Oncostema peruviana

La touffe de scille du Pérou de mon jardin devant la bassine aux libellules

Depuis plus de dix ans, dans mon jardin, chaque printemps une belle touffe de scille du Pérou me gratifie de sa somptueuse floraison. Chaque année, je la mitraille sous les angles, suivant pas à pas la progression de la floraison surprenante et originale. Cette plante possède par ailleurs une histoire intéressante.

Nouveau genre

Pour les jardiniers, la scille du Pérou fait partie des bulbeuses ou plantes à bulbe mais il s’agit là d’un classement écologique car on trouve de telles plantes dans diverses familles de plantes à fleurs. Deux grandes familles non directement apparentées en contiennent une majorité : les Liliacées avec les lis, tulipes, fritillaires, gagées et les Asparagacées, riche famille très hétérogène où se situe notre scille. Elle se classe dans la tribu des jacinthes avec les muscaris au sein de la sous-famille des Scilloïdés.

Elle a longtemps été rattachée au genre Scilla sous le nom d’espèce Scilla peruviana mais des études génétiques récentes ont démontré que ce genre très hétérogène englobait en fait des entités bien différentes ; il a donc été explosé en plusieurs genres mais, pour l’usage populaire, on a conservé pour toutes ces ex-Scilla, la dénomination vernaculaire de « scille » (voir à propos de cette démarche de classification l’exemple des mésanges). Ainsi, la scille d’automne est passée dans le genre Prospero, la scille lis-jacinthe dans le genre Tractema (voir la chronique sur cette espèce forestière) tout comme la scille printanière atlantique et la scille du Pérou est devenue Oncostema peruviana ! Oncostema a été formé à partir de deux racines : onco pour tas , masse (voir l’usage pour désigner une tumeur en oncologie) et stema pour filaments, allusion aux larges filets des étamines. Le genre Scilla persiste néanmoins mais avec une seule espèce en ce qui concerne notre flore, la jolie petite scille à deux feuilles (Scilla bifolia).

Squille

Le nom populaire de scille remonte au moins au 13èmesiècle sous la forme esquille puis squille au 15èmeavant de devenir scille. D’ailleurs les anglo-saxons les nomment squill. Clairement repris du latin Scilla, lui-même emprunté à un mot grec scullein qui signifiait nuire ; en effet, chez les Grecs antiques, scille s’appliquait à une autre espèce, la scille maritime ou oignon marin, espèce dotée d’un énorme bulbe (jusqu’à 20cm de diamètre) à fleur de terre et hôte des garrigues pierreuses côtières du bassin méditerranéen ; elle est très présente dans les phryganas balkaniques, l’équivalent de nos garrigues (voir la chronique  sur la sauge de Jérusalem) et était surtout très réputée comme médicinale. Le bulbe contient tout un arsenal de substances chimiques hyper toxiques (ce qui le protège des attaques des rongeurs) dont des glycosides cardiotoniques violents avec une action voisine de la digitaline ; on s’en servait pour soigner (avec risques élevés !) l’hydropisie ou rétention d’eau (on la qualifiait d’hydragogue)  ou comme raticide !

La scille du Pérou n’est pas très proche parente de cette scille maritime mais elles sont toutes les deux dans la même sous-famille et la scille du Pérou possède elle aussi son attirail chimique toxique dans ses bulbes dont des hyacinthacines et divers glycosides pyrrolidines inhibitrices de certaines enzymes métaboliques et de ce fait aussi bactéricides.

Notons pour en finir avec scille que ce mot peut être utilisé rarement par métonymie soit pour désigner la couleur bleue (voir ci-dessous), soit le produit raticide extrait du bulbe de la scille maritime.

Peruviana

Venons en à l’épithète du nom d’espèce repris dans le nom populaire : peruvianaqui signifie « du Pérou » (péruvien). On le retrouve sous plusieurs variantes comme scille géante du Pérou ou jacinthe du Pérou et leurs équivalents anglo-saxons. On trouve aussi le nom de Lis de Cuba : allons bon, cette plante aurait donc plusieurs origines ou une vaste aire de répartition originelle ? Pas du tout : il s’agit en fait d’une plante strictement méditerranéenne dont l’aire d’indigénat couvre en fait une bonne partie de l’Espagne, le Portugal (d’où l’appellation anglaise de Portuguese squill) et de l’Afrique du nord, très rare en Provence et Corse et naturalisée çà et là (voir la suite). Elle habite les garrigues, les bords des chemins, des pelouses détrempées en hiver, les anciennes terrasses sur des sols souvent humides en humides mais toujours en plein soleil ; à basse altitude, elle a un comportement surtout côtier.

Mais alors pourquoi ce nom ? L’épithète d’espèce peruviana lui fut attribuée par Linné en 1753 sur la base d’un nom précédemment utilisé en 1601 par Charles de  L’Ecluse (connu sous son pseudo de botaniste Carolus Clusius) : ce dernier avait décrit cette plante avec la périphrase Hyacinthus stellatus peruanus (« jacinthe étoilée du Pérou »). On prétend que cette dénomination vient du fait que les spécimens examinés en Angleterre par C Clusius étaient arrivés d’Espagne à bord d’un bateau nommé … Peru : le botaniste aurait donc cru que la plante venait en fait du Pérou ! Comme les règles internationales de la nomenclature botanique imposent de ne pas changer un nom scientifique précédemment attribué, on a conservé ce « faux » nom !

