Ranunculus

Colonie fleurie de renoncules rampantes

03/08/2022 En anglais (buttercup), en allemand (butterblume), en néerlandais (boterbloem), les renoncules jaunes ou boutons d’or partagent le même nom populaire de « fleurs du beurre ». Écartons de suite une étymologie fantaisiste qui prétend que les éleveurs d’autrefois croyaient que la couleur jaune du beurre venait des renoncules qu’avaient broutées leurs vaches : ce serait faire injure aux anciens très bons observateurs de leur environnement les renoncules sont toxiques et âcres pour le bétail qui ne les mange pas : il suffit de voir les prés fleuris de boutons d’or avec les vaches au milieu qui n’y touchent pas. L’origine de ce nom « universel » tient en fait à un jeu très populaire que beaucoup d’entre vous ont peut-être expérimenté dans leur jeunesse ou avec des enfants : cueillir une fleur de bouton d’or et la placer sous le menton de son vis-à-vis en lui posant la question rituelle « on va voir si tu aimes le beurre ». Et la réponse est systématiquement oui car la fleur de bouton d’or possède le pouvoir d’éclairer de jaune (comme du beurre) la peau du menton sous lequel on l’a approchée. Comment réussit-elle ce tour de magie qui fascine petits et grands ? 

Fleur de renoncule bulbeuse

Exception 

Certains oiseaux, papillons, poissons ou scarabées sont connus pour afficher à la surface de leur corps (plumage, ailes, écailles, élytres) des colorations vives, « métalliques », qui chatoient selon l’angle sous lequel on les observe : voir l’exemple remarquable de la hoplie bleue, un scarabée, ou celui du miroir alaire des canards. De telles couleurs dites structurelles résultent d’interférences lumineuses sur des surfaces dotées de nanostructures régulièrement ordonnées (couches ou parois cellulaires, organelles, …); on parle de couleurs physiques dont la manifestation varie avec l’angle sous lequel on observe le porteur (iridescence). 

Renoncule grande douve

Or, de telles couleurs structurelles sont au contraire rarissimes chez les plantes à fleurs. Cela tient à deux grands types de raisons. D’une part, l’intérieur et la surface des pétales des fleurs sont le plus souvent irrégulièrement façonnées avec des cellules épidermiques coniques fréquentes, incompatibles avec un tel effet. D’autre part, la fonction première de la coloration des fleurs est d’attirer les insectes pollinisateurs en leur envoyant un signal visuel perceptible pour les inciter à venir et les guider vers une éventuelle récompense. Or, les couleurs structurelles ne se perçoivent donc que sous certains angles d’approche et avec un éclairage très directionnel : on comprend donc que ce type de signal sera très peu efficace pour ce rôle attractif et n’a donc pas été (ou très peu) sélectionné. Les animaux, eux, se déplacent d’une part et peuvent donc « jouer » avec la lumière et il se servent de ces couleurs le plus souvent à destination des partenaires sexuels de la même espèce. Rien à voir avec la communication inter-règne (animal/végétal) qui prévaut pour les fleurs. 

Renoncule bulbeuse ; noter la base du pétale de structure différente

Le jaune des renoncules, d’un brillant, ou gloss comme on dit désormais, capable d’éclairer votre menton est clairement une exception à cette règle : ces fleurs fonctionnent un peu comme un miroir ce qui implique une composante structurelle en plus de la couleur jaune globale. Essayez avec d’autres fleurs jaunes comme des pissenlits ou des millepertuis : il ne se passera rien … sauf se saupoudrer d’un peu de pollen si vous approchez trop près. 

Multicouche

Évacuons tout de suite la couleur jaune qui, elle, n’a rien d’exceptionnelle. Elle résulte de la présence de caroténoïdes dans les cellules de l’épiderme supérieur des pétales : ces pigments huileux (voir l’exemple de la couleur jaune des oiseaux) absorbent sélectivement les longueurs d’ondes comprises entre 400 et 500 nm, i.e.la gamme bleue du spectre de la lumière incidente qui les traverse. Ainsi, la lumière renvoyée aura perdu cette composante bleue ce qui lui donne la couleur jaune. Le populage des marais, un proche parent des renoncules, a lui aussi de belles fleurs jaune foncé mais sans cet aspect brillant ; le gloss est bien indépendant de la couleur jaune. 

