Polygonatum odoratum

sceau-panorama

Peuplement fleuri dans un sous-bois clair. Auvergne

Chez le sceau-de-Salomon officinal (Polygonatum odoratum), les tiges produites par un rhizome souterrain horizontal (voir la chronique sur l’investissement sexuel du sceau-de-Salomon) ne fleurissent que lorsqu’elles ont élaborées un nombre minimal de feuilles (en moyenne une dizaine) et, plus il y a de feuilles, plus il y aura a priori de fleurs. L’inflorescence portée par la moitié supérieure de la tige arquée se compose de fleurs solitaires ou par deux à l’aisselle des feuilles supérieures : elles se développent de la base vers le sommet et fleurissent progressivement dans cet ordre d’apparition ; on peut donc distinguer les « fleurs du bas » (les premières apparues à la base de l’inflorescence) et les « fleurs du haut » (les dernières apparues en haut de l’inflorescence arquée. Cette floraison séquentielle, de bas en haut, en fait une plante modèle pour étudier l’influence de la position des fleurs sur la reproduction comme l’a fait une équipe espagnole (1).

Haut ou bas : çà change tout

Près de 73% des fleurs d’une inflorescence produisent des fruits mais ce taux de réussite est significativement plus élevé pour les fleurs du bas (88,6 +/- 39%) que pour les fleurs du haut (51,8 +/- 24,4%) ; en plus, les fruits issus de fleurs du bas ont plus de graines par fruit. Pour comprendre les causes d’une telle différenciation sur une même inflorescence, les auteurs de l’étude ont mené sur le terrain des expérimentations consistant à enlever les fleurs du bas et/ou à apporter chaque jour de la floraison, manuellement, du pollen sur les fleurs du haut ; les comptages de fruits produits et du nombre de graines par fruits permettent ensuite de faire des corrélations et de tester diverses hypothèses.

On pourrait penser que les fleurs du bas qui fleurissent en premier ont logiquement plus de chances d’être fécondées que celles du haut qui finalement vont recevoir moins de visites ; or, les expériences montrent que le fait d’apporter du pollen supplémentaire sur les fleurs du haut ne change rien à leur moindre succès. Il faut donc envisager d’autres hypothèses.

Les grosses clochettes blanches odorantes de ce sceau-de-Salomon sont assidûment visitées par les bourdons ; or, classiquement, ces insectes visitent presque toujours les inflorescences en allant des fleurs les plus épanouies vers les moins épanouies (ici donc du bas vers le haut) pour des raisons d’efficacité. Le décalage de maturité entre  les étamines et le style pour une fleur donnée pourrait faire que la qualité du pollen des fleurs du bas plus avancées ne convienne pas pour les fleurs du haut car la pollinisation croisée est obligatoire chez cette plante. Là encore, l’apport de pollen prélevé sur d’autres pieds, au hasard, ne change rien dans la production de fruits ce qui élimine cette hypothèse.

Il a été montré que chez certaines espèces de plantes l’architecture spatiale des inflorescences imposait des contraintes internes qui affectent le devenir des fleurs selon leur position indépendamment du devenir des autres. Or, l’étude montre que si on enlève les fleurs du bas, la probabilité que les fleurs du haut produisent effectivement des fruits augmente et finit même par atteindre les valeurs moyennes des fleurs du bas et le nombre de graines par fruit augmente aussi. Donc, l’hypothèse de l’effet architectural ne tient pas car le succès devrait être inchangé suite à une telle intervention.

La position relative des fleurs induit l’idée que les plus proches de la base (et donc des grandes feuilles en dessous de l’inflorescence et du rhizome chargé de réserves) soient favorisées dans la distribution des ressources alimentaires, la sève circulant vers le haut. Les résultats dans le paragraphe précédent suggèrent bien l’existence d’une compétition alimentaire entre fleurs d’une même inflorescence selon leur position. Par contre, le poids des fruits (la pulpe essentiellement) n’est pas affecté.

Autrement dit, il semble que le sceau-de-Salomon officinal produise des « fleurs en plus ou en trop» (celles du haut) peu rentables a première vue en terme de produire une descendance. La conservation d’un tel caractère impose l’idée qu’il doit forcément y avoir un avantage adaptatif à ne pas limiter le nombre de fleurs aux seules susceptibles d’être « bien nourries ».

Des fleurs en plus : pour quoi faire ?

Avoir plus de fleurs par inflorescence permettrait-il d’attirer plus de pollinisateurs et de compenser un manque de pollen indispensable pour la formation des fruits ? Or, au cours de l’étude, toutes les fleurs de certaines tiges ont été pollinisées et pour autant la production de fruits est restée différenciée nettement entre fleurs du haut et du bas. On connaît aussi des cas de plantes qui ont la capacité de faire avorter les fruits de faible qualité (pas assez de graines ou graines non viables parce que non issues d’une fécondation croisée) ; mais, ici, la floraison séquentielle de bas en haut exclut cette possibilité.

Peut-être que ces plantes produisent plus de fleurs qu’elles ne peuvent vraiment nourrir au cas où elles connaîtraient une année exceptionnelle climatiquement parlant ou en cas d’une forte attaque d’herbivores ? Les auteurs de l’étude n’excluent pas cette hypothèse qu’il faudrait tester. Notons que cette espèce habite souvent des sites rocailleux assez secs et que les conditions climatiques printanières (notamment les précipitations) affectent beaucoup leur développement. Ces fleurs en plus seraient une réserve au cas où de tels évènements favorables se produiraient ?

Il reste un dernier aspect particulier de la sexualité du sceau-de-Salomon officinal qui permet d’esquisser une autre hypothèse par rapport au pollen : certains pieds présentent des inflorescences dont les fleurs du haut sont fonctionnellement mâles en non hermaphrodites (le style est avorté ou non fonctionnel) ; or, on a vu que le nombre d’ovules produit par les fleurs du haut était en moyenne inférieur à celui des fleurs du bas. D’où l’hypothèse d’une spécialisation des fleurs selon leur position dans l’inflorescence : celles du haut dans la production de pollen et celles du bas dans la production de fruits. Remarquons que les auteurs de l’étude ont bien pris la précaution de ne pas prendre en compte de telles plantes dans leurs expérimentations ou statistiques ce qui aurait biaisé leurs résultats.

 Gérard GUILLOT ; zoom-nature.fr 

BIBLIOGRAPHIE

  1. Causes of Fruit Set Variation in Polygonatum odoratum. J. Guitiàn, P. Guitiàn, and M. Medrano. Plant biol. 3 (2001) 637-641.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le sceau-de-Salomon officinal
Page(s) : 250-251 Guide des Fleurs des Fôrets
Retrouvez le sceau-de-Salomon officinal
Page(s) : 50-51 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus