Sequoia

Consultez n’importe quel ouvrage sur les arbres (y compris celui que j’ai commis sur les fruits secs, voir ouvrages en bas de page ; errare humanum est !) et vous y trouverez comme étymologie de l’étrange mot Séquoia l’explication suivante : « vient du nom d’un indien Cherokee de sang mêlé, Sequoyah, plus connu sous son nom anglais de G. Guess pour avoir retranscrit par écrit et inventé un alphabet du langage de sa tribu ». Une bien belle histoire réelle et un bel hommage à nos deux géants nord-américains de la côte Ouest … sauf que tout porte à croire qu’il s’agit d’une pure mystification et que la vraie étymologie de ce nom n’a rien à voir avec aucun personnage mais avec un problème de … classification des conifères. Un récent article de G. D. Lowe dans la revue botanique californienne Fremontia (1) décortique avec moult détails cette étonnante histoire que nous allons ici résumer.

Une histoire en deux temps

Sous le nom commun de séquoias, on range actuellement deux espèces d’arbres géants de la famille des Cupressacées : le séquoia toujours-vert (Sequoia sempervirens) et le séquoia géant (Sequoiadendron giganteum).

Le séquoia toujours-vert, dont l’aire de répartition naturelle s’étend du sud de l’Oregon à la Californie en suivant la côte fut le premier découvert dès la fin du 18ème siècle et vite connu sous le nom de redwood à cause de son bois au cœur teinté de rouge ; il ne recevra un nom scientifique qu’en 1842, par David Don qui le range alors dans le même genre que le Cyprès chauve des marais du sud-est des U.S.A. connu depuis longtemps (la colonisation ayant commencé par l’Est !) à cause de la ressemblance du feuillage et des cônes ; il le nomme donc Taxodium sempervirens (voir la chronique sur le séquoia toujours-vert). Pour l’instant, il n’est nullement question de séquoia !

Entre 1833 et les années 1850, une nouvelle espèce va être découverte à l’occasion de l’exploration des montagnes de la Sierra Nevada où il se trouve localisé : le séquoia géant (voir la chronique sur le séquoia géant) ; on repère vite une certaine ressemblance avec le précédent (voir la chronique sur le séquoia toujours-vert où les deux espèces sont comparées) ce qui créé d’ailleurs une forte confusion. Une première description est faite fin 1853 par J. Lindley dans un journal horticole ; on le surnomme alors de manière très évocatrice Mammoth tree, Big tree ou Sierra-redwood pour le distinguer de l’autre qui devient le Coastal redwood.

Sequoia : né en 1847 !

Entre temps, un botaniste autrichien, S. L. Endlicher, directeur du jardin botanique de Vienne, publie deux ans avant sa mort un ouvrage en latin  sur la classification des Conifères : Synopsis Coniferum. Il présente dans cet ouvrage une refonte complète des Conifères selon des principes de classification aujourd’hui complètement abandonnés. Il reclassifie donc en profondeur ces arbres et est ainsi amené à créer quatre nouveaux genres pour lesquels il « fabrique » un nouveau nom latin; et parmi les quatre nouveaux, figure le genre Sequoia qu’il a conçu pour placer le séquoia toujours-vert, jugeant à juste titre d’ailleurs qu’il n’était pas « à sa place » dans le genre Taxodium (cyprès chauves). Ainsi naissait Sequoia sempervirens dont le nom latin sera rapidement utilisé comme nom « commun ».

Mais, à cette époque, aucune convention n’imposait à un créateur de nouveaux noms en matière de classification d’en expliciter l’étymologie. Et S.L. Endlicher va mourir deux ans plus tard sans jamais avoir expliqué comment il avait imaginé ce nom nouveau !

Une étymologie posthume

En 1854, suite à son arrivée fracassante, le séquoia géant est classé dans le même genre par J. Decaisne, botaniste français : il le nomme Sequoia gigantea. Ce n’est qu’en 1939, suite à une révision taxonomique qui soulèvera d’ailleurs moult polémiques, qu’il sera reclassé dans un genre à part compte tenu de ses différences avec la première espèce : il deviendra Sequioadendron gigantea mais conservera le nom commun de séquoia.

En 1854 ou 1858, des botanistes soulignent déjà le fait que ce nom de Sequoia devrait être abandonné car « il ne veut rien dire » et « qu’il accroche l’oreille par sa sonorité » ! En 1868, dans un guide publié par un géologue sur le parc Yosémite, apparaît pour la première fois la fameuse explication en lien avec Sequoyah, l’indien cherokee (voir introduction) qui a effectivement bien existé et, en note jointe, l’auteur ajoute que S. Endlicher l’a ainsi nommé en mémoire de Sequoyah après avoir lu une revue horticole (Country Gardener) et à cause de ses supposées compétences en ethnologie. Or, la fameuse revue invoquée n’a commencé à être diffusée que trois ans après la mort de S. Endlicher !

Vont s’en suivre malgré tout une série de mises au point successives accréditant cette étymologie historique avec, au passage, l’affirmation de la fierté que Endlicher ait choisi le nom d’un Américain de souche pour nommer cet arbre prestigieux ! Ce n’est qu’à partir des années 1880 que cette histoire va commencer à être mise en doute sérieusement et classée comme « mystification américaine » !

Une seconde mystification

Certains scientifiques vont alors sortir une nouvelle étymologie pour ce nom (latin uniquement à son conception) en lien avec la notion de séquence : Sequoia dériverait de sequi, séquence ou succession ; et ils ajoutaient que Endlicher avait considéré ces arbres comme les successeurs d’espèces géantes éteintes (la suite d’une séquence donc). Sauf que le botaniste autrichien n’avait aucune connaissance en paléobotanique et que cette nouvelle version venait en fait d’une conception sur l’origine des séquoias émergée après la mort de Endlicher !

G . Lowe, auteur de l’article ici utilisé, a fouillé dans les écrits de ce dernier et a trouvé dans une réédition d’un de ses ouvrages une piste sérieuse de réponse. S. Endlicher avait mis au point une classification en cinq ordres eux-mêmes divisés en sous-ordres. Dans l’ordre où il décide de placer les séquoias, il a déjà quatre sous-ordres rangés par ordre numérique selon le nombre de graines portés par écaille du cône, ce qu’il appelait une séquence ! Nous y voilà ; et pour insérer ce nouveau genre Sequoia, il avait du modifier sa séquence : d’où le nom concocté à cette occasion dérivé de sequin ! Donc séquoia voudrait en fait dire « celui qui change la séquence » !

Comme cette classification fut rapidement abandonnée suite aux progrès rapides de la taxonomie, les écrits de S. Endlicher tombèrent un peu dans l’oubli et il a fallu la ténacité de G. Lowe pour déchiffrer, entre les lignes, la pensée du botaniste. Finalement, cette histoire édifiante aura eu quand même le mérite de faire connaître le fameux Sequoyah. Une telle mystification ne risque plus de se reproduire car depuis 1867, grâce à A. De Candolle, l’étymologie de tout nouveau nom latin doit être explicitée !

BIBLIOGRAPHIE

Endlicher’s sequence : the naming of the genus Sequoia. G. D. Lowe. FREMONTIA VOL. 40, NO. 1 AND VOL. 40, NO. 2, JANUARY 2012 AND MAY 2012

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le séquoia toujours-vert
Page(s) : 74-75 Guide des fruits sauvages : Fruits secs
Retrouvez le séquoia géant
Page(s) : 20-21 Guide des fruits sauvages : Fruits secs