Ce gloss très singulier pour une fleur intrigue les botanistes depuis au moins le 19ème siècle. Dès 1883, le botaniste allemand Martin Möbius (rien à voir avec A. F. Möbius, mathématicien à l’origine du célébrissime anneau) s’y est intéressé mais il faut attendre les années 1920-30 pour voir plusieurs études anatomiques approfondies commencer à lever le voile sur le mystère bouton d’or. On observe alors deux particularités des renoncules jaunes : leurs pétales possèdent un épiderme très mince, semi-transparent, relativement plat alors que celui de la majorité des autres fleurs est papilleux, i.e. tapissé de minuscules verrues microscopiques ; sous cet épiderme, on trouve une couche de cellules serrées, sur une seule rangée, remplies de grains d’amidon (sucre de réserve fabriqué à partir de la photosynthèse), ce qui lui confère une coloration blanche comme du papier ; en plus, ces cellules ont une disposition globale en oblique. Cette couche semble presque exclusive des seules fleurs des renoncules. En dessous, vient ensuite une couche classique de cellules plus lâches et grandes qui forment le mésophylle du pétale puis l’épiderme inférieur. 

Schéma extrait de 1) Bibliographie

En 1999, on démontre que ces fleurs envoient un signal très prononcé dans les ultra-violets (que nous ne voyons pas) : des prises de vue en éclairage UV montrent que ces fleurs apparaissent alors avec un centre sombre (partie qui absorbe fortement les UV) qui contraste avec le reste plus clair (partie qui renvoie les UV). Mais ceci résulte de la répartition et de la nature des pigments qui absorbent plus ou moins ces UV (voir l’exemple du coquelicot) et se surajoute à l’effet de gloss.

En 2011, une nouvelle étude révèle un nouveau petit détail qui change tout : entre l’épiderme et la couche amidonnée, il y a un espace vide très étroit rempli d’air. On voit donc se dessiner une structure hautement hétérogène, multicouche, combinant des matériaux très différents, chacun avec son propre indice de réfraction de la lumière. 

Modèle optique 

Finalement, avec tous ces éléments, une équipe propose en 2017 un modèle optique complet qui intègre toutes ces données et qui explique l’origine du gloss jaune des renoncules. 

Le gloss de la fleur de renoncule bulbeuse

L’épiderme mince et presque transparent agit comme un film mince ; son épaisseur détermine la qualité de la lumière rétrodiffusée après son entrée. Or, selon les zones d’un pétale donné, cette épaisseur peut varier de 10% : l’épiderme n’est vraiment plat que par petits secteurs et ridé à l’échelle globale du pétale. Ainsi, l’effet brillant est restreint aux zones qui vont se trouver en position de miroir réfléchissant par rapport à la lumière incidente : d’où l’effet de chatoiement. 

Ajouter l’effet de masse

Une partie de la lumière incidente est réfléchie par la cuticule de l’épiderme mais le reste (80% environ) traverse l’épiderme et entre dans la couche amidonnée qui agit alors comme un film qui disperse du blanc. Une seconde réflexion se produit à l’interface de l’épiderme et de la couche d’air sous-jacente du fait de l’indice de réfraction de l’air nettement différent de celui des matériaux cellulaires ; cette seconde interface plane, parallèle à l’épiderme, joue donc un rôle décisif pour engendrer cet effet miroir. La traversée des caroténoïdes à l’aller et au retour renforce la teinte jaune de la lumière rétrodiffusée. C’est la combinaison de tous ces éléments qui donne au final ce brillant exceptionnel. 

Tout ceci explique pourquoi, lors du « jeu du beurre sous le menton », il faut d’une part approcher la fleur très près pour capter cette lumière diffuse sur la surface de la peau, un écran très absorbant, et d’autre part, tourner un peu la fleur pour trouver le bon angle qui va rediriger la lumière incidente pour induire l’effet miroir. 

Fonctions 

Ficaire

Vous vous doutez que les renoncules n’ont certainement pas développé ce brillant pour égayer les loisirs des humains : si cette brillance a ainsi été retenue (sélectionnée) dans une foule d’espèces de renoncules (genre Ranunculus) mais aussi dans quelques genres apparentés dont les ficaires (Ficaria), c’est qu’elle doit apporter à ces fleurs un « plus » décisif qui leur procure un meilleur succès reproductif. On a identifié deux fonctions principales qui ne s’excluent pas l’une l’autre. 

