Hirundinidae

Ainsi peut-on résumer de manière imagée les types de nids construits par les 83 espèces d’Hirondelles réunies dans la famille des Hirundinidés au sein des Passereaux. Précisons de suite que dans cette chronique sur les nids d’hirondelles, il ne sera nullement question de la spécialité culinaire bien connue des pays asiatiques : ce sont bien des nids mais élaborés par des salanganes, des oiseaux de la famille des martinets (Apodidés), qui n’ont aucune parenté avec les hirondelles ; ces oiseaux ne sont même pas des passereaux et sont aussi différents des hirondelles d’un point de vue évolutif que des éléphants peuvent l’être de primates ! Simplement, ils partagent une même apparence physique liée à leur mode d’alimentation spécialisé sur la capture en vol des insectes aériens (voir la chronique sur les martinets noirs).

La famille des hirondelles présente la particularité au sein de l’immense groupe des passereaux d’avoir une grande diversité de nids d’au moins trois grands types très différents avec des sous-types différenciés. Une belle occasion de s’interroger sur l’évolution de ces types de nids au cours de l’histoire de cette famille.

Nid d’hirondelle rustique avec des jeunes

Squatters

Par squatters, nous désignons le groupe des espèces qui adoptent des cavités déjà existantes et se contentent d’aménager l’intérieur avec un matelas de matériaux végétaux (mousses, feuilles mortes, débris) et parfois de plumes récoltées. On pourrait donc les qualifier de cavernicoles et elles ne construisent donc pas de véritables nids. Les cavités adoptées peuvent être naturelles comme des loges creusées par des pics et abandonnées (voir la chronique sur ce thème), des fissures ou crevasses dans des parois rocheuses ou des terriers abandonnés dans un talus ou une berge de rivière. Elles adoptent aussi volontiers des cavités artificielles crées par les activités humaines : des trous dans des murs, sous des toits, des tuyaux ou des buses, des lampadaires urbains ou des nichoirs.

Ce type d’hirondelle nous est inconnu en Europe : toutes les espèces concernées ne vivent que sur le continent américain, au Nord comme au Sud et y sont endémiques avec sept genres concernés par ce mode de nidification. En se limitant aux espèces communes sur presque l’ensemble des U.S.A., on peut citer : l’hirondelle bicolore (Tachycineta bicolor), connue là-bas sous le nom de tree-swallow, adepte des cavités dans les arbres ; l’hirondelle noire (Progne subis), purple martin, qui nichait dans les arbres morts sur pied en forêt mais a adopté massivement les habitats humains ; et l’hirondelle à ailes hérissées (Stelgidopteryx serripennis) adepte des milieux rochers.

Tunneliers

On a du mal à croire que des oiseaux aussi frêles que des hirondelles soient capables de creuser elles-mêmes des terriers ! Pourtant, nous avons une espèce coloniale assez répandue en France, l’hirondelle de rivage (Riparia riparia), qui creuse elle-même des terriers dans les talus et les berges sableuses ou argileuses des grandes rivières ou dans les carrières attenantes. Pour s’installer, elles choisissent des talus verticaux inaccessibles aux prédateurs terrestres et pas trop instables du fait de l’érosion naturelle lors des crues. Les mâles arrivent en premier sur les sites au retour de leur hivernage en Afrique et entament le creusement sur une bonne trentaine de centimètres ; cette ébauche leur sert à attirer les femelles qui arrivent peu après. Une fois les couples formés, elles participent ensuite au creusement définitif. Ces hirondelles utilisent leur bec court mais large pour dégager les grains de sable et évacuent les déchets avec leurs pattes et leurs ailes au fur et à mesure qu’elles creusent leur tunnel qui peut atteindre presque un mètre de profondeur ! Au bout, elles aménagent une loge élargie qui sera la chambre du nid, garnie de matériaux. Le creusement demande de 1 à 16 jours selon la nature du substrat ou la profondeur du tunnel d’accès.

Dans ce genre Riparia, on trouve cinq autres espèces aux mêmes mœurs en Afrique ou en Asie. On rencontre ce mode de nidification dans d’autres genres très proches en Afrique mais ne vivant pas en colonies (Neophedina, Phedina, Phedinopsis) ou d’autres genres africains avec des plumages très sombres (Pseudhirundo, Psalidoprocne) ; ces dernières sont connues sous le vocable anglo-saxon de saw-wings (hirondelles à ailes en ciseaux) à cause de leurs longues ailes pointues, … comme des martinets ! Toutes ces espèces partagent en tout cas la même technique de creusement avec le bec, les pattes servant à évacuer le matériau dégagé.

Maçons

Nous arrivons au dernier groupe, celui des bâtisseurs de nids en coupe à base de boue séchée (d’où l’image du pisé du titre) ; ce type de nid nous est très familier car il concerne les deux espèces de France les plus communes notamment en ville ou dans les villages : l’hirondelle rustique (Hirundo rustica) et l’hirondelle de fenêtre (Delichon urbica). Toutes les espèces concernées construisent leurs nids de la même manière même s’il y a des variantes dans les finitions (voir paragraphe suivant) de la structure. Sur le site retenu, les deux membres du couple entament la construction par une amorce sous forme d’un amas de boue séchée puis progressent vers le haut et sur les côtés pour élaborer une structure en coupe a minima. La boue est collectée sous forme de boulettes roulées dans le bec et prélevées dans des flaques d’eau ou au bord de plans d’eau. Chaque oiseau apporte une boulette de boue et l’applique en la faisant vibrer par des mouvements rapides ce qui fait pénétrer la boue dans les espaces vides et permet d’obtenir une meilleure solidité. La construction d’un nid peut demander plus de mille boulettes et s’étaler sur plusieurs jours voire semaines !

Dans la majorité des cas, ces hirondelles utilisent de la boue pure mais certaines espèces africaines du genre Hirundo incorporent de l’herbe et des radicelles pour créer un mélange de type torchis. Dans une étude américaine, on a comparé deux espèces bâtisseuses de coupes ouvertes : l’hirondelle rustique (présente aussi outre-Atlantique !) et l’hirondelle à front brun (Petrochelidon fulva), cliff swallow ou hirondelle des falaises. La première choisit de la boue avec beaucoup de grains de sable ce qui rend le nid plus solide mais la boue est de fait moins facile à travailler ; l’autre espèce choisit une boue presque pure, plus adaptée aux substrats rocheux qu’elle choisit comme supports car plus adhésive. On voit donc toute la palette de subtilités développée par ces oiseaux quant à l’usage de ce matériau original qu’est la boue.

Ouvert, fermé ou en cornue

Nid d’hirondelle rustique ; les herbes sèches qui dépassent correspondent au revêtement intérieur de la coupe installée dans une étable

Dans ce groupe des espèces à nids en boue séchée, on peut distinguer trois types de structures que l’on peut classer de la moins élaborée à la plus sophistiquée techniquement. La forme basique la plus simple en est la coupe ouverte que l’on trouve chez notre hirondelle rustique (autrefois appelée hirondelle de cheminée) et les quatorze autres espèces du genre Hirundo ; le même nid existe aussi chez l’hirondelle de rochers (Ptyonoprogne rupestris), autre espèce indigène plutôt inféodée aux régions montagneuses et aux parois rocheuses mais elle tend à nicher de plus en plus sur les bâtiments elle aussi ; quatre autres espèces de ce genre, surnommées crag ou rock martins par les anglo-saxons, occupent l’Eurasie et l’Afrique.

Vient ensuite la coupe fermée, une variante close de la précédente où l’entrée se résume à une petite ouverture : elle est typique des hirondelles de fenêtre (genre Delichon) avec quatre espèces très proches sur l’ensemble de l’Eurasie dont « notre » hirondelle de fenêtre (D. urbica), bien nommée car essentiellement citadine même si elle niche aussi sur des parois rocheuses en montagne ou des falaises littorales. La tendance à former des colonies de nids serrés voire contigus s’amorce dans ce groupe : l’image des alignements de nids sous les auvents des toits ou sous les ponts dans nos villages traduit bien cette tendance.

