Collection d’Orthoptères du monde entier (Micropolis)

ATTENTION G. Lecointre me fait remarquer que la chronique initiale publiée le 05/08/18 a été élaborée à partir d’une édition ancienne de Classification phylogénétique du vivant (Ed. Belin) ; or, dans la 4ème édition revue et augmentée, il y a des changements dans l’arbre des Insectes. J’ai donc modifié la chronique ce jour, le 21/08 en prenant en compte les nouveautés ! 

Orthoptères : si ce nom d’ordre d’Insectes ne vous dit rien, déclinons-le de suite par ses principaux membres (en se limitant aux espèces présentes en Europe) : criquets, sauterelles, grillons, courtilières et tétrix. Nous allons découvrir cet ordre très fourni en espèces (au moins 22 500 espèces décrites dans le monde !) sur le mode évolutif : en cheminant au long de l’Arbre du Vivant, nous regarderons à chaque étape quelles nouveautés évolutives sont apparues, en se limitant aux seuls caractères assez facilement observables !. Ce sera ainsi une bonne occasion de faire un peu d’anatomie et de mieux comprendre au final (à l’arrivée) comment sont faits ces fameux Orthoptères. Pour cela, nous n’allons pas partir de la racine de l’Arbre (LUCA) ce qui serait très long mais d’un point intermédiaire, un peu avant les Insectes : le groupe des Hexapodes. Les numéros reportés sur le plan de la randonnée fourni ci-dessous vous permettront de vous repérer à chaque étape. Ne vous laissez pas impressionner par les noms successifs des groupes (souvent très ésotériques) mais laissez vous guider avant tout par les caractères nouveaux qui apparaissent au fur et à mesure de la progression : petit à petit, le portrait robot des Orthoptères prendra forme et se précisera. En route donc pour cette randonnée. Nous avons mis en gras les termes anatomiques clés pour savoir décrire et comprendre un insecte et plus un orthoptère.

Arbre phylogénétique des Hexapodes avec le chemin qui conduit vers les Orthoptères ; les numéros indiquent les noeuds parcourus et mentionnés dan sel texte de la chronique. D’après Classification Phylogénétique du Vivant Tome II 4ème édition.

Les « six pattes »

Sauterelle verte : trois paires de pattes, fixées chacune sur un des 3 segments du thorax

La randonnée commence donc à un nœud de l’Arbre du vivant situé un peu en amont de celui des Insectes : les Hexapodes (étymologiquement : six pattes) (n°1). Ce sont des Arthropodes, des animaux à squelette externe (la peau durcie servant d’exosquelette). A ce nœud, nous laissons derrière nous beaucoup d’autres arthropodes comme les Chélicérates (Araignées, Scorpions, Acariens, Opilions, ..), les Myriapodes (les « mille-pattes ») et divers groupes de « Crustacés ».

Les Hexapodes, eux, sont caractérisés par un thorax formé de trois segments portant chacun une paire de pattes articulées, la disparition des appendices locomoteurs au niveau de l’abdomen (comme chez les crevettes par exemple) et la présence d’une seule paire d’antennes.

Chaque patte se compose de segments creux (contenant les muscles) articulés entre eux par des zones de peau non durcie souple. Par analogie avec le squelette des Vertébrés, on nomme ces segments successifs avec des noms de pièces squelettiques des membres osseux. En partant de l’extrémité, nous avons donc : le tarse (le « pied ») composé lui-même de plusieurs petits segments (tarsomères) ; le tibia (la « jambe ») ; le fémur (la « cuisse ») ; enfin une pièce triangulaire (trochanter) articule le fémur avec le coxa (la « hanche ») lui-même articulé avec un des trois segments du thorax.