Sur cette touffe de renoncule bulbeuse, chaque fleur a son visiteur

Les insectes pollinisateurs qui s’approchent de ces fleurs selon un angle large vont percevoir cette brillance comme un éclat lumineux sans teinte particulière, soit un effet de flash qui peut servir de signal de loin et inciter les insectes à s’approcher ; de près, ensuite, ils seront guidés par la coloration jaune diffuse et le signal ultra-violet mentionné ci-dessus. 

Mais il existe un second intérêt inattendu. Les fleurs des renoncules sont héliotropiques, i.e. qu’elles s’orientent et s’ouvrent en fonction de la lumière solaire. Le matin, alors que les températures sont souvent encore basses, elles prennent une forme un peu refermée dite paraboloïde (les pétales se resserrent un peu et se redressent). Alors, la lumière incidente qui atteint la surface interne des pétales sous un grand angle (le soleil est bas sur l’horizon) ne sera pas réfléchie en dehors mais renvoyée vers le centre où se trouvent les organes reproducteurs. Ceux-ci vont donc être réchauffés ce qui améliore la maturation du pollen dans les étamines et des ovules ou graines dans les pistils.

A gauche, fleur semi-fermée (paraboloïde) et à droite fleur ouverte (Renoncule bulbeuse)

Le film mince épidermique évoqué ci-dessus renforce cet effet de concentration des rayons vers les organes reproducteurs. Ainsi, on a démontré que, chez une renoncule arctique, cette forme semi-refermée augmente la température interne de plusieurs degrés par rapport à l’air ambiant. Il se peut aussi que cet effet attire les insectes pollinisateurs qui trouvent là un site chaud, abrité du vent et avec le couvert (pollen et nectar). 

Par ailleurs, mais indépendamment de l’effet gloss, le pouvoir absorbant des pétales vis-à-vis des UV permettrait de limiter le renvoi de ces rayons vers le centre de la fleur où ils peuvent avoir des effets délétères mutagènes (action sur l’ADN cellulaire qui peut, chez l’homme, engendrer des cancers de la peau) sur les cellules reproductrices en plein développement. On a étudié ce processus chez une plante à fleurs jaunes (non brillantes) de la famille des rosacées, la potentille ansérine, répandue sur plusieurs continents. Plus on va vers l’Équateur avec de très forts niveaux d’ensoleillement, plus les zones absorbantes d’UV des pétales sont étendues ce qui abaisse leur pouvoir réfléchissant pour ces radiations. Il est probable que ce processus concerne aussi les renoncules dont de nombreuses espèces vivent en haute montagne, zones très exposées aux UV. 

Cet éclairage orienté sur la fleur de ficaire fait ressortir les bases des pétales qui absorbent fortement les UV

Finalement, cette chronique a eu le pouvoir magique de me ramener un certain nombre de décennies en arrière : tout près de la maison familiale, il y avait un fossé ombragé où florissait une belle population de ficaires ; nous avons des dizaines de fois joué au « beurre sous le menton » sans nous en lasser. D’ailleurs, la ficaire me semble encore plus performante pour cet effet avec sa corolle composée de nombreux pétales plus étalés et qui donc renvoient une tache plus large. En tout cas, vous qui n’avez pas encore joué à ce jeu, faites-le dès que possible et partagez le avec des enfants si possible et dispensez une petite leçon simple … en simplifiant au maximum le contenu de cette chronique. 

Ne pas oublier des les aimer pour leur simple beauté sans les cueillir

Bibliographie 

Functional optics of glossy buttercup flowers. van der Kooi CJ, Elzenga JTM, Dijksterhuis J, Stavenga DG. 2017 J. R. Soc. Interface 14: 20160933. 

Directional scattering from the glossy flower of Ranunculus : how the buttercup lights up your chin. Silvia Vignolini et al.  J. R. Soc. Interface (2012) 9, 1295–1301 

Floral pigmentation patterns provide an example of Gloger’s rule in plants. Matthew H. Koski ; Tia-Lynn Ashman Nature Plants volume 1, (2015)