La splendide « collection » de molènes devant la maison de Jeanne

08/07/2022 en 2020, j’avais rapporté dans une chronique intitulée La molène de Jeanne, l’histoire de ce superbe pied spontané de grande molène que Jeanne, habitante dans le village de Saint-Myon (63) où je réside, avait laissé pousser devant sa maison. En plus elle a eu l’excellente initiative de la laisser fructifier et sécher sur pied : ainsi, ladite molène a pu disperser ses graines avant de mourir naturellement (plante bisannuelle) et, depuis, chaque année, de nouveaux pieds apparaissent à partir de graines qui ont germé sur place. Cette année, c’est une superbe colonie d’au moins dix pieds qui s’est installée et décore de la plus belle façon le devant de sa maison. Comme récemment Jeanne m’a signalé qu’elle voyait « beaucoup de bêtes sur ses molènes », j’ai effectué trois raids photos trois matins de suite avec succès. Je vais ici rapporter les espèces observées sur ces molènes préservées, histoire de montrer l’importance de telles initiatives pour la biodiversité locale. 

Pollinisateurs 

Tôt le matin, pas moins de huit bourdons très affairés s’activent autour des longs épis chargés de fleurs ; ils visitent frénétiquement les fleurs en privilégiant celles qui restent un peu fermées au centre des épis et qui viennent juste d’éclore et n’ont donc pas encore été visitées. Ils tournent sur place de manière à récolter l’abondant pollen des grosses étamines (voir les détails dans la chronique La molène de Jeanne).

Ils le stockent sous forme de boulettes orange vif accrochées aux pattes postérieures dotées d’un système d’accrochage. Alors que la sécheresse commence à faire ses effets et que tondeuses et faucheuses détruisent avec zèle tout ce qui ose fleurir près des maisons, trouver des fleurs riches en ressources (pollen et/ou nectar) devient crucial et de plus en plus difficile à un moment où le couvain est en pleine croissance : alors, ces quelques molènes peuvent devenir vitales pour la survie de colonies de bourdons aux alentours. Le pollen riche en protéines sert de « bifteck » pour le couvain des colonies. Comme les molènes ouvrent chaque jour de nouvelles fleurs en progressant vers le haut de leurs interminables épis, elles assurent le ravitaillement pour au moins deux à trois semaines de colonies entières. 

Des petites abeilles solitaires sombres (voir la chronique sur ces insectes pollinisateurs majeurs), très actives, s’accrochent aux anthères ouvertes des étamines pour récolter elles aussi du pollen orange ; ce seraient des Lasioglossum, un genre qui compte plus de … 100 espèces en France. Elles creusent des galeries dans des sols tassés et en extraient la terre en amas fins. Pour elles aussi, cette colonie de molènes doit être une bénédiction tant la ressource est abondante, même si elles doivent subir la concurrence des bourdons, dominants et bien plus efficaces. Contrairement à ceux-ci, elles se tartinent le corps et les pattes de pollen et ne possèdent pas de dispositif particulier pour la collecte. On sait que pour nombre d’abeilles solitaires, la ressource « fleurs sauvages » est déterminante pour leur survie et leur reproduction. Par contre, je ne vois aucune abeille domestique bien qu’il y ait des ruches dans le secteur (voir la chronique Le seigneur des abeilles).

Quelques syrphes viennent aussi visiter ces fleurs (voir la chronique sur ces insectes pollinisateurs) ; j’en observe au moins trois espèces ; potentiellement, il peut y en avoir bien plus même ici en milieu semi-urbanisé. 

Herbivores 

Bien que dotées d’un système défensif redoutable à base de poils cassants (voir la chronique Molènes : des poils à tout faire), les molènes subissent quand même les attaques de quelques espèces d’insectes herbivores capables de contourner ces défenses. 

A la base des feuilles qui enserrent la tige dans sa moitié inférieure, on note des crottes noires et des dégâts localisés avec des « fenêtres » ouvertes dans les tissus : ce sont les traces probables de chenilles de papillons nocturnes du groupe des noctuelles. Les plus répandues sur ces plantes sont celles de cucculies (dont une espèce nommée la brèche) dont les chenilles se reconnaissent à leur parure bigarrée de bleu, de jaune et de points noirs. Mais là, elles ont dû finir leur développement et se métamorphoser en chrysalides dans le sol car aucune n’est visible. On peut trouver les chenilles d’au moins huit espèces de papillons nocturnes sur les molènes et celles d’un papillon de jour présent sur la commune, la mélitée orangée.

De belles punaises bariolées de vert et de rouge circulent au milieu des épis : des punaises des baies, une des espèces les plus communes en France ; avec leur rostre, elles piquent les fruits ou fleurs en boutons pour en aspirer les sucs. 

De minuscules bêtes noires (quelques millimètres) se déplacent au milieu des capsules vertes et des boutons floraux. Si on s’approche trop près ou qu’on écarte une feuille pour mieux les voir, ils se laissent tomber en faisant le mort. Ce sont des charançons du genre Cionus, des ciones, dont au moins quatre espèces proches sont inféodées aux molènes. Ils pondent sur les feuilles et leurs larves (mini vers blancs) se recouvrent d’un mucus collant fabriqué par l’anus ; ainsi protégées, elles rongent le dessous des feuilles sur quelques millimètres d’épaisseur avant de se métamorphoser dans un cocon collé à la feuille. 

On pourrait aussi observer des abeilles cotonnières ou anthidies à manchettes qui viennent récolter la bourre des poils sur les feuilles et tiges pour fabriquer leurs nids cotonneux ; je ne les ai pas observées ici mais j’en ai dans mon jardin à une grosse centaine de mètres d’ici ; elles ne s’activent vraiment qu’en pleine chaleur et mes visites ont été tôt le matin.

Commensaux 

Des plantes aussi robustes et aussi riches en faune associée (voir ci-dessus) ne manquent pas d’attirer des prédateurs ou des amateurs de débris ; elles constituent aussi de bons abris pour se cacher vu leur feuillage dense à la base et l’imbrication des fleurs. Ainsi, je note une petite araignée qui doit probablement s’intéresser aux abeilles solitaires. Un opilion ou faucheux (voir la chronique sur ces animaux qui ne sont pas des araignées) déambule sans doute à la recherche de déchets ou d’insectes morts. 

Une guêpe poliste (voir la chronique) vient visiter une inflorescence : elle ne semble pas s’intéresser aux fleurs mais prospecte sur les fruits verts et les boutons floraux ; elle doit rechercher des larves de charançons ou des chenilles ou des pucerons car les guêpes sont des carnassiers qui malaxent leurs proies pour nourrir leurs larves. 

Guêpe en maraude

Cet aperçu, forcément incomplet, m’a quand même permis d’observer au moins neuf espèces d’insectes et d’arachnides sur ces quelques plantes fleuries. Ceci nous confirme l’importance capitale de conserver le plus possible de flore indigène autour des maisons et le long des rues. Cessons de couper, tondre, traiter, brûler, arracher tout ce qui pousse naturellement … pour le remplacer souvent par des plantes achetées en jardinerie, souvent inexploitables pour les insectes locaux car d’origine exotique, et qui portent leur lot de pesticides. 

Les molènes pourraient être un étendard pour des vraies maisons fleuries .. pour la biodiversité

Chaque année, il y a un concours des maisons fleuries où l’on récompense la maison la plus « fleurie » … sauf qu’il s’agit presque toujours de fleurs cultivées en partie (pas toutes néanmoins) sans intérêt pour la faune locale. Alors, récompensons plutôt les propriétaires de maisons qui, comme celle de Jeanne, conservent des ilots de biodiversité végétale locale pour le plus grand profit de la biodiversité animale. Le déclin de la biodiversité dont tout le monde parle concerne tous les milieux et pas seulement la savane africaine ou les forêts amazoniennes : nos environnements immédiats sont soumis à de fortes pressions humaines et la biodiversité dite ordinaire connaît elle aussi un net déclin faute de trouver abri et nourriture. Alors, si chacun devant chez soi autorise quelques plantes sauvages à se développer, cette biodiversité aura quelques chances de se maintenir et de regagner du terrain. Ca ne coûte pas grand-chose : juste d’arrêter d’intervenir à tout crin et de dépenser de l’énergie et d’utiliser des substances nocives. Et avec en plus le privilège incommensurable d’observer les va-et-vient de toute cette petite faune fascinante.

11/07 Ce matin, en repassant devant les molènes, j’y découvre une nouveauté : attablées sur les boutons floraux, des larves blanchâtres dodues que je ne connais pas. A suivre et une pièce de plus dans le puzzle de biodiversité autour des molènes .

En poursuivant ma balade dans le quartier, j’ai aussi eu la belle surprise de voir d’autres molènes devant des maisons ; ça redonne un peu de moral et ça montre qu’une cohabitation bienveillante avec la biodiversité est possible.