Pour nous diriger vers les Orthoptères (notre cap), il nous faut laisser la branche latérale des Elliploures qui comprend entre autres les Collemboles, ces minuscules et innombrables petites bêtes très répandues dans la faune du sol mais peu connues du grand public. Ils se distinguent par la présence d’un appareil saltatoire (servant à sauter) sous la forme d’une fourche repliée sous l’abdomen qui se détend comme un ressort et d’un tube ventral (collophore) sous l’avant de l’abdomen. Leur abdomen ne comporte que six segments et le tibia et le tarse sont réunis en un seul segment.

Notez que ce ne sont pas des insectes car nous n’avons pas encore franchi ce nœud de l’arbre

Les voilà !

Grillon des bois femelle: l’organe de ponte à l’arrière est encadré par les deux cerques ; cette espèce a naturellement des ailes très courtes et ne vole pas (perte secondaire du vol)

Nous allons approcher à grands pas des « vrais » Insectes, un repère qui nous est plus familier que les Hexapodes ! Pour cela, nous atteignons d’abord le nœud n°2 : les Euentomates ! Rien à voir avec les… automates : on vous avait prévenu quant à l’ésotérisme des noms de groupes, même pas utilisables au scrabble car loin d’être entrés dans les dictionnaires (et çà se comprend !). Ici, apparaît un caractère facile à observer : les cerques. Il s’agit d’une paire d’appendices filiformes au bout du dernier segment abdominal dont la fonction sensorielle conduit à les comparer à des antennes à l’arrière !

Avançons d’un cran en laissant sur le côté la branche des diploures, d’autres petites bêtes fréquentes dans la faune du sol : leurs pièces buccales ne sont pas visibles de l’extérieur, cachées à « l’intérieur » de la capsule dure qui forme la tête.

Et là, nous atteignons (nœud n° 3) le groupe des Ectognathes, plus connus sous le nom … d’Insectes ; ouf, enfin un nom familier ! Justement, la principale différence porte sur les pièces buccales qui, désormais, restent externes entièrement d’où ce nom barbare d’ectognathes (ecto = externe ; gnathos : mâchoires). On peut ainsi voir d’avant en arrière : les mandibules dures (noircies à la pointe souvent), les maxilles formés de plusieurs segments articulés et munis de palpes maxillaires et une plaque, le labium flanqué de deux palpes labiaux latéraux, sortes de mini-pattes segmentées au rôle tactile entre autres. Il peut y avoir en plus, comme chez nombre d’Orthoptères par devant une visière articulée (comme un capot), le labre ou clypéus.

Parmi les autres nouveautés qui signent les insectes, signalons aussi la paire de crochets (« griffes ») qui termine le dernier article du tarse.

Paire de griffes-crochets sur le dernier article du tarse.

L’antenne se différencie en un article basal allongé fixé sur la tête (le scape) surmonté d’un pédicelle qui porte le reste de l’antenne ou flagelle. Sur ce pédicelle se trouve un organe sensoriel particulier, l’organe de Johnston qui détecte les mouvements des antennes entre autres.

Dirigeons nous vers le nœud suivant ne laissant de côté les archéognathes, étranges petites bêtes méconnues qui portent sous les segments abdominaux des appendices courts ou styles et possèdent deux gros yeux composés qui se touchent au sommet de la tête.

Ils se sentent pousser des ailes !

Organe de ponte ou ovipositeur de decticelle bariolée formé d’un ensemble complexe de valves articulées qui guident les oeufs au moment de la ponte. Cet organe n’a aucune fonction défensive !

On atteint le nœud n°4 : les Dicondyliens ! Chaque mandibule, pièce buccale majeure pour broyer la nourriture, s’articule désormais par deux condyles articulaires (d’où le nom) au lieu d’un seul jusqu’alors. Les palpes maxillaires se réduisent en taille et l’organe de ponte des femelles (ovipositeur) se complexifie par addition de nouvelles pièces.

Laissons un petit groupe, les Thysanoures, petits insectes aplatis au corps couvert de sortes d’écailles argentées comme chez le lépisme ou poisson d’argent répandu dans les maisons humides. Leurs yeux sont très réduits et fémurs et coxas deviennent aplatis à la base des pattes.

Nous atteignons ainsi le nœud n° 5 : les Ptérygotes avec une innovation évolutive majeure sans doute en grande partie responsable de l’explosion évolutive des insectes : l’apparition de deux paires d’ailes (pteron = aile). Ces ailes n’ont rien à voir avec celles des Oiseaux ou des Chauves-souris : ce sont de « simples » expansions de la peau du thorax formées de deux couches d’épiderme prenant en sandwich des espaces lacunaires occupés par des nervures.

Aucun muscle ni os dans ces ailes membraneuses mais des nerfs et des trachées, ces tubes respiratoires propres à nombre d’Arthropodes terrestres. En plus, on trouve dans ces nervures l’hémolymphe, un liquide clair, qui circule lentement dans tout le corps mais pas dans des vaisseaux, de cavité en cavité. Les muscles qui actionnent ces ailes se trouvent dans le thorax, hors des ailes donc. Autre innovation plus discrète : les mandibules prennent une forme plus triangulaire.

Les ailes ont ouvert une large gamme de possibilités pour exploiter de nouveaux milieux et surtout se disperser efficacement.

Des ailes plus complexes

Avançons un peu en abandonnant au passage un groupe assez connu : les Ephémères aux mœurs aquatiques. Elles possèdent trois filaments au bout de l’abdomen et une particularité étonnante dans leur développement : lors de la dernière mue larvaire (la larve est aquatique), on obtient un « sub-adulte » (subimago) qui sort de l’eau avec des ailes fonctionnelles mais dans les minutes ou les heures qui suivent ce sub-adulte subit une nouvelle mue qui donne l’adulte définitif !

Nous voici donc au nœud n° 6 : les Métaptérygotes. A partir de maintenant (l’arbre du vivant retrace l’histoire évolutive), le stade subimago (voir les éphémères) disparaît et le filament central au bout de l’abdomen aussi. Le développement des ailes s’accompagne de remaniements internes permettant une plus grande efficacité : ainsi s’installe un couplage de l’alimentation en oxygène des deux paires d’ailes et des pattes correspondantes via un réseau de trachées. Une des articulations de la mandibule se renforce ce qui rend possible la consommation de matériaux plus durs. Au pas suivant, nous croisons un groupe ultra-connu, les odonates : libellules et demoiselles avec leurs stades jeunes aquatiques dotés d’un organe préhensile qui se replie sous la tête. La prépondérance du vol s’affirme par le surdéveloppement des deux segments du thorax porteurs des ailes qui se soudent.

Avec le nœud n° 7, les Néoptères, c’est l’articulation des ailes sur le thorax qui se renforce par l’ajout de nouvelles plaques articulaires dures à leur base (tout le reste de l’aie étant rigide) et une musculature thoracique renforcée. De même, l’organe de ponte (ovipositeur) se complexifie avec l’ajout d’une nouvelle paire de valves.

Ici, nous arrivons à une bifurcation majeure avec la méga-autoroute des Eumétaboles qui conduit aux groupes majeurs d’Insectes : Hémiptères (punaises, cigales, pucerons, cicadelles), Lépidoptères (papillons), coléoptères (scarabées), Diptères (mouches et moustiques), hyménoptères (guêpes et abeilles) et d’autres ordres plus petits.

Cousins

Prenons donc l’autre branche qui nous rapproche désormais des Orthoptères avec le nœud n° 8 : les Polynéoptères. Les transformations des ailes se poursuivent : les ailes postérieures voient leur partie basale s’élargir et se doter de nombreuses nervures supplémentaires (région anale) ce qui augmente la surface d’appui. Autre petite innovation sympathique : sous les articles des tarses apparaissent des petits coussinets plantaires (pulvilli) qui procurent une meilleure adhésion aux supports.