Cycle méditerranéen

Comme une majorité de bulbeuses des milieux ouverts méditerranéens, la scille du Pérou développe ses rosettes de feuilles dès  l’automne et en hiver (la saison des pluies !) à partir d’un gros bulbe à tuniques (entre 5 et 8cm de diamètre), brun couvert d’écailles un peu laineuses. Ce bulbe pratique une active multiplication végétative et produit autour de lui chaque année de nouveaux bulbes si bien qu’au fil du temps la plante finit par former des touffes denses qui s’étalent. Les feuilles, au nombre de six à quinze par bulbe, d’un vert foncé, allongées, se rétrécissent en pointe en capuchon au sommet ; si on les examine avec une loupe puissante, on note sur le bord la présence de papilles en forme de poils très courtes (de 1 à 3 dixièmes de millimètre) et espacées ; sous la feuille, on note aussi un revêtement espacé de paquets minuscules de poils blanchâtres.

Les réserves accumulées dans le bulbe depuis l’automne permettent la floraison rapide et massive, impressionnante en volume (voir ci-dessous) qui a lieu en mai-juin. Ensuite, les fleurs fanent assez vite et fructifient (voir ci-dessous). Le feuillage jaunit et sèche ; la plante entre alors dans une phase de repos végétatif qui coïncide avec la période sèche et chaude. Elle est réputée pour sauter régulièrement une année de floraison et rester à l’état végétatif mais ceci concerne les plantes sauvages ; en culture, pour peu qu’on l’arrose un peu, elle fleurit fidèlement tous les ans.

Pomme de pin

 

Le spectacle de la floraison vaut le détour. L’inflorescence émerge au milieu de la rosette de feuilles sous forme d’un cône chevelu allongé au sein duquel on devine les boutons floraux foncés ; les fils verts dressés correspondent aux bractées qui sous-tendent chacune des fleurs. Le cône est porté par une hampe courte et forte qui monte peu : ce caractère constitue d’ailleurs un des critères qui la distinguent des autres genres de scilles.

Puis, le cône se déploie à sa base avec la floraison des fleurs les plus externes et les plus basses portées sur des pédicelles allongés à l’horizontale ; le dôme central prend une coloration bleu violet intense. La floraison progresse ainsi vers le centre et en montant et l’inflorescence déployée prend la forme d’une volumineuse pyramide pouvant atteindre à son apogée plus de 25cm de diamètre sur 15cm de hauteur. Comme les pédicelles inférieurs s’allongent bien plus que les supérieurs, on peut parler de corymbe même si les fleurs ne se trouvent pas exactement dans le même plan. Cette forme si particulière lui a valu le surnom catalan de « pinya blava », pomme de pin bleue !

Chaque fleur d’un bleu électrique du plus bel effet a une structure en étoile de 1 à 2cm de diamètre avec six tépales ; même les filets des étamines, soudés à leur base élargie,  sont bleu foncé sauf les anthères jaunes.

Les fleurs reçoivent les visites de diverses abeilles qui assurent la pollinisation ; chaque fleur fécondée fane très vite et donne une capsule pointue à trois loges contenant chacune trois ou quatre graines.

Ce fruit sec s’ouvre à maturité et expose les graines d’un noir intense : cette coloration due à des pigments particuliers, les phytomélanines, signe la plupart des membres des familles de l’ordre des Asparagales (sauf les orchidées) dans lequel est inclus la famille des Asparagacées.

Espèces

Le genre Oncostema compte environ huit espèces, toutes du sud-ouest du bassin méditerranéen, dont plusieurs endémiques de zones restreintes comme en Sicile (O. hughii) ou en Tunisie près du cap Bon pour une espèce récemment décrite (O.maireana). En France, la scille du Pérou se rencontre à l’état naturalisé en Provence et très rarement en Corse : elle persiste dans les anciennes terrasses abandonnées ou dans les garrigues périurbaines. On peut penser qu’avec le réchauffement climatique, elle va se naturaliser de plus en plus facilement depuis les jardins et de plus en plus vers le nord comme dans le sud de l’Angleterre.

Sur le littoral du Var, on connaissait depuis longtemps une population naturalisée avec des caractères un peu différents et dont l’identité restait incertaine. On l’a identifiée récemment comme étant une espèce proche, la scille allongée (Oncostema elongata) d’Afrique du nord. Elle se distingue de sa proche cousine par ses fleurs bleu pâle et ternes et les pédicelles de l’inflorescence qui deviennent plus importants après la floraison ; le caractère décisif serait la présence de « poils » dépassant un millimètre de long sur le bord des feuilles (versus moins de 0,3mm chez peruviana). Il n’est pas exclu que d’autres espèces circulent en jardinerie sous le nom de scille du Pérou et ne se retrouvent ainsi un jour naturalisées.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Flora Gallica : flore de France.J-M. Tison ; B. de Foucault. Société botanique de France. Ed. Biotope. 2014
  2. A new species of Oncostema (Hyacinthaceae) from Tunisia. S. Brullo, G. Giusso del Galdo & M. C. Terrasi. Bocconea 19 — 2006
  3. The chemistry and biological activity of the Hyacinthaceae. Dulcie A. Mulholland,Sianne L. Schwikkardand Neil R. Crouch. Nat. Prod. Rep., 2013, 30, 1165

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le scille du Pérou
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