Enfin, on atteint un degré supplémentaire de perfectionnement avec les nids dits en cornue : une boule fermée prolongée par un tunnel plus ou moins long. De tels nids atteignent de belles dimensions : 18 par 18cm pour la chambre de 10cm de haut plus le tunnel de 10cm de long, ce qui peut demander jusqu’à près d’un mois de travail ! Deux genres se sont ainsi spécialisés dans ces remarquables constructions : les hirondelles du genre Cecropis avec l’hirondelle rousseline (C. daurica) rare dans le Midi de la France qui installe ses nids souvent sous les ponts (plus 5 autres espèces africaines) ; les onze espèce d’hirondelles du genre Petrochelidon (mot-à-mot : H. de pierre) dont une espèce très connue aux USA, l’hirondelle à front brun (P. fulva), cliff swallow (H des falaises). Avec elles, la vie coloniale se développe fortement : les nids s’accolent les uns aux autres en rangées, partageant des parois communes ce qui économise de l’énergie et du matériau !

Evolution des nids

Une fois cette diversité explorée et les catégories repérées, on peut les replacer sur un arbre de parentés des espèces et des genres obtenu à partir des données génétiques (ADN) ; et là, grande surprise, on constate une remarquable superposition entre les groupes de parenté à l’intérieur de la famille et les types de nids : chaque type ou sous-type de nid comme défini ci-dessus ne serait apparu qu’une fois dans des lignées différentes à l’exception du mode creuseur de terrier.

La phylogénie suggère clairement que le mode ancestral a dû être ce dernier type de nid puisque qu’on le trouve tout à la base de l’arbre chez deux espèces d’étranges hirondelles d’Afrique de l’Ouest et d’Asie du sud-est, au look trapu avec un large bec : les pseudolangrayens (Pseudochelidon), surnommées River martins (H. de rivière) car elles nichent comme nos hirondelles de rivages dans les berges des rivières. Elles sont bien l’exception dans cette famille par ailleurs hyper-conservatrice en termes d’apparence avec une même silhouette élancée, des ailes longues et un bec court et des grands yeux : bel exemple de convergence morphologique liée aux contraintes du mode de chasse partagé (insectes capturés en plein vol). Même les plumages montrent une remarquable homogénéité : soit unis bruns, noirs ou bleutés, soit noirs et blancs. Nos voisins anglais, fins observateurs, distinguent néanmoins sous deux noms différents les oiseaux que nous nommons globalement hirondelles : swallows pour les espèces à longue queue fourchue et martins pour les espèces à queue courte et carrée.

Puis on retrouve de nouveau ce mode « terrier » à la base de la lignée suivante en groupe frère de toutes les espèces « nids de boue ». Dans ce dernier, on remarque de nouveau une répartition des trois sous-types (ouvert, fermé et cornue) selon les groupes de parenté. Le mode nid de boue serait donc dérivé du mode creuseur de terrier.

Les espèces cavernicoles apparaissent en troisième position : ce mode de nidification en apparence primitif, ne demandant aucune compétence particulière, serait donc en fait clairement dérivé ; il serait apparu plusieurs fois de manière indépendante selon les régions du globe. Le mode creuseur réapparaît ici avec les hirondelles de rivage.

Innovation évolutive

Les nids de boue représentent clairement une signature originale de la famille des Hirundinidés et ne se retrouve, au moins ceux sous forme de boue pure, dans aucune autre famille de passereaux. Il constitue une véritable innovation clé qui a permis l’occupation d’habitats dépourvus soit de cavités naturelles à occuper, soit de substrats se prêtant au creusement de terriers. Elle permet de placer de plus les nids en des lieux très sécurisés : des aplombs rocheux ou des corniches ou des façades, inaccessibles aux prédateurs terrestres. Plus de la moitié des 39 espèces d’hirondelles « maçonnes » vivent en Afrique : ceci pourrait être lié à la sensibilité de tels nids à l’humidité ambiante qui les rend friables. Avec la saison sèche, ce problème s’efface mais il a du freiner l’expansion vers des milieux tropicaux. Ainsi, aucun des divers genres sud-américains n’a adopté ce mode de construction !

