En hiver, après la chute des feuilles, les colonies de cornouiller sanguin se repèrent de loin à leurs tiges rouges

De nombreux végétaux, ligneux ou herbacés, présentent régulièrement des tiges entièrement ou partiellement teintées de rouge, soit à la base, soit au niveau des entre-nœuds ; cette coloration rouge peut prendre chez certaines espèces un aspect très voyant comme chez diverses espèces de cornouillers dont le cornouiller sanguin (voir la chronique sur cette espèce) ou chez des cornouillers horticoles réputés pour leur aspect hivernal unique. La couleur rouge peut être systématiquement présente chez certaines espèces mais aussi apparaître dans des conditions de stress particulières (sécheresse et forte lumière) chez d’autres normalement non coutumières de cette particularité. Si on a beaucoup étudié la couleur rouge que prennent les feuillages de nombre d’arbres ou plantes en automne (dont le cornouiller sanguin !) et ses fonctions, on connaît très peu de choses sur la même couleur au niveau des tiges pourtant bien plus répandue : sans doute a t’on longtemps considéré qu’il s’agissait là d’un processus accessoire vu la relative faible surface représentée par les tiges de la majorité des plantes ? Une étude récente s’est penchée sur ce problème et apporte des réponses intéressantes (1).

Un rouge protecteur

La couleur rouge provient de pigments chimiques synthétisés par les plantes connus sous le nom collectif d’anthocyanes pour la majorité des plantes herbacées à l’exception d’un groupe original incluant les caryophyllacées ou les amarantacées (Caryophyllales) teintées en rouge par d’autres pigments, les bétalaïnes (que l’on retrouve en abondance dans la betterave rouge, une amarantacée). Chez les végétaux ligneux, la couleur rouge des tiges provient de substances proches des anthocyanes (flavonoïdes ployphénols), des lignines et certains pigments présents en faible quantité. Ils sont localisés dans « l’écorce » des tiges, autant dans la couche externe épidermique que dans les trois ou quatre couches suivantes.

Au niveau des feuilles, l’apparition de la couleur rouge en automne notamment (mais elle peut aussi se manifester dans les jeunes feuilles au moment de leur émergence) a donc fait l’objet d’une foule d’études et aussi de nombreux débats scientifiques très animés quant à ses fonctions. L’hypothèse majeure serait un rôle protecteur des chloroplastes, ces microscopiques grains verts des cellules qui contiennent la chlorophylle et sont le siège de la photosynthèse, face à une exposition à une lumière intense comme en plein été. Les anthocyanes, pour faire simple, absorberaient les photons (les « grains » de lumière) en trop et limiteraient les dégâts infligés aux molécules responsables de la phase lumineuse de la photosynthèse (Photo Système II en jargon scientifique) et atténueraient la baisse de photosynthèse induite. L’autre hypothèse majeure, vivement débattue, serait un rôle protecteur vis-à-vis des herbivores au sens large au premier rang desquels les chenilles ou les suceurs de sève tels que les pucerons ou bien un rôle de signal dans le cadre d’une communication plante/herbivores.

Pour les tiges, bien moins exposées à ces herbivores de par leur consistance, c’est la première hypothèse qui semble là aussi en cause et qui a été explorée dans l’étude mentionnée (1).

Crème solaire

Une étude antérieure à celle-ci (2002) s’était intéressée à l’ambroisie argentée (Ambrosia chamissonis) proche de la tristement célèbre ambroisie à feuilles d’armoise naturalisée en Europe ; exposées au plein soleil, les tiges prennent une coloration rouge au niveau des entre-nœuds en synthétisant des anthocyanes. Ceux-ci absorbent donc l’excès de lumière et empêchent ainsi la dégradation d’une précieuse molécule fabriquée par la plante, la thiarubrine-A, très sensible à l’action de la lumière (photo-labile). Or, cette thiarubrine sert de composé de défense anti-fongique et anti-bactérien pour l’ambroisie. Problème : ceci ne peut être généralisé car peu de plantes synthétisent cette thiarubrine ! Reste donc la piste plus généralisable de la protection directe du système photosynthétique lui-même.

Parmi les plantes aux tiges rouges figure un arbuste très connu du grand public au moins de vue : le cornouiller soyeux (originaire d’Amérique du nord) très planté sur les talus des espaces verts ou le long des routes.

Cornouiller soyeux horticole avec deux de ses variétés dont celle à tiges rouges

Comme le cornouiller sanguin (voir chronique), il présente l’avantage d’avoir des tiges rouges mais aussi un feuillage rougissant en automne (ce qui n’est pas le cas de la majorité des plantes à tiges rouges). Une étude portant sur le feuillage de cet arbuste (2) avait déjà montré le rôle photo-protecteur de la couleur rouge : des feuilles rougissantes voyaient leur photosynthèse réduite de 60% lors d’une exposition à une très forte lumière contre … 100% de baisse pour des feuilles vertes. Mieux encore : placées à l’obscurité après ce traitement, les feuilles rouges retrouvent rapidement leur activité maximale alors que les vertes mettent six heures ! La couleur rouge sert donc bien d’atténuateur solaire ; reste à le vérifier pour les tiges !

Avantage au rouge

On oublie souvent que les jeunes tiges jouent un rôle non négligeable dans la photosynthèse : sous leur écorce et tissus protecteurs associés (voir ci-dessus) se trouve un tissu un peu spongieux contenant des chloroplastes et capable d’effectuer la photosynthèse comme dans les feuilles, même si l’écorce atténue largement la pénétration de la lumière par sa simple épaisseur.

L’étude réalisée (1) a porté sur six espèces tests : des herbacées comme la grande camomille, la verge d’or géante ou la lobélie érine ou des arbustes dont le cornouiller soyeux. Les résultats obtenus avec l’ensemble de ces espèces convergent nettement vers un rôle photoprotecteur. Les entre-nœuds des tiges palissées horizontalement (et ainsi fortement exposées au soleil en permanence) voient leur niveau d’anthocyanes augmenter fortement. Les jeunes tiges rouges ne retransmettent au tissu chlorophyllien sous l’écorce (voir ci-dessus) que 15% des radiations lumineuses utiles à la photosynthèse alors que des tiges vertes en laissent passer 32% : donc, face à une forte insolation, les rouges modèrent l’impact négatif d’une trop forte lumière. Sur une même tige, les parties rouges montrent une baisse de leur activité photosynthétique bien moindre que les parties vertes intercalées quand elles se trouvent en situation de forte lumière. Enfin, la photoprotection est d’autant plus grande qu’il y a un pourcentage élevé d’anthocyanes (pour 5 espèces sur les 6 testées), preuve décisive.

Film rouge

Pour confirmer cet effet, les chercheurs ont enveloppé des jeunes tiges vertes avec un film transparent rouge (ayant un effet similaire à des anthocyanes) ; l’amélioration sur la photosynthèse en situation de forte insolation est alors de 16%. Les anthocyanes en fait réduisent fortement certaines longueurs d’onde lumineuses comme le vert mais laissent passer le rouge ; le tissu chlorophyllien sous l’écorce reçoit ainsi moins de lumière verte ce qui permet de moduler l’activité photosynthétique. En effet, contrairement aux feuilles, les tiges n’ont pas d’orifices (stomates) pour réguler la circulation des gaz ; le dioxyde de carbone pénètre par diffusion mais il tend à s’accumuler dans le tissu chlorophyllien ce qui acidifie le milieu et finit par bloquer la photosynthèse. Les anthocyanes jouent alors un rôle régulateur pour éviter cet « embouteillage ».

Sur le cornouiller soyeux, les chercheurs ont pu montrer cet effet non seulement expérimentalement avec le film rouge mais aussi in vivo ; les tiges orientées vers l’Ouest profitent le plus de l’effet anthocyane le matin et pour celles orientées vers l’Est seulement l’après midi. Ceci suggère que les anthocyanes agissent plus en saturant la lumière diffuse que la lumière directe.

L’apparition des anthocyanes requiert de la lumière comme le prouvent les tiges horizontales qui ne rougissent que sur la face tournée vers le soleil. Ceci explique pourquoi les tiges couchées (marcottage naturel) tendent à être rouges dessus et vertes dessous et que celles enserrées par des laines ne présentent pas de rouge là où se trouve la liane. C’est donc un mécanisme de feed-back où le facteur à corriger déclenche l’apparition des anthocyanes aptes à le réguler.

Des exceptions

Sur les six espèces testées, seule la lobélie érine ne réagissait pas tout à fait de la même manière : sous une lumière saturée, les tiges rouges n’atténuaient que très peu l’effet inhibiteur du fort éclairement. Il s’agissait d’un cultivar sélectionné pour sa coloration foncée avec de hauts niveaux d’anthocyanes partout (fleurs bleu foncé) ; ceci démontre (même s’il s’agit d’un cas artificiel) que ce processus ne doit pas concerner toutes les plantes. Nous avons vu aussi le cas particulier des ambroisies où l’effet était indirect (voir premier paragraphe).

Il reste aussi à expliquer pourquoi les anthocyanes se concentrent à certains endroits précis comme la base des entre-nœuds ou autour de blessures induites par des morsures d’herbivores, ce qui rejoindrait la seconde hypothèse évoquée pour les feuilles.

Enfin, les chercheurs (1) ont expérimentalement enlevé l’écorce et les fines couches en dessous de manière à exposer directement le tissu chlorophyllien de jeunes tiges vivantes : celles qui étaient rouges conservent un léger avantage alors qu’elles n’ont plus leur protection : ceci indique que d’autres mécanismes doivent intervenir.

Même si la physiologie végétale peut sembler ardue et aride au néophyte, elle n’en permet pas moins de comprendre et d’expliquer des faits biologiques qui nous interpellent au quotidien comme le rougissement des tiges !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Why some stems are red: cauline anthocyanins shield photosystem II against high light stress. Kevin S. Gould, Dana A. Dudle and Howard S. Neufeld. Journal of Experimental Botany, Vol. 61, No. 10, pp. 2707–2717, 2010
  2. Why leaves turn red in autumn. The role of anthocyanins in senescing leaves of red-osier dogwood. Feild TS, Lee DW, Holbrook NM. Plant Physiology 127, 566–574. 2001.