scopidés) ! Un véritable « séisme généalogique » pour les pélicans !

Une fois passée l’incrédulité et la perplexité, il faut revenir vers la morphologie et les modes de vie pour se convaincre. Une analyse pointue des squelettes montre effectivement des caractères partagés uniques entre les pélicans, le bec-en-sabot et l’ombrette : une tubérosité particulière sur l’humérus ou un sternum avec un bord très allongé, comparé aux autres oiseaux aquatiques. Et puis, si on commence à regarder ces deux proches parents révélés par la génétique, on note leur bec massif doté d’un crochet au bout qui leur « mange le visage » et n’est pas sans rappeler le bec des pélicans, la poche en moins.

Les pélicans : des échassiers à pattes courtes !

Si on élargit la lecture de l’arbre des parentés, on découvre une seconde surprise du même ordre : le groupe frère (le plus proche et partageant donc avec les Pélécaniformes un ancêtre commun) est celui des … Ciconiiformes, autrement dit les cigognes, jabirus, tantales, bec-ouverts et marabouts !

On ne sort pas des « grands échassiers » ce qui conduit à penser que l’ancêtre commun des Pélécaniformes devait être du type « grand échassier » et qu’à deux reprises dans deux lignées différentes, il a évolué vers un nouveau type adapté à un mode de vie entièrement aquatique et pêcheur avec des pattes courtes : une fois vers les pélicans et une autre fois dans la lignée des fous/cormorans/frégates/anhingas. Ce type échassier se retrouve d’ailleurs dans d’autres grands groupes comme dans les Metaves (avec les flamants) ou dans les Gruiformes (grues) ce qui confirmerait son caractère ancestral. Les pattes totipalmées seraient apparues deux fois indépendamment dans ces deux lignées sans doute en lien le mode de pêche différent. On peut désormais dire que le nom de Pélécaniformes attribué au groupe entier sonne désormais bien mal.

Des airs de famille …

Une fois que l’on a intégré ces nouvelles données, on peut regarder tous ces oiseaux cités ci-dessus, disparates en apparence, en se disant : « n’ont-ils pas quelque chose en commun quand même … autre que des séquences de leur ADN ».

Tous partagent ainsi une même façon de nourrir leurs petits : ceux-ci engouffrent leur bec au fond du gosier des parents comme chez les pélicans. Ils ont tous une poche à la gorge mais peu développée : elle permet notamment aux hérons d’avaler de très grosses proies.

Pour terminer par une autre « ressemblance », je vous livre une réflexion (qui n’est pas étayée scientifiquement) que je me suis faite en visitant récemment un parc zoologique où se côtoyaient des pélicans, des cormorans et des hérons : ils se tiennent pareil, bien droits, presque verticaux, attitude que l’on ne retrouve pas par exemple chez les oies ou canards. Cela tient à la position des pattes très en arrière du corps avec un large bassin que l’on retrouve chez les grands échassiers ; ceci permet d’ailleurs aux pélicans de bien marcher en dépit de leurs pattes courtes. Alors la prochaine fois que vous verrez des pélicans, essayez de les imaginer avec de longues pattes et vous verrez qu’ils ressemblent alors à un bec-en-sabot doté d’un long bec. C’est cela la magie de la phylogénie : changer et aiguiser notre façon de regarder le vivant.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Phylogenetic Analysis of Pelecaniformes (Aves) Based on Osteological Data: Implications for Waterbird Phylogeny and Fossil Calibration Studies. Nathan D. Smith. PLOS one. October 2010 ; Volume 5.
  2. Beyond phylogeny: pelecaniform and ciconiiform birds, and long-term niche stability. Gillian C. Gibb, Martyn Kennedy, David Penny. Molecular Phylogenetics and Evolution 68 (2013) 229–238
  3. Avian classification in flux. J. Fjeldsa. In Handbook of the birds of the world. Special volume. 2013
  4. Classification phylogénétique du vivant. Tome II. (voir ci-dessous les ouvrages) ; pp. 410-493 : le seul ouvrage en français qui présente de manière magistrale et très détaillée la nouvelle classification phylogénétique des Oiseaux !
  5. The unfeathered bird. K. van Grouw. Princeton University Press. 2013. Remarquable ouvrage avec des dessins hyper réalistes de squelettes d’oiseaux : quand art et science se Complètent merveilleusement ! 

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les Pélécaniformes de France
Page(s) : Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez la classification des Oiseaux
Page(s) : 410-493 Classification phylogénétique du vivant. Tome II. 4ème édition revue et augmentée