Là, nous croisons les premiers cousins : les dictyoptères avec les blattes et termites (très proches parents entre eux !) et les mantes. La plaque dorsale du premier segment thoracique (pronotum) s’élargit en un bouclier étalé chez les blattes (perdu secondairement chez les mantes) et la paire d’ailes avant se durcit ce qui protège l’abdomen fragile.

Nous voici au nœud n° 9 : les Anartioptères ! La grande innovation concerne l’orientation des pièces buccales tournées vers l’avant (tête prognathe). Nous sommes tout près du but. Auparavant, jetons un œil à la branche latérale encore plus proche cousine : celle des Dermaptères ou perce-oreilles avec leurs cerques transformés en pinces et leurs ailes si particulières (voir les photos) s.

Frères

Au nœud n° 10, nous passons près des Plécoptères ou perles, des insectes aux larves aquatiques pour nous diriger vers le terminus du chemin au noeud n° 11.  Ici, nous rencontrons le groupe frère des Orthoptères, i.e. celui qui partage un ancêtre commun le plus récent avec eux : les Xénonomiens qui réunit quatre ordres un bien connu, celui des Phasmoptères (les trois autres étant très peu connus). Vous les connaissez probablement : ce sont les Phasmes ou insectes-brindilles et les Phyllies, les insectes-feuilles. Quiconque a élevé ces insectes connaît leurs œufs si étranges : on dirait de grosses graines avec un couvercle (par où sort la larve à l’éclosion).

Et nous voici (enfin ?) à destination chez les Orthoptères : terminus ! Développons leurs caractères propres. Les pièces buccales se réorientent : elles passent de la position « vers l’avant à l’horizontale » à « vers le bas, à la verticale du corps ». On parle de disposition orthognathe, sans doute une adaptation au régime alimentaire végétarien : ces insectes découpent et broient les feuilles en se positionnant à la verticale tout en ayant les grands yeux composés libres de surveiller les alentours !

Pattes postérieures démesurées d’un Dectique verrucivore femelle

La troisième paire de pattes connaît un développement remarquable et devient une paire de pattes sauteuses avec un super gros fémur rempli de muscles puissants et un allongement des différents segments. Ceci explique l’ancien nom des Orthoptères : les Saltatoria !

La plaque dorsale du premier segment thoracique (pronotum) s’étend et se rabat sur les côtés comme une selle (cryptopleuron) qui protège ainsi étroitement tout l’avant du thorax. Les ailes antérieures se durcissent aussi (tegmina ou élytres) et, au repos, elles se replient avec les postérieures entièrement membraneuses le long du corps, au-dessus de l’abdomen, ni à plat (comme les punaises ou les scarabées), ni à la verticale (comme les papillons), mais en toit protecteur de l’abdomen.

Une dernière originalité de ce groupe concerne le développement des ailes. Chez les jeunes, les ailes apparaissent sous forme de bourgeons qui grandissent mue après mue ; au début, elles sont disposées dessous-dessus par rapport aux adultes ; à la cinquième mue, elles se retournent et le bord inférieur devient le supérieur ! Puis à la mue suivante (celle qui donne l’adulte), les ailes arrière qui se trouvaient par dessus les ailes avant passent par dessus celles-ci via une seconde torsion ! Cette gymnastique alaire très particulière ne se retrouve que chez les Odonates ou libellules.

Jeune phanéroptère avec les ailes postérieures (au premier plan) « inversées (la grosse côte en haut va se retrouver en bas au stade adulte)

Il reste à entrer maintenant à l’intérieur de cet immense groupe très diversifié plein de surprises : ceci sera l’objet d’une autre chronique. Maintenant, il est peut être temps de se reposer l’esprit après cette avalanche de vocabulaire étrange !

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le chemin des Orthoptères
Page(s) : 259-318 Classification phylogénétique du vivant. Tome II. 4ème édition revue et augmentée