Colonie d’hirondelles de fenêtre installée sus un pont au-dessus de la rivière la Vézère.

A l’intérieur de cette innovation, de nouvelles innovations ont émergé avec les coupes fermées et en cornue qui ont ouvert la voie de la vie coloniale. On a suggéré par exemple chez les hirondelles de fenêtre que les nids fermés empêchaient les tentatives d’accouplements intempestives des mâles voisins vu que les copulations ont lieu dans la coupe du nid ; sans cette protection, la vie sociale serait quasi impossible. Les espèces coloniales à nids en cornue bénéficient de plus des effets de groupe envers les prédateurs ; le partage de parois communes entre les nids renforce la solidité et diminue le coût de ce genre de construction.

 

Succès moderne

Il n’est pas anodin de voir nombre d’espèces d’hirondelles partout dans le monde adopter avec succès les milieux artificiels crées par les activités humaines. Cette capacité à bâtir des nids collés ou à les creuser leur a ouvert des niches écologiques autrement inaccessibles en fournissant soit des cavités, soit des surfaces de fixation de nids de boue, soit des talus ou des carrières pour les espèces à terrier. Elles peuvent ainsi exploiter des espaces aériens riches en insectes qui seraient inexploitables car ces oiseaux nichent toujours très près des sites de chasse contrairement aux martinets (voir la chronique), au maximum à quelques centaines de mètres des nids. L’empathie humaine pour ces oiseaux a facilité grandement cette adaptation et s’ancre peut-être dans nos racines troglodytes quand nos ancêtres vivaient dans des grottes aux entrées peuplées d’hirondelles ; elles seraient une forme de souvenir atavique de cette vie au pied des falaises selon l’hypothèse dite des Falaises urbaines (voir la chronique « la pierre est en nous » sur ce concept).

Certaines espèces ont même tellement adopté ces nouveaux habitats qu’elles ont fini par quasiment abandonner leurs anciens habitats naturels comme chez l’hirondelle rustique devenue presque entièrement anthropophile. Leur capacité d’adaptation s’étend même aux matériaux incorporés dans le revêtement intérieur du nid puisqu’on peut trouver des câbles électriques ou des fragments d’isolant dans des nids d’hirondelle rustique !

L’hirondelle de rochers, primitivement rupestre en montagne, colonise de plus en plus les villages et ce jusqu’en plaine.

Terminons en remarquant que les hirondelles bâtisseuses deviennent des fournisseuses de « cavités » ou de nids quand elle les abandonne comme c’est le cas pour les terriers des hirondelles de rivage souvent adoptés par divers autres oiseaux cavernicoles.

Hirondelles rustiques : devenues indissociables des paysages humains !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Evolution of nest construction in swallows (Hirundinidae) : A molecular phylogenetic perspective. D.W. Winkler ; F.H. Sheldon.PNAS vol 90 5705-5707 ; 1993.
  2. Nest architecture and avian systematics. F.H. Sheldon ; D. W. Winckler. The Auk 116(4) : 875-877, 1999
  3. Phylogeny of swallows (Aves: Hirundinidae) estimated from nuclear and mitochondrial DNA sequences. Frederick H. Sheldon et al. Molecular Phylogenetics and Evolution 35 (2005) 254–270
  4. Swallows and Martins (Hirundinidae). Turner, A. (2018). In: del Hoyo, J., Elliott, A., Sargatal, J., Christie, D.A. & de Juana, E. (eds.). Handbook of the Birds of the World Alive. Lynx Edicions.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les hirondelles de France
Page(s) : 358-362 Le Guide Des Oiseaux De France