Polygonatum odoratum

L’investissement sexuel d’une plante à fleurs hermaphrodites renvoie à la répartition des ressources entre la fonction reproductrice mâle (production de pollen) et la fonction reproductrice femelle (production d’ovules et de graines). Le sceau-de-Salomon officinal par sa floraison séquentielle de bas en haut le long des ses tiges fleuries constitue un bon modèle comme le montrent les travaux menés en Espagne (voir l’autre chronique consacrée à cette espèce) : le succès reproducteur des fleurs d’une inflorescence dépend de leur position en bas ou en haut dans l’inflorescence.

L’étude publiée en 2001 (1) s’est prolongée jusqu’en 2004 (2) en se plaçant à trois niveaux d’observation : la fleur individuelle ; l’inflorescence (tige fleurie) ; la population. Les auteurs de cette seconde étude ont suivi deux populations éloignées l’une de l’autre dans le nord-est de l’Espagne en analysant les variations d’un certain nombre de paramètres liés à la reproduction en fonction de ces trois points de vue.

Un système sexuel mouvant

L’inflorescence qui se compose d’une succession d’étages de 1 à 3 fleurs (des cymes) à l’aisselle des feuilles supérieures peut comporter deux types de fleurs, extérieurement identiques avec la « corolle » blanche et verte en tube pendant. Les fleurs hermaphrodites comptent six étamines et un ovaire à trois loges, chacune d’elles renfermant de 2 à 8 ovules ; un style mince bien net (1cm de long) surmonte l’ovaire et se termine par un stigmate petit et trilobé. Les fleurs mâles ont elles aussi six étamines et un ovaire mais celui-ci a un style absent ou atrophié (visible alors seulement à la loupe) et ne contient jamais d’ovules. Selon les plantes, on trouve des inflorescences avec toutes les fleurs hermaphrodites, d’autres avec un mélange de fleurs mâles et hermaphrodites et d’autres avec que des fleurs mâles.

Pollen versus ovules

Les résultats montrent qu’il existe une très forte variabilité dans le nombre d’ovules et le nombre de grains de pollen par fleur et ce que l’on se place au niveau de la fleur, de l’inflorescence ou de la population. Le nombre d’ovules par fleur varie beaucoup entre fleurs d’une même inflorescence (donc au niveau individuel) alors que le nombre de grains de pollen varie très peu à ce niveau mais varie fortement à la fois entre plantes d’une même population et d’une population à l’autre. La composante mâle (pollen) semble donc plus stable au niveau individuel que la composante femelle.

Le nombre d’ovules et de grains de pollen par fleur diminue pour une inflorescence quand on progresse du bas vers le haut mais cette évolution s’avère différente selon la population étudiée : dans l’une, les deux valeurs diminuent nettement de bas en haut alors que dans la seconde, le nombre de grains de pollen par fleur change peu selon la position dans l’inflorescence : dans cette seconde population, il y a donc plus de fleurs du haut qui sont fonctionnellement mâles : elles produisent du pollen et pas d’ovules.

Dans les deux cas, même quand on ne prend en compte que les fleurs hermaphrodites, on trouve toujours une diminution de la production d’ovules par fleur du bas vers le haut : autrement dit, une partie des fleurs d’apparence hermaphrodites se comportent comme des fleurs mâles et produisent peu ou pas d’ovules. La floraison séquentielle permet de comprendre ce processus autant que le comportement des bourdons pollinisateurs qui visitent toujours les inflorescences du bas vers le haut.

Inflorescence pendante portée par une tige unique arquée

Inflorescence pendante portée par une tige unique arquée et qui fleurit progressivement du bas vers le haut

En effet, la première fleur du bas qui s’ouvre recevra obligatoirement du pollen « étranger » venu d’une autre tige, laquelle appartient peut-être quand même à la même plante vu le caractère clonal du sceau-de-Salomon qui produit plusieurs tiges sur un rhizome ramifié (voir premier paragraphe) ; par contre, les fleurs suivantes peuvent recevoir aussi bien du pollen étranger que du pollen issu de fleurs juste en contrebas sur la même inflorescence. Comme les fleurs ne peuvent s’autopolliniser, l’efficacité de la pollinisation va diminuer au fur et à mesure que l’on va vers le haut. Seule la toute dernière fleur d’en haut, si elle reste fleurie assez longtemps et que toutes les autres soient fanées pourra elle aussi recevoir du pollen étranger sauf qu’alors l’inflorescence ne sera plus très attractive ! Donc, les fleurs du haut ont de toutes façons plus de chances d’être donneuses de pollen vis-à-vis des fleurs les plus proches.

La taille de la tige change t’elle l’investissement sexuel ?

Normalement, plus une plante est grande et dispose donc de ressources alimentaires et plus elle doit porter de fleurs capables de produire des ovules qui sont les plus coûteux en terme de ressources, autrement dit des fleurs « femelles ». Or, l’étude a montré une tendance différente dans les deux populations étudiées : dans la première, le nombre de fleurs mâles par plante est indépendant de sa taille alors que le nombre de fleurs hermaphrodites augmente avec la taille ; mais dans la seconde, il existe un seuil de taille et de nombre de feuilles par tige en dessous duquel les plantes ont uniquement des fleurs mâles. Cette stratégie du « tout mâle » serait un moyen d’économiser les ressources dans les situations difficiles.

Une plante en pleine évolution sexuelle

Le résultat le plus frappant de cette étude reste la forte variabilité dans l’expression de l’investissement sexuel dans les deux fonctions mâle et femelle à la fois selon les fleurs, selon les plantes et selon les populations, ce dernier niveau ayant très rarement été étudié. Pour une plante, produire moins de fleurs hermaphrodites et plus de fleurs mâles semble plus avantageux que de ne produire que des fleurs hermaphrodites mais avec une faible production de fruits. La spécialisation observée des fleurs du haut à devenir mâles (morphologiquement ou fonctionnellement) serait liée à des différences dans les ressources disponibles selon les populations. On peut penser que cette tendance évolutive observée devrait s’affirmer dans l’avenir surtout si les conditions environnementales tendaient à devenir défavorables comme par exemple dans le cadre du réchauffement climatique.

Gérard GUILLOT ; zoom-nature.fr

BIBLIOGRAPHIE

  1. Causes of Fruit Set Variation in Polygonatum odoratum. J. Guitiàn, P. Guitiàn, and M. Medrano. Plant biol. 3 (2001) 637-641.
  2. Variation in Floral Sex Allocation in Polygonatum odoratum. J. GUITIAN, M. MEDRANO and J. E. OTI. Annals of Botany 94: 433–440, 2004

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le sceau-de-Salomon officinal
Page(s) : 250-251 Guide des Fleurs des Fôrets
Retrouvez le sceau-de-Salomon officinal
Page(s) : 50